Humble cuisinier, super star, apôtre du social
Son nom est connu, il est vénéré dans le monde entier. Il était aussi à l’aise au Savoy, au Carlton et au Ritz que dans des simples auberges. Il a été le promoteur de l’art de vivre à la française et des produits.
Auguste Escoffier, assis à gauche, et sa brigade
Dynamique dynamiteur il a révolutionné la cuisine, l’a élevée au rang d’art, a repensé son organisation, la composition des plats et celle des menus. Il a considérablement amélioré les conditions de travail des prolétaires des fourneaux et a jeté les bases d’une sécurité sociale quelques dizaines d’années avant sa mise en œuvre.
Retour sur un personnage de l’histoire de France avec La vie savoureuse du roi des cuisiniers rédigé sous le haut patronage du Musée Escoffier de l’Art Culinaire librement adapté du film d’Olivier Julien pour Arte« Auguste Escoffier ou la naissance de la gastronomie moderne. »
Il m’en manquait un ! Un géant pour la période panthéon 1870-1930 avec comme point d’orgue Paris 1900. Je les trouvais isolés, esseulés ces deux monstres sacrés Clémenceau et Monet. Il manquait à ce beau duo d’Atlas quelqu’un pour porter avec eux cette période monde. Ils étaient comme « un grain de pop -corn éclaté avec une entaille » chanterait Jonasz.
L’arrivée d’un nouveau frère d’armes ravira ces deux compères, le Vieux Crabe et le Vieux Tigre. Il leur fallait quel qu’un comme eux : coruscant, flamboyant, révolutionnaire et disruptif. Je me suis rabiboché avec ce dernier terme depuis que je sais que dans sa forme intransitive (Disruptor), il s’apparente à « crever de rire ». Bref !
Monet disait de Clémenceau « ce n’est qu’un œil, mais Bon Dieu quel œil ! ».
Quant à Clémenceau, lui, n’était qu’un homme mais quel Homme debout et sans Bon Dieu encore !
Escoffier n’était qu’un cuisinier mais quel Bon Homme ce Cuisinier, le Bon Dieu des Cuistots !
T2 : Congruence entre le dire et le faire
A priori politiquement, philosophiquement, historiquement, géographiquement ils étaient opposés ces trois-là. Mais ils partageaient sans doute l’essentiel : de l’humanité, le sens et l’obsession.
A Clémenceau le sens du désordre, de l’ordre, de l’amitié, du devoir et de l’autre, de son apport comme celui des cultures les unes aux autres.
A Monet, le sens de la lumière, de la couleur, de la composition, de la décomposition voire de la destruction créatrice.
A Escoffier, le sens de l’organisation, du goût, des lettres et des chiffres si ce n’est des affaires.
Aux trois, les sens en éveil et celui de l’humour.
Pour les 3, l’obsession du Bien, du travail, de la rigueur et de la perfection.
Philosophiquement et politiquement éloignés. Pas si sûr !
Je vous vois venir. Clémenceau roulait en Rolls. Pas illogique. La voiture anglaise nous apprend la vraie conduite à gauche !
Escoffier, lui, entre le Ritz, le Carlton et le Savoy nous donnerait des cours sur l’extinction du paupérisme ? Pourquoi pas.
Il arrive à répondre à la question essentielle : comment être catholique, entrepreneur, vivre dans le luxe et appliquer la doctrine sociale de l’Eglise ? Un exemple. Question d’attitude, le travail, le respect dans l’humilité. Pourquoi en effet passer pour un nouveau riche alors qu’on était un ancien pauvre ?
Sa devise aurait pu être : pas d’ostentation, que le meilleur !
S’enrichir bien sûr mais pour le confort que cela procure, vivre à l’abri du besoin qui nous a tiraillé, voyager, conseiller, améliorer le sort de ses concitoyens (du monde) et transmettre.
Et puis avoir beaucoup d’humour, pour rire de ses clients sans se fâcher.
Disruptor, je vous dis !
T2 : Disruptor et Adaptator
L’intelligence est celle des situations et n’est qu’une science de l’adaptation.
Sa vie n’est une succession de rencontres, d’écoutes, d’échanges, d’intransigeance et d’humanité.
Auguste Escoffier est né le 28 octobre 1846 à Villeneuve-Loubet. J’apprends que c’était le Var, le comté de Nice n’était pas encore rattaché à la France. Je réalise alors que c’est pour cela que le Var tient son nom d’un fleuve qui ne s’écoule pas sur son territoire. « Le fleuve, c’est cool ! Et le bateau c’est chou ! ouh ouh ! » Merci les enfants… Très drôle. (L’auteur de cet article prie ses lecteurs de l’excuser pour ces interruptions filiales dues à une période de vacances propice aux échanges. )
La famille…
La sienne est faites de forgerons. Prédisposition au feu, addiction ?
