Eugene Delacroix, a multi talented painter. also famous for his great decorations of official institutions


Par Jacques Tcharny / « Mon cœur bat plus vite en présence de grandes murailles à peindre », ces mots de [**Delacroix*] (1798-1863)* caractérisent bien sa volonté délibérée de réaliser ce qui, pour lui, est le nec plus ultra de la peinture : de grands décors muraux lui permettant de se mesurer aux plus célèbres qui sont ses références ( [**Rubens*], [**Michel-Ange*]…), et de passer à l’Histoire. Dès le début des années 1830, il est reconnu et renommé pour ces ouvrages : ainsi [**George Sand*], dont il fait le portrait en 1834, lui écrira une lettre commençant par ces mots : « Monsieur Delacroix, peintre en bâtiment, très connu à Paris  » !

Il reçoit, d’abord, la commande des décors du salon du Roi au Palais-Bourbon en 1833( ce sera le sujet d’un autre article). C’est en 1838 qu’on lui ordonne ceux de la bibliothèque du même lieu, aujourd’hui l’Assemblée nationale. De nombreuses difficultés matérielles, une surcharge de travail, sa mauvaise santé, feront que l’ensemble ne sera terminé qu’en décembre 1847.|center>

C’est un chantier titanesque : il lui faut décorer les deux hémicycles et les cinq coupoles dotées, chacune, de quatre pendentifs, soient un total de 20 pendentifs. Si Delacroix n’a jamais eu d’atelier, à proprement parler, il avait des aides ([**Landrieu*], [**Lasalle-Borde*], etc..), dont il utilisera les compétences ici.

Olécio partenaire de Wukali

Les œuvres reposent sur les coupoles de la voûte de la galerie de la bibliothèque et dans les deux hémicycles situés aux extrémités. Les cinq coupoles divisent la voûte.
Les hémicycles sont des peintures à l’huile et à la cire sur murs créées sur place. Les pendentifs sont des huiles sur toile, réalisées en atelier puis marouflées. Les deux hémicycles ont les mêmes dimensions : hauteur 7,35m, longueur 10,38m, les pendentifs aussi : hauteur 2,21m, longueur 2,91m. La datation est commune : 1848.

L’artiste voulait y illustrer les capacités distinctives de l’esprit humain. Lequel oscille, en permanence, entre guerre et paix. Nous y voyons, de l’entrée vers le fond :

[(
-L’hémicycle de la paix «  Orphée vient policer les Grecs, encore sauvages, et leur enseigner les arts de la Paix  »

-La coupole des sciences avec les 4 pendentifs suivants : « Hippocrate refusant les présents du roi de Perse », « mort de Pline l’ancien », « Archimède tué par le soldat », « Aristote décrit les animaux que lui envoie Alexandre ».

-La coupole de la philosophie  : « Sénèque se fait ouvrir les veines », « Socrate et son démon », «Les bergers chaldéens inventeurs de l’astronomie », « Hérodote interroge la tradition des mages  ».

-La coupole de la législation : « Cicéron accuse Verrès », « Démosthène harangue les flots de la mer », « Lycurgue consulte la Pythie », « Numa et Égérie »

-La coupole de la théologie : « Adam et Eve », « La captivité à Babylone », « Mort de saint Jean-Baptiste », « La drachme du tribut  ».

-La coupole de la poésie : «  L’éducation d’Achille », « Hésiode et la Muse », « Ovide chez les barbares », « Alexandre et les poèmes d’Homère »

-L’hémicycle de la guerre « Attila, suivi de ses hordes barbares, foule aux pieds l’Italie et les arts  ».
)]

[**Hémicycle de la paix*]

