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Un autoportrait de Rembrandt retrouve son authentification

par Pierre-Alain Lévy

Un Rembrandt, un autoportrait, bientôt en vente à Londres. Le monde du marché de l’art et de la conservation frétille dèja en attente de la vente qui aura lieu chez Sotheby’s Londres le 28 Juillet prochain et où sera mis en vente un autoportrait de Rembrandt datant de 1632.

S’il est un domaine qui suscite la curiosité du public et fait les choux-gras des journaux, c’est bien celui du commerce des oeuvres d’art ou pour être plus précis celui de ces oeuvres révélées être celles authentiques de la main de grands artistes, à l’occasion de leurs ventes ou d’une mise aux enchères rendues publics.

On oscille parfois entre considérations scientifiques, preuves apportées, analyses affinées, débats d’experts contradictoires et c’est très bien ainsi, et des desiderata, disons-le tout de go, d’un autre ordre.

De belles surprises aussi et des reconnaissances enfin établies

L’oeuvre de Rembrandt (1606-1669) est bien documenté et a fait l’objet d’un travail de recherche scientifique considérable. La publication du premier tome en 1982 d’un gigantesque corpus scientifique consacré à l’oeuvre de Rembrandt, le Rembrandt Resarch Project est à cet égard significatif.

L’histoire de cet autoportrait de Rembrandt daté de 1632, est particulièrement intéressante, il sera mis aux enchères chez Sotheby’s à Londres le 28 juillet prochain. Son estimation est donnée entre 15 et 20 millions $ il avait été acheté 650£.

Comme bien souvent cela débute comme dans un conte de fées mais sans il était une fois…!

La peinture mesure 21,8 cm de haut pour une largeur de 16,3 cm.

L’autoportrait a ainsi été acheté lors de la vente Vinot qui se déroula à Paris du 26 au 30 janvier 1891. Son acquéreur était Henry Brand, second viconte Hampden,un parlementaire britannique. Au dos de la toile est indiqué le nom de l’acquéreur ainsi que le jour précis de l’achat le 29 janvier 1891.

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Autoportrait de Rembrandt de 1632.


Une seconde vente le 8 avril 1970 chez Sotheby’s à Londres. Comme l’oeuvre n’avait alors point fait l’objet de publications, le portrait est vendu comme « attribué à Rembrandt », nuance sémantique, juridique et de valeur considérable s’il en est. L’historien d’art Gary Schwartz rapporte que la maison de vente indique alors dans sa description et l’attribution de l’oeuvre : « Portrait de Rembrandt » par REMBRANDT, et non point « Portrait de l’artiste » avec l’indication d’attribution par REMBRANDT HARMENSZ. VAN RIJN. En outre une absence de publicité sur cette oeuvre, laissant présumer un manque d’intérêt des commissaires priseurs. Pour mémoire et sur un tout autre sujet, celui de la littérature par exemple, des livres tel « À la recherche du temps perdu » de Marcel Proust, pourtant le plus grand succès d’édition de tous les temps, n’ont pas été compris par les premiers éditeurs auprès de qui ils ont été présentés et qui les ont refusés !

Cet autoportrait est acheté en avril 1970 par le marchand d’art parisien Jacques O. Leegenhoek pour la somme de 650£ . Le Rembrandt Resarch Project émet des réserves alors sur l’attribution à Rembrandt. Pour l’acheteur en revanche il s’agit bien d’un authentique Rembrandt. Et le temps passe…

La conviction d’un acquéreur convaincu

Ne voulant pas se défaire d’une oeuvre qu’il affectionne mais mal considérée, le marchand et acheteur Jacques O. Leegenhoek offre l’autoportrait de Rembrandt à son épouse. Cette petite peinture ira orner dans un premier temps la cuisine familiale avenue Kleber à Paris jusqu’en 1982, puis ensuite rejoindra les cimaises de l’appartement qu’ils possèdent Quai Voltaire au dessus de leur magasin d’antiquités. La peinture est connue par certains de leurs visiteurs qui passent devant sans s’y intéresser.