Il rêvait d’être artiste, sculpteur, il n’avait pas le feu sacré de la cuisine disait-il. Pourtant de nombreux souvenirs et anecdotes nous montrent qu’il était fait de ce bois.
Avec quelque chose en plus, « aimer les gens » ce qui lui permit dès son apprentissage chez son oncle François, à Nice au Restaurant Français d’apprendre vite et bien et d’accepter l’adversité, les brimades et la violence.
Il échange avec les cuisiniers, les autres commerçants de cette ville multiculturelle, il s’éveille au monde. Il donne un coup de jeunes aux menus et leur présentation. Ses rares temps libres sont consacrés à la lecture et à aider un voisin, grand confiseur et pâtissier.
Puis il enchaine les saisons à Nice, « monte » à Paris en 1865 au « Petit Moulin rouge » rue d’Antin devenue avenue Franklin Delano Roosevelt. Un grand restaurant, un jardin, des doubles entrées dont celle rue Jean Goujon pour les discrets et discrètes ; trois étages, grandes salles au premier, des grands salons au second et une vingtaine de petits salons au troisième. La maison convenait autant « à ceux qui aiment la table qu’à ceux qui aiment à table ». Edouard VII, Abd el-Kader, le Comte de Paris, princes et princesses, mondains et mondaines dont Cora Pearl, la grande horizontale. Il invente en son honneur « les noisettes d’agneau Cora » : noisettes dans un carré d’agneau, dressées dans des cœurs d’artichauts et pour garniture lamelles de truffe et rognons de coq rissolés. Quand des rognons de ces coqs garnissent un agneau offert sur cœur d’artichaut, c’est du bonheur à l’état pur.
Coquin le catho !
Mais, l’envers du décor est rude : brutalité, grossièreté, alcoolisme. Cela changera lorsqu’il prendra les rênes du restaurant. Changement d’ambiance en 1870 ; il est engagé comme Chef de cuisine de la 2e Section d’Etat Major. Il est à Moulin-les-Metz et à Gravelotte. Il apprend à faire bien avec rien, à assurer le « ravito » à s’approvisionner avec la pénurie, prévoir pour ne pas subir. Mais en temps de guerre on ne peut tout prévoir. La basse-cour constituée ne dure pas le temps du conflit. On abat les chevaux.
Il invente des cuissons, des garnitures, il accommode les restes des restes des restes. Avec des navets, des fruits secs, du cheval et un demi-litre de chèvre, il invente 100 recettes !
Un exemple : le Riz à la Lorraine. Une timbale où il alterne les couche de riz au lait de chèvre et de confiture de mirabelles, terminant par une couche de compote de pommes ou de poires saupoudrée d’un peu de biscuit militaire écrasé en guide de chapelure.
Puis c’est l’Allemagne, Coblence, prisonnier. Puis Wiesbaden. La guerre finie, on le retrouve comme Chef dans les cuisines de Mac-Mahon pour éviter le Commune. Ville d’Avray, un séjour à Nice puis il retourne au Petit Moulin Rouge et devient Chef de cuisine à 27 ans.
Il crée de nombreux plats en hommage au glorieux convives (fidélisant ainsi sa clientèle).
En 1876, à 30 ans, il achète Le Faisan Doré une « maison de comestibles » à Cannes. Il y consolide sa science des produits et de la logistique, des achats, des produits. Il se marie à Delphine, la femme de sa vie. Poétesse et fille d’éditeur… Un Cuisinier et les belles lettres !
Les épreuves de la vie le conduisent à vendre Le Faisan dorée et à rejoindre la Maison Chevet, grand traiteur. Il apprend les repas pour plusieurs centaines de couverts.
Puis Jean Giroix quitte le Grand Hôtel de Monte Carlo, il recommande alors Escoffier à Ritz. La rencontre ! La science du service, l’idée de marier gastronomie et hôtellerie de luxe. La Riviera, François-Joseph, l’Impératrice Elisabeth, François, Roi des Deux-Siciles, la Reine Victoria, le Prince de Galles, l’Empereur du Brésil, de grands ducs, Katinka, étoile de la danse, Sarah Bernhardt, Réjane, quelques cantatrices viennent à Monte-Carlo. Chacun aura son plat !