-« [**Orphée vient policer les Grecs encore sauvages, et leur enseigner les arts de la paix*] »
Au centre, Orphée. Hommes et femmes sont très primitifs. Pourtant, ils écoutent les chants du poète avec ravissement. Quelque chose s’éveille en eux, au cœur de leur bestialité primaire : c’est dans ce cloaque originel que va apparaître l’esprit grec. L’évolution, qui devait les conduire au plus haut niveau de la civilisation, commence ici. Tous écoutent, sous le charme, les mélodies du barde qui leurs apparaissent magiques. Certains ont peur et refusent d’approcher le demi-dieu annonciateur des temps nouveaux. Mais d’autres, beaucoup moins timides, entourent le messager.
Les chasseurs sont encore couverts de peaux de bêtes. Sur la gauche, déjà des bœufs creusent des sillons dans cette terre antique, sous la direction des premiers paysans sédentarisés.
A l’extrême gauche, un centaure reste à la limite de la forêt pour écouter. L’artiste l’a saisi dans le mouvement, près à fuir : un reste de méfiance qui disparaîtra vite. Un ressenti d’intimité, de fraternité avec la nature émane de cette scène bucolique que Virgile aurait appréciée. Tout y est naturel, harmonieux, paisible, voire miraculeux… C’est le temps de l’innocence.
Orphée porte un manteau, d’un bleu scintillant, ouvert sur un long vêtement, d’un blanc resplendissant. Le centre géométrique du tableau est situé, précisément, sur la main de l’envoyé divin, qui chante les lois, le travail, la future cité et les dieux.
Au-dessus de cette foule bigarrée se voit un ciel magnifique d’un bleu suave, qui couvre plus de la moitié de la surface. Avec, ici ou là, quelques nuages légers. Sur la droite, vers le haut, une Pallas bleue, déesse de la paix, et une Cérès blanche, déesse des moissons et des arts. La première porte un rameau d’olivier. La seconde est chargée d’épis de blé. Tout s’annonce bien pour l’avenir de l’espèce humaine…
Ce moment de paix est si intensément vécu par le spectateur, qu’il en ressent de la gêne d’en être devenu le voyeur. Il ne faut pas perturber ce monde si fragile…

[**-La coupole des sciences*] 

– « [**Hippocrate refuse les présents du roi de Perse*] » : Dédaigneusement, Hippocrate quitte la scène vers l’avant. Les envoyés du « Grand Roi » n’en croient pas leurs yeux. Ils ont beau supplié le savant, celui-ci n’a que mépris pour eux. Et pourtant ils lui offrent des vases et des cassettes bourrés d’or et d’objets précieux. Mais on n’achète pas un Grec, scientifique de surcroît, quand on est l’ennemi de cette nation…
Pour le spectateur, le geste de refus d’Hippocrate est ce qu’il voit en premier, ce qui définit le sujet. C’est donc le centre psychologique du tableau. Lequel est supérieurement peint( blancs des vêtements du grec et du barbare barbu à droite, orangé et ocre du manteau du savant) et parfaitement explicite.
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– « [** Mort de Pline l’ancien*] »:
Pline l’ancien regarde l’effroyable éruption du Vésuve qui devait détruire Pompéi et Herculanum. Deux personnages effarés sont autour de lui. Ce sont des esclaves : ils ont vu le magma mortel foncé sur eux, mais Pline ne s’en rend pas compte, trop passionné par ce qui se passe.
Le savant est fasciné par ce spectacle dantesque. Il observe l’évolution du phénomène, et dicte ce qu’il voit à son scribe. Les fonds des cieux et des montagnes sont d’un rouge sanguinaire, annonciateurs de mort. La lave en fusion arrive par-derrière les trois hommes. Ils vont bientôt être engloutis
Le rendu de la catastrophe est extraordinaire. Le spectateur le ressent si violemment qu’il en frissonne.

– « [**Archimède tué par le soldat*] » :
Le savant est en méditation, complètement perdu dans ses pensées. Il regarde un parchemin posé sur son bureau. Derrière lui, sur des étagères, des livres sont bien rangés. Le dos tourné vers la fenêtre, il n’entend rien du tumulte extérieur. Par l’ouverture un soudard s’apprête à le transpercer de sa lance. La bestialité la plus immonde se lit sur sa face. L’opposition des deux actions est totale : réflexion du génie scientifique, calme, immobile ; action brutale du tueur qui ne vit que pour massacrer, piller, torturer et détruire. Barbarie et civilisation, pôles antithétiques de l’humanité.
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-« [**Aristote décrit les animaux que lui envoie Alexandre*] » :
Ce dernier envoyait à son maître, de tous les coins de ses conquêtes, faunes et flores inconnues.
Ici ce sont des soldats macédoniens qui amènent : l’un un bouc, tenu par les cornes, l’autre une gazelle( ou un daim?) dans ses bras, tous deux d’espèces non répertoriées. Au sol des coquillages et des plantes. Les deux guerriers, respectueux et éblouis, n’ont d’yeux que pour Aristote, quasi divinisé. Et de ce fait devenu l’oracle de la science, de la culture, de la philosophie et de la civilisation.
Il est assis sur un piédestal et domine le monde. Il écrit et décrit ce qui lui paraît digne d’intérêt. Son visage lumineux, aux yeux curieux très mobiles, montre un regard acéré. Que va-t-il dire aux envoyés d’Alexandre ? C’est lui le centre psychologique du tableau.
Un troisième soldat, dont le casque est visible, semble vouloir attraper quelque chose derrière lui. Tandis qu’une tête de cheval sort de la brume, à l’extrême gauche. Les couleurs, assombries, forment un fond de ciel mal défini.
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[**-La coupole de la philosophie*] 