En 1977 le Rembrandt Research Project dans le cadre d’une étude internationale ré-examine le dit autoportrait. Sur cinq personnes qui doivent donner leur avis, une voix s’exprime en faveur de l’authenticité, celle de Ernst van de Wetering ,  historien de l’art néerlandais, spécialiste de l’oeuvre peinte et gravée de Rembrandt.

Les cinq experts dont Bob Haak, l’un des fondateurs du RRP ( Rembrandt Research Project) examinent avec la plus grande attention l’oeuvre. Tout y passe, les comparaisons entre les peintures authentifiées de Rembrandt et les peintures d’atelier, le costume porté par le personnage, le style, la qualité et les touches de peinture.

Bien sûr, ce portrait est signé et daté, ces indications apparaissent à mi-hauteur sur le côté droit. Ainsi on peut lire: « Rembrant . fv. / 1632 » et ont été apposées sans le moindre doute sur la peinture encore humide, donc au moment même de la création de l’oeuvre par l’artiste et non point a posteriori, argument important pour établir l’authenticité.

Par ailleurs, l’orthographe du nom de Rembrant sans le pénultième D n’a rien de troublant. Ainsi on connait trois oeuvres que Rembrandt a peintes entre 1632 et 1633 et qui ont été signées avec cette orthographe. Rembrandt à cette époque est dans sa période d’ascencion sociale et connait un grand succès, ses peintures sont prisées, les notables d’Amsterdam ou de Leyde aiment à venir dans son atelier poser pour se faire peindre, comme ils le font aussi avec le grand et célèbre portraitiste du temps, le grand ainé, Franz Haals. C’est qu’ avoir son portrait peint par un grand maître c’est non seulement l’expression d’une accession au pouvoir social mais surtout le signe d’une reconnaissance de notoriété.

Parallèlement pour l’artiste, la multiplicité des autoportraits que l’on connait de lui pourrait être interprétée comme un indicateur de célébrité, une forme en quelque sorte de publicité. Il devient tout doucement le peintre à la mode. C’est pour Rembrandt le temps du bonheur, celui où il fait la connaissance de Saskia avec laquelle il se mariera le 22 juin 1634.

Un acmé qui ne durera guère, le temps d’un mariage heureux. Rembrandt amoureux de la belle Saskia son épouse tendrement aimée, celui de la naissance du fils attentionné le charmant Titus, qui lui aussi deviendra peintre et travaillera dans l’atelier de son père. C’est le temps du succès et de la richesse prodigue et bienvenue, il faut en profiter.

La réception de La Ronde de Nuit mettra fin à tout ce bonheur. Alors débutera le temps du malheur, du deuil, de la pauvreté et aussi de la résilience, avec Hendrickje Stoffels, la bonne servante-maîtresse.

1997, les temps ont changé, l’heure n’est plus à l’indifférence blasée, il faut en savoir plus sur cette cette peinture sur bois, surtout il faut être en mesure de la dater, les moyens modernes et techniques d’imagerie scientifique dorénavant le permettent.

Cet autoportrait de Rembrandt a été présenté dans deux expositions :
Rembrandt by himself/Rembrandt zelf, 5 juin 1999–5 septembre 1999, National Gallery, Londres, 25 septembre 1999–9 janvier 2000, Koninklijk Kabinet van Schilderijen Mauritshuis, La Haye, Cat.n° 34.
Rembrandt en Uylenburgh, handel in meesterwerken, 16 septembre 2006–10 décembre 2006, Museum Het Rembrandthuis, Amsterdam.

Cet autoportrait sera vendu pour $2.500 000 par madame Leegenhoek, puis peu après mis en vente en Septembre 2005 au Tefaf  de Maastricht ( foire internationale d’art) sur la galerie Noortman il atteindra un prix de  $10 million.

