Moi, Lui, L’Autre, un thème romanesque rebattu mais ici admirablement traité
Peut-il y avoir une vraie amitié « platonique » entre un homme et une femme ? Une relation entre deux êtres dans laquelle il n’y a aucun sous-entendu, aucune attente plus ou moins consciente, sexuelle ? Vaste sujet, maintes fois abordée dans la littérature, et vécu par plus d’un être humain. C’est le thème, le sujet qu’a choisi de traiter l’auteur belge, flamand, Stefan Brijs, dans son dernier roman : L’année du chien.
Paul, professeur de néerlandais dans un collège, est en train de vivre une rupture d’autant plus difficile qu’il ne l’a pas vu venir, qu’il n’a pas su analyser les signes montrant que sa femme avait un amant.
Ava, jeune médecin, sort, elle aussi, d’une rupture, la X ième avec son petit-ami. Paul a une perception de l’amour autour du partage et d’une certaine routine, De fait, il ne se fait pas de grandes illusions : « A la saison des prîmes amours, on recherche le plus grand dénominateur commun, mais on finit par aboutir au plus petit. »
Ava, elle est entière, elle confond amour et passion, le sait, mais tout son être refuse l’idée que la passion n’est qu’un feu de paille. Elle veut vivre encore et encore et toujours les élans, l’abandon total des premiers instants. Elle a essayé avec son ancien ami de mettre en application ses aspirations, mais en vain. C’est une impulsive, qui essaye de maximiser le moment présent, sans réfléchir aux conséquences, aux lendemains : un inconnu lui plaît : elle couche avec lui ; on cherche un médecin pour une mission humanitaire à Haïti, elle s’y précipite, quitte à revenir malade quelques semaines après.
Paul et Ava se rencontre dans le cinéma d’art et d’essai qu’ils fréquentent assidûment. Naît entre eux une amitié des plus ambigües, qui tacitement exclut toute idée de relations physiques. Ils se confessent l’un l’autre, elle vient régulièrement vivre chez lui, dans la chambre d’amis, ils se réconfortent, s’éloignent, reviennent. Ava pousse Paul à avoir une histoire avec une autre femme. Mais chaque tentative se solde par un échec. Et puis Ava tombe amoureuse de Bernard, l’anti-intellectuel, qui se montre dés la première rencontre d’une totale jalousie vis-à-vis de Paul, qui, de fait a tout du manipulateur, mettant Ava en prison et sachant la faire revenir quand elle essaie de vivre suivant ses aspirations.
C’est une très belle relation qui unit Paul et Ava, mais où se trouve exactement la ligne rouge qu’il ne faut surtout pas franchir ? De fait, le lecteur comprend très vite que Paul est amoureux d’Ava, et toute les fois qu’il le nie, montre bien que son inconscient lui dit l’inverse. Ce qui apparaissait être une relation équilibrée, ne l’est certainement pas tant que ça. Et combien ont cru à cet équilibre dans une relation totalement asexuée et qui à force de complicité, de partages ont franchi allégrement la ligne rouge. Combien on souffert d’être les seuls à avoir déroger à la règle tacite et pas l’autre ? Pour que l’équilibre ne se rompe pas, on se ment à soi-même et à l’autre, pour préserver ces moments de complicité, de bonheur qui nous éloigne de notre solitude. C’est exactement ce que fait Paul.
Stefan Brijs signe un beau roman, plein de pudeur, de profondeur. Soit, il cite souvent des auteurs flamands, peu connus dans l’Hexagone, Et en plus,cerise sur le gâteau, il ose critiquer un monument de la littérature francophone. Plus d’un pense comme lui, mais ce serait blasphémer que d’oser avoir sa sincérité : « Le petit prince d’Antoine de Saint-Exupéry, une histoire à quatre sous, mal écrite regorgeant de phrases pseudo-philosophiques ampoulées, du genre « Les étoiles sont belles, à cause d’une fleur que l’on ne voit pas » ou « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible à l’œil nu. »