-« [**Sénèque se fait ouvrir les veines*] »
Le stoïcien est debout, soutenu par ses élèves et ses domestiques. Ses jambes, dont seules les cuisses sont visibles, reposent dans une cuve de porphyre. La pose est directement issue d’une sculpture antique romaine très connue(un exemplaire au Louvre). Son sang s’écoule le long de ses bras. Littéralement, le spectateur voit la vie sortir de son corps de martyr de la culture et de la philosophie. Ce qui se lit sur son visage, dont l’expression de douleur infinie provoque l’empathie du spectateur. C’est une force bouleversante qui émane de ce visage. A l’opposé, les deux centurions qui ont amené l’ordre de Néron, ce fou diabolique, assistent impassibles à la scène tragique. Ils la rapporteront à leur maître, névrosé et délirant. Sur la droite, deux femmes pleurent…|left>

– « [**Socrate et son démon*] »
Le centre psychologique se situe sur le visage du philosophe et sur le personnage ailé derrière lui. Lequel semble inspirer Socrate : il lui souffle quelque chose à l’oreille. Une forme en T est créée par les deux corps : un Socrate vertical surmonté de son démon horizontal. Elle occupe tout le centre du tableau, empêchant la lecture approfondie du fond. Lequel est une composition d’eaux, de plantes et d’arbres. Autant le philosophe est statique, autant le démon est mobile. Au vêtement du démon, d’un bleu exquis, répond la robe du philosophe, d’un orangé suave.

-«[** Les bergers chaldéens inventeurs de l’astronomie*] »
« Appuyés sur leur bâton, ils contemplent l’immensité du ciel, assistent au lever des astres et notent dans leur mémoire leur phases différentes  » **
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En réalité, les personnages semblent plutôt en adoration devant une divinité stellaire qu’en train d’observer des planètes ou des étoiles : agenouillés, immobiles, les mains jointes. L’assimilation des déplacements des corps célestes à ceux de divinités était chose courante à l’aurore de l’astronomie, tous les peuples confondus. Les cieux dégagent un mysticisme, irradiant autant qu’irrationnel, rendu par une lumière surréelle qui se diffuse dans l’atmosphère.

Le ressenti en est une sensation miraculeuse d’imprégnation divine au regard de ce ciel si vivant, et ce par l’utilisation d’une palette chromatique réduite.
L’homme au turban a les pieds qui traînent dans un espace vide, légèrement en-dessous de lui. Est-ce un trou ? Une crevasse ? Impossible de le savoir. Sa tête est levée, comme celle de la femme(?) qui l’accompagne. Les cieux sont étoilés. Un fond lumineux jaune surgit au-dessus des montagnes de gauche. Approcherions-nous de l’aube ? Le paysage est nu, peut-être arasé. Un sentiment de paix, de repos, de silence, émane de cette vision idyllique de la découverte des mouvements de la mécanique céleste, visiblement assimilée à la notion, alors confuse, de divinité.
Le centre psychologique réside dans l’union des deux visages le regard en l’air.