Escoffier est libre, il innove raffine, allège, élimine… va à l’essentiel.
Et puis c’est le Savoy à Londres. La qualité de l’accueil, le client avant tout. Pas deux fois le même menu… Les grands de ce monde suivent.
II fait manger des grenouilles aux Anglais enfin, des Cuisses de Nymphes à l’Aurore.
Il met à l’honneur les produits français. Le canard de Rouen devient une évidence sur les étals des volaillers londoniens.
Puis toujours le« naming » ; la Pêche Melba pour la cantatrice australienne du même nom. Après une brouille de Ritz avec ses associés ; départ pour Paris… Place Vendôme. Dans les cuisines, lampes électriques mais du charbon sous les fourneaux, pas de gaz et batteries en cuivre : « l’aluminium et l’émail sont employés dans les cuisines où la main d’œuvre fait défaut. Comme ce n’est pas le cas chez nous, nous ne visons qu’à obtenir une cuisine parfaite ».
Un succès extraordinaire : « les cordons bleus de maisons particulières se livrent au plaisir du tricot maintenant que leurs maîtresses ne reçoivent plus qu’au Ritz ».
Puis c’est le Carlton à Londres, sept étages, six cents fenêtres, des coupoles, des colonnes corinthiennes, d’immenses appartements avec une salle de bains dans chaque chambre. Quant à Escoffier, comme un moine à sa journée scandée par ses habitudes, a l’excellence comme obsession. Et cela de 6h 30 à minuit. Arpentant les cuisines, les couloirs et les rues de Londres pour visiter ses fournisseurs. A heure fixe, on dit que les policemen le reconnaissant arrêtaient la circulation pour lui permettre de traverser aisément la rue.
Et cela pendant 20 ans.. avant une retraite active ; sur active. Jamais fatigué, toujours en marche ou en course pour promouvoir dans le mode entier l’excellence et les produits made in France tout en reconnaissant et rechercnhant les beautés et l’intelligence du monde. Même sil n’a jamais caché une certaine fierté cocardière.
T2 Inventor et Disruptor
En 1875, Escoffier invente la tomate concassée en boite ; il lui faudra 15 ans pour trouver un fabricant. Plus tard, il collabore avec la société Maggi. Il est soucieux de bien nourrir le plus grand nombre. Julius Maggi, minotier suisse, a mis au point des farines de légumineuses, des potages prêts à cuire ; il a, quant à lui, besoin de validation gustative.
Il anticipe aussi l’évolution de la cuisine : « sans cesser d’être un art, elle deviendra scientifique » et « évoluera comme évolue la société elle-même ». Visionnaire !
C’est le père de la gastronomie moderne. Il avait peut être compris que 100 ans après le meilleur restaurant du monde serait certes français mais tenu par un sud-américain (Mauro Collagreco) à Menton qui travaillerait beaucoup de produits italiens.
Revenons un instant sur ses exigences comportementales et organisationnelles.
Une tenue propre, pas d’alcool, pas de tabac dans les cuisines. Du respect, de la douceur plus de véhémence encore moins de violence.
On lui doit aussi l’invention de la brigade de cuisine, une organisation devenue un standard qui n’a jamais été remis en cause et qui continue à régir les grandes tables du monde entier. Répartition ou division du travail tayloriste ? Pas du tout, efficacité, exigence de l’excellence et liberté dans le périmétrage des actions.
Excellence, efficacité, reconnaissance et épanouissement.
Il réinvente aussi le dressage, il milite pour l’allègement des sauces, la simplification des menus, l’attention portée à la diététique et aux équilibres alimentaires, la promotion des terroirs et des produits authentiques.
Et il invente avant Bocuse et Top Chef le cuisiner super-star ! C’est son héritage. Et quel héritage. Et puis et puis, il publie une brochure « Projet d’assistance mutuelle pour l’extinction du paupérisme » engagement chrétien, catholique social. Humilité malgré la gloire.
Voici comment un livre choisi à la va vite Librairie de Paris place de Clichy avant un départ non préparé le lendemain tôt fait découvrir un personnage, une vie, une aventure et nous donne envie d’aller plus loin dès son retour. De lire, de tout lire et de cuisiner. Partager.
Vous rêviez d’être artiste Monsieur Escoffier.
Vincent Van Gogh disait « plus j’y réfléchis, plus je sens qu’il n’y a rien de plus réellement artistique que d’aimer les gens ».Certains mauvais coucheurs disent qu’il n’y a rien de pire que d’assouvir ses rêves. Vous saurez j’en suis sûr, en toute humilité, vous contenter du meilleur.