-« [**Hérodote interrogeant la tradition des mages*] ».
Le contraste entre ce Grec, encore jeune, venu de si loin, et les trois ombres humaines que sont ces vieillards peu accueillants, est magistralement rendue : lui est saisi en mouvement, eux restent immobiles. Malgré leur hostilité évidente, les mages ne peuvent s’empêcher de regarder avec curiosité le voyageur. Ils le reçoivent en haut des marches, sans esquisser le moindre mouvement. Des serviteurs les soutiennent. Hérodote, magnifique et vivant, s’approche respectueusement d’eux. Il est venu les consulter pour l’écriture de son histoire. Il irradie une soif de recherches intellectuelles illimitées.
Eux sont très réservés à son égard, mais l’artiste nous fait comprendre que la requête de l’étranger sera acceptée avec bienveillance : les yeux et les visages des trois prêtres expriment une sympathie physique, rayonnent d’un intérêt irrésistible à la vision de celui qui est venu recueillir leurs connaissances des temps anciens. L’opposition entre la méfiance que montrent leurs corps et l’éveil de leurs visages est extraordinaire. Seul un génie pictural peut réaliser une telle prouesse.
Les couleurs claires dominent dans Hérodote et son esclave. Les couleurs sombrent dans les mages et leurs domestiques. C’est que la lumière est issue d’une ouverture située très haut, et n’éclaire qu’Hérodote et un pan de mur sur la gauche. L’autre mur est dans le noir complet.
Mages et serviteurs, cinq personnages en tout, créent une barrière, un obstacle, à ce que peux espérer apercevoir le Grec. La connaissance, donc la sagesse, ne s’acquière pas sans efforts. C’est une idée de précurseur, de visionnaire, car obstacle et barrière sont des leitmotivs de la peinture internationale de l’après Deuxième Guerre mondiale.
Ce pendentif est, sans discussion, l’un des plus réussis de la voûte.

[**-Coupole de la législation *]
-[**Cicéron accuse Verrès*] 

Cicéron est vu de dos. Il semble âgé d’une cinquantaine d’années, si l’on s’en réfère à son début de calvitie. De sa main droite, il désigne les preuves de ses accusations : deux jarres pleines à ras-bord (de documents?) portées par deux esclaves. De toute évidence, de mauvaises surprises vont en sortir pour Verrès. |center>

Le spectateur ressent « la sainte colère » de l’avocat, même s’il ne le voit que de dos : son corps paraît animé d’une décharge électrique interne issue de son indignation.
Sa main droite désignant les jarres-surprises, le mouvement du bras droit est donc le centre psychologique du tableau, puisque c’est lui qui en définit le sujet. L’orateur est placé en hauteur par rapport à ceux qui l’écoutent.

Au fond, sur la droite, dans une obscurité bienvenue, est dressée une statue de dieu tutélaire impossible à caractériser. Laquelle est une réponse, muette comme visuelle, au discours, véhément et fleuri, de ce Maître du verbe que fut Cicéron. Vu son aspect très sombre, la statue est faîte de métal : sans doute du bronze. Elle créée un authentique contrepoint, immobile, au tribun démonstratif, doté d’une ardente vitalité organique et imaginative.
La conception spatiale de la peinture est inhabituelle : le personnage central est situé SUR l’intersection des deux murs du fond qui isolent la scène, à l’intérieur du Sénat romain. Au-delà, on aperçoit bâtiments et fond de ciel bleu.

-[**Démosthène harangue les flots de la mer*]
Le tribun, dont les défauts d’élocution passèrent à l’Histoire, s’entraîne à l’art oratoire devant la mer en furie, sous un vent déchaîné. Il se prépare à subir le tumulte des assemblées populaires.
Marchant tête haute, il se dresse dans la tempête. Il paraît nu sous son manteau qui claque au vent, seulement retenu au corps par une ceinture. Derrière lui, deux paysans l’observent. Ils sont effarés des gestes et de l’attitude de Démosthène. Ils le prennent pour un fou.
L’orateur s’avance, imperturbable et impassible, longeant le rivage. Il dégage une force autant psychique que physique. C’est le coup de génie du peintre : il équilibre ainsi sa composition en lui conférant deux pôles d’attraction qui fusionnent. L’homme constitue donc le centre psychologique du tableau. Le rendu héroïque du visage, des bras, des membres inférieurs, accentue le ressenti du spectateur. Rien ne peut arrêter l’orateur athénien dans l’exposé de sa vision des événements, pourtant partielle et partiale comme chacun sait.
Même les éléments furieux, décrits en des couleurs blafardes et crues, sont à l’unisson de ce qui sort de la bouche du personnage.
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-[**Lycurgue consulte la Pythie*]
Lycurgue, une branche de laurier dans la main droite, consulte la Pythie sur la durée des lois de Sparte. La prêtresse est assise sur un trépied. Ses yeux ignorent le demandeur: elle se concentre en elle-même pour voir au-delà des apparences. Entre eux, un autel avec un mouton égorgé. L’homme barbu debout et la femme assise montrent des formes pleines inspirées de [**Michel-Ange*]. La scène se déroule au fond de la grotte sacrée de Delphes, où la Pythie rendait ses oracles. Il est donc très sombre. Malgré tout, on y distingue des rochers et une ouverture, en haut sur la gauche.
C’est par là qu’une lumière, blafarde et irréelle, pénètre et éclaire le sujet en se focalisant surtout sur le chevreau, moins sur les personnages. L’homme est le questionneur. La femme étant censée répondre, après mûres réflexions. Ce que confirme le positionnement de son corps. Nous nous trouvons face à une « penseuse » avant la lettre( cf : [**Rodin*] : le penseur)
Le centre psychologique du tableau est à retrouver dans la branche de laurier, devenue bâton magique, qui joue le rôle d’intercesseur entre le monde des humains et celui des esprits : elle explique le sujet.
La palette chromatique utilisée est réduite. Le fond sombre est vert foncé, la lumière irradiée est d’un jaune cru qui accentue les contours. Mais ce sont la robe bleue de la prêtresse et le manteau rouge-orangé de l’homme qui sont les plus marqués.

-[**Numa et Égérie*]
« Au fond d’un bois mystérieux, couché sur le gazon, le roi de Rome s’entretient avec la nymphe. Cette dernière est assise au milieu des roseaux, ses pieds baignent dans sa source limpide. Une biche étonnée s’arrête un instant à les considérer »**.
On remarque immédiatement la forme en T créée par les deux corps: Numa horizontal et Égérie Verticale. Les dégradés de couleurs donnent la sensation de profondeur tout autant que celle de la perspective. Les contrastes chromatiques accentués, entre la jupe orangée et le corps ocré de la nymphe, sont impressionnants. Elle écoute, distraitement, ce que lui dit le roi, homme barbu dont l’aspect de satyre saute aux yeux. Il est très agité : son corps se tourne vers la femme, il se redresse un peu, il lui parle et ses mains bougent. Égérie reste statique, quasi immobile. La biche crée une brèche dans la végétation du fond. Cette ouverture sur l’ailleurs est ressentie par le spectateur comme un pont vers le réel. Des verts aux variations multiples dominent l’arrière-scène.
Avec un peu d’attention, on voit qu’une impression de descente, voire de chute, pénètre l’inconscient de l’observateur. La verticale du T en est le vecteur.
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[**-Coupole de la théologie *]

-[**Adam et Eve*]
« L’Ange les chasse du jardin d’Éden, après le péché. Adam cache son visage dans ses mains. Eve est à genoux. Elle se retourne, suppliante, les mains et les bras ouverts, pour essayer de fléchir l’envoyé de Dieu. »**
La composition est organisée autour d’une verticale formée des trois personnages. Une lumière irradiante, céleste, cerne l’Ange. Elle est d’un jaune inconnu, irrationnel, impossible à définir par des mots. Cette teinte irréelle est la marque du divin chez Delacroix.
Le couple humain est nu. Seul l’Ange porte un vêtement, d’un bleu tirant sur le gris. Entre un fond montagneux et de la végétation verte dispersée, le regard se fixe sur la scène de l’expulsion. Les corps sont individualisés, pas les visages peu lisibles. Ce qui compte c’est l’acte représenté : la punition divine.

-[**La captivité de Babylone*]
« Une famille éplorée, assise au bord du fleuve, contemple douloureusement les flots en pensant à la patrie absente. Dans la campagne, auprès des murs de la ville, des hébreux dispersés, occupés à de vils travaux ou succombant sous la tristesse »**
En bas au premier plan, un bord de rivière. Le surplombant, un couple assis avec leur fille. L’homme barbu lève la tête, implorant Dieu : « Quand reverrons-nous notre terre ? ». La femme aux seins nus montre un visage empreint de nostalgie. Sa tête oscille vers la droite, son corps vers la gauche où se tient sa fille.
Cette dernière, à moitié couchée et tenant sa mère par le bras, regarde en arrière ; là où se trouve une autre femme en pleurs qui pense à son pays perdu. Elle est prostrée, incapable d’esquisser un geste et de se mouvoir. L’empathie du spectateur est immédiate. Au fond Babylone, la ville légendaire. Sur la droite, un arbre aux feuilles envahissantes, couvre le haut de la composition et protège de ce soleil de feu les personnages assis. Au lointain, deux paysans affairés.
L’artiste réussit à rendre perceptible un sentiment : la nostalgie de la terre natale, par l’utilisation d’une palette chromatique réduite mais expressive, où toutes les teintes sont délicatement grisées afin de bien mettre en évidence tristesse et nostalgie.
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-[**Mort de Saint Jean-Baptiste*]
« Le bourreau présente à la fille d’Hérode la tête de Saint Jean, dont le corps livide est étendu sur les degrés de la prison »**
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La verticalité soulignée du bourreau crée une sensation de malaise chez le spectateur du drame. Le corps puissant de l’homme occupe l’espace central. Les couleurs de ses vêtements sont affirmées, violentes : orangé, bleu, blanc. Son thorax, aux muscles marqués, apparaît assombri. Une énergie primitive se dégage de cette brute épaisse qui, se retournant vers Salomé lui offre la tête du Baptiste qu’il vient de trancher. Son visage regardant vers l’intérieur du tableau, seule sa barbe est visible.

Au sol gisent les restes du saint. Aucune expression n’anime le visage morne de la fille d’Hérode : c’est très étonnant puisqu’elle reçoit le « cadeau » demandé. Elle devrait se réjouir…
Des marches montent à l’arrière, orientant ainsi le regard de l’observateur. Le fond est un monde clos par le mur, la balustrade métallique et les tissus posés dessus. Ce qui oblige l’œil à se concentrer sur l’acte odieux commis. La répulsion ressentit n’en est que plus intolérable.
Logiquement, le centre psychologique du tableau aurait du se situer sur la tête coupée du saint. Ce n’est pas le cas : Delacroix a préféré le déplacer sur le haut du corps du bourreau, tenant la face sanglante en se retournant vers Salomé. C’est exceptionnel : le peintre nous oblige à centrer notre regard sur la monstruosité de l’acte, puis à faire le tour de l’œuvre pour en saisir une parfaite compréhension.

-[**La drachme du tribut*]
« La drachme du tribut, trouvée par Saint Pierre dans l’ouïe d’un poisson. Des pêcheurs s’approchent, étonnés du prodige. La mer est à l’arrière-plan. Des hommes, des femmes, portent sur leur tête les fruits de la pêche ou tirent leur barque sur le sable  »**

La palette chromatique est très claire, attirant l’œil tel un aimant. La plage de sable ocre est impressionnante de réalisme. Rouge, orangé, blanc cassé, vert tranché, bleu tirant sur le violet, brun, dominent la scène. Les passages : de la plage à la mer, de la mer au ciel, sont rapides et nets avec le sable ocre, la mer verte et le ciel bleu. Ce qui crée une harmonie reposante pour le regard.
Le miracle attire les trois personnages autour du saint : ils paraissent fascinés par ce qu’ils voient. Même leurs mouvements corporels en subissent une dérive attractive : ils se penchent pour mieux observer, créant ainsi une notion de durée. Le saint barbu est lui aussi un pêcheur. Le centre psychologique du tableau est dans sa main gauche qui montre la pièce.

[**-Coupole de la poésie*] |left>

-[**L’éducation d’Achille*]
« Assis sur la croupe du centaure, son maître, emporté lui-même par une course rapide à-travers les plaines et les montagnes, il poursuit de ses flèches les oiseaux et les animaux des forêts »**

La disposition des personnages est décalée vers la gauche dans le corps du centaure, et vers la droite dans l’acte dominant la scène : le tir à l’arc. Une flèche va partir : l’humain montre des bras et des épaules gonflés d’énergie ; tandis que l’être mythologique indique à son élève dans quelle direction( un coin du ciel) et sur quoi tirer ( un oiseau).
Le ciel est d’un bleu transparent exquis. La scène se situe au pied d’une colline( à droite). La puissance physique dégagée par le duo est phénoménale. Ce qu’accentuent les mouvements brutaux des corps. L’aspect fusionnel des chairs en est la conséquence, soulignée par l’unité chromatique : unité de la teinte, du ton , de l’intensité, de la répartition de la luminosité.
C’est un sujet qui fut particulièrement travaillé en atelier : de très nombreux dessins préparatoires sont connus. C’est aussi l’un des mieux traité.

-[**Hésiode et la muse*]
« Hésiode endormi. La Muse, suspendue sur ses lèvres et sur son front, lui inspire des chants divins »**

Couché sur le sol, endormi, un berger à l’aspect rustique et au physique avenant, rêve. Ses Vêtements, très sommaires, sont ceux d’un pâtre antique. Rien n’indique qu’il deviendra un si grand poète.
Au-dessus de lui un être immatériel : la Muse, d’origine céleste, en lévitation, étend sa main droite sur son front. Elle lui transmet « l’inspiration divine » sans laquelle il serait resté un pauvre berger anonyme.
Au premier abord, le ressenti du spectateur est une dichotomie complète: l’être humain et la divinité montrent des différences de nature. Le premier est d’un terre-à-terre si lourd que l’observateur en est choqué. Le second est aérien, léger, serein. Vite l’œil s’habitue. L’alchimie optique voulue par l’artiste saisit alors le spectateur qui comprend enfin la volonté de Delacroix : cette opposition n’est qu’apparence extérieure. La vérité c’est que les deux personnages sont complémentaires, le terrestre n’existe qu’en fonction de ce qui le dépasse : le divin. Et ce dernier ne peut être compris et accepté que par l’esprit humain.
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Le côté rugueux d’Hésiode est accentué par les couleurs ternes de ses habits. Alors que l’aspect irréel de la Muse est souligné par les roses doux de sa robe.
Pour une fois, le centre psychologique du tableau comprend les deux personnages, totalement indissociables. Le fond de verdure est dans des verts liquides, voire sirupeux.-

-[**Ovide chez les barbares*]
« Ovide en exil. Il est assis tristement sur la terre nue et froide, dans une contrée barbare. Une famille scythe lui offre de simples présents, du lait de jument et des fruits sauvages »**
Le poète effondré pleure la patrie perdue. Il est inconsolable et prostré. Les scythes compatissent à son malheur. Ovide leur inspire une immense empathie : même le guerrier(il tient une lance), pas vraiment un tendre dans ce monde brutal, le regarde amicalement. La femme lui tend un bol de lait, s’apprêtant à lui offrir de la nourriture. Leur chien( un lévrier?) vient renifler les chausses de l’écrivain. A l’extrême droite, un superbe cheval dont seule la tête est visible, avec son encolure formant arc de cercle, est à l’unisson de sentiment envers le romain. Cette unanimité de ressentis est frappante pour le spectateur.
La terre ocre jaune semble quasi-désertique. Au fond un ciel bleu lointain et discret. Des cavaliers apparaissent juste devant, fixant l’échelle spatiale.
Un petit vide, s’élargissant vers le fond, sépare le poète de la femme scythe. C’est entre ces deux personnages que le centre psychologique de l’œuvre se crée.
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-[**Alexandre et les poèmes d’Homère*]
« Alexandre s’étant fait apporter le coffret précieux trouvé dans les dépouilles de Darius, y fait enfermer les poèmes d’Homère »**
Le vainqueur des Perses est assis sur un trône, d’or(?). Il est accoudé au piédestal d’une colonne. A côté de lui, un conseiller-courtisan lui dit quelque chose à l’oreille.
Aux pieds du conquérant trois hommes : un esclave et deux guerriers macédoniens. Le premier porte le coffret d’apparat. Un guerrier y installe les papyrus enroulés de l’Illiade, l’œuvre divine d’Homère. Un autre soldat, porteur d’une lance, regarde la scène. Les trois hommes ne comprennent pas pourquoi leur seigneur et maître gratifie d’un tel honneur ces écrits.
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Sur la droite, le fond de ciel noirci tant à s’éclaircir : la bataille est terminée. Des dégradés de couleurs vont en déclinant, du premier plan jusqu’aux cieux : le coffret est d’un jaune d’or rutilant. Les personnages du bas montrent des orangés, des bleus, des ocres, des bruns, tous en demie-teinte. Alexandre est représenté dans des verts, des ocres et des jaunes assourdis. Le fond reste sombre.
Le centre psychologique n’est pas dans le coffret, mais bien dans l’acte d’enfermement des papyrus décidé par le Roi des macédoniens, futur Empereur du monde alors connu, comme l’affirme son geste de la main gauche.

-[**Hémicycle  de la guerre: Attila, suivi de ses hordes barbares, foule aux pieds l’Italie et les arts*]


« Attila foule aux pieds de son cheval l’Italie renversée sur ses ruines. L’éloquence éplorée, les arts s’enfuient devant le farouche coursier du roi des Huns. L’incendie et le meurtre marquent le passage de ces sauvages guerriers qui descendent des montagnes comme un torrent. Les timides habitants abandonnent les campagnes et les cités à leur approche, ou atteint dans leur fuite par la flèche ou la lance, arrosent de leur sang la terre qui les nourrissait »**
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Terrifiant dans sa peau de loup, le fléau de Dieu s’avance, la masse de fer hérissée de piquants à la main. Il chevauche un destrier, littéralement, diabolique : crinière au vent, œil à la pupille monstrueusement dilatée ( serait-il drogué?), tête incurvée vers l’avant, naseaux exhalant des éclairs de tonnerre et un air pestilentiel. C’est un « cavalier électrique  »*** avant la lettre !

Rien ne peut arrêter cette chevauchée destructrice. L’animal ne porte pas de selle mais seulement une sorte de couverture rouge sang.
C’est la fin du monde antique. Tout ce que les civilisations anciennes avaient créé disparaît dans cette Apocalypse.|center>

Derrière le cavalier aux traits européens, la horde asiatique fonce et dévaste tout. Massacres, pillages, déchaînements des plus bas instincts, se succèdent en vagues ininterrompues. Un maelstrom de folie s’est emparé du monde, écrasé sous la botte des envahisseurs. A droite, un de ces assassins présente fièrement, dans sa main droite, une tête tranchée. L’ensemble des barbares montrent un mouvement général irrésistible, vers l’avant, donc vers la gauche du tableau. Cet effet pictural remonte, au moins, à [**Rubens*], le peintre dont [**Delacroix*] se savait l’héritier.

Sur la gauche, hommes et femmes essayent de fuir. Peu d’entre-eux échapperont à cette tuerie. Quelques uns à l’extrême-gauche peut-être ? Car là, si l’horizon fume, si le ciel sanguinolent est traversé de météorites flamboyants, si les morts et les ruines s’accumulent, des humains atteignent la rive espérant survivre à cet enfer. Mais sur la mer d’huile, bleue et déchaînée, on ne voit apparaître aucune voile salvatrice.
[**Daumier*] se souviendra de cette scène terrible dans « les émigrants  ». Delacroix connaissait-il « Le colosse  » (1808/1812), œuvre de cet autre visionnaire qu’était [**Goya*] ? L’hypothèse est séduisante mais rien ne permet de le certifier.

Même les couleurs utilisées suent le sang, complètement noircies et rendues hallucinantes, voire hallucinatoires, par la touche du peintre.
Nous insisterons sur un point : à la douceur, à la sagesse et à l’harmonie de l’hémicycle d’Orphée, répond cet enfer dantesque, ce délire peint, cette frénésie meurtrière qu’est l’hémicycle d’Attila. Ce qui signifie que l’artiste n’a pas encore maîtrisé tous les démons qui hantent son esprit et son âme.

La paix totale, la victoire définitive, ne seront conquis qu’à la fin de sa vie avec les travaux de Saint-Sulpice.
L’unité globale des décors de la bibliothèque du Palais-Bourbon, aujourd’hui l’Assemblée nationale, a été soulignée et appréciée par tous les critiques d’art de l’époque.

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Il y a unité de conception, de réalisation, de style (bien que l’artiste utilisa des aides comme [**Pierre Andrieu*]) et d’exécution. On y voit une volonté unique, celle de Delacroix, dirigeant le travail vers l’obtention du résultat désiré. Chaque tableau peut être admiré et contemplé individuellement, mais chacun est au service d’une démonstration globale : la puissance créative de l’esprit humain.

Toutes les forces qui traversent ces œuvres sont centripètes, concourant à donner à l’ensemble une unité organique puissante et à extérioriser le génie de l’artiste.
Au premier abord c’est surprenant, en y réfléchissant c’est logique : les décors de la bibliothèque n’eurent quasiment pas d’impact sur l’évolution picturale du temps. On dira que leur influence fut nulle. C’est que le génie de Delacroix était très en avance sur la période.

Malheureusement, la bibliothèque est peu abordable par le profane : il faut une invitation nominative pour y accéder, vu l’importance du lieu : un des sanctuaires de la République. C’est pourquoi ces décors sont si peu connus du grand public. On ne peut que le regretter, pour la grandeur de la République comme pour le génie de Delacroix.

[**Jacques Tcharny*]|right>


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**Présentation de Delacroix
***Film avec Robert Redford 1979.

Illustration de l’entête: Cul-de-four de la Paix. Peinture à l’huile et à la cire (7,35 x 10,98m). Orphée vient policer les Grecs encore sauvages et leur enseigner les Arts de la Paix. © Assemblée nationale – photo Laurent Lecat


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WUKALI Article mis en ligne le 06/09/2019

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