Pour étoffer la connaissance de cette peinture, le collège expert du RRP décide avec l’accord du propriétaire de faire procéder à un examen dendrochronologique du portrait. En d’autres termes, de dater avec une précision à l’année près du panneau de bois par l’analyse de la morphologie des anneaux de croissance (ou cernes) du bois. C’est une méthode scientifique qui sert aussi à connaître l’histoire climatique en examinant ainsi la croissance des cernes des arbres, donc des bois, évoluant selon les différences de températures par exemple selon les saisons.

La peinture est confiée au grand spécialiste de cette technique, le professeur Peter Klein à Hambourg. L’analyse durera trois ans. Quand il présentera ses conclusions, la surprise sera grande. Le panneau de bois sur lequel est peint cet autoportrait provient du même arbre que Rembrandt a utilisé pour le portrait de Maurits Huygens, un Rembrandt incontesté et aujourd’hui exposé au Hamburg Kunsthalle.

Un examen dendrochronologique de ces deux peintures de Rembrandt, autoportrait à g. et portrait de Maurits Huygens à dr. a permis de déterminer que les panneaux de bois proviennent du même arbre

D’une façon générale, dans l’authentification d’une peinture ou à contrario ce qui arrive parfois, dans la désattribution de la paternité d’une oeuvre, il convient de se poser quelques questions.

Bien sûr les considérations sur les matériaux de support, bois ou toile, l’origine et la qualité des peintures ou des pigments utilisés, techniques, picturales et de style sont essentielles, et à cela s’ajoutent l’examen de la signature (quand elle existe) la connaissance historique dans le sens temporel, des peintres contemporains de l’artiste comme des peintres d’atelier. Parfois une même oeuvre a pu en son temps être reproduite, voire être reprise par plusieurs mains d’artistes. Tous les détails de représentation iconographique comptent dont certains apportent des indications d’histoire.

Les nouvelles techniques d’imagerie scientifique, à l’oeuvre dans les plus grands musées du monde ( et dont le C2RMF au Louvre à Paris est exemplaire) à savoir 3D de surface, tomographie, imagerie hyperspectrale, photographie Haute Définition, sont devenus des modes d’exploration rien moins que parfaits. Ces techniques d’imagerie permettent notamment de voir ce que l’oeil humain ne perçoit pas, c’est à dire voir sous la couche de peinture, découvrir les repentirs, les premières ébauches, les réparations éventuelles, les différentes couches de peinture.

La place documentaire permet d’historier l’oeuvre proprement dite ainsi que tous éléments de biographie de l’artiste, de la connaissance du temps et de la société dans lequel il évolue. Correspondances, échanges scripturaux commerciaux, lettres de commande, les catalogues d’exposition sont à cet égard des sources d’une très grande richesse. Les experts eux-mêmes par leur réputation contribuent à l’émergence ou non de l’oeuvre dont ils ont à connaître.

Nous ne voudrions pas oublier un tout autre aspect attaché à la notoriété d’un artiste ou de ses peintures, à savoir le facteur sociétal, c’est à dire ce qui a trait à la pression subliminale que le succès d’un artiste ou la valeur de son travail peut apporter l’air de rien au ressenti de l’expert qui doit se prononcer. Nous ne manquerons certes pas de mentionner le marché de l’art et ses tendances qui peuvent exercer certaines influences. À cet égard nous avons traité dans WUKALI à plusieurs reprises de l’affaire du Salvator Mundi, attribué bien légèrement à Léonard de Vinci, et en symétrie homothétique opposée au poids de la masse monétaire ahurissante de sa vente…

Remarquons au demeurant que si dès le départ de cette affaire nous avons remué dans les brancards contestant l’attribution à Léonard et en apportant les preuves ; force est de constater qu’après la tempête médiatique autour du prix accadabrantesque de sa vente, les nouveaux regards qui l’entourent sont rien moins que circonspects et nous donnent raison…

Avant que de conclure, nombres d’exemple de translation d’attribution dans l’histoire de l’art d’un artiste à un autre. Parmi les plus connus citons Le concert champêtre de Titien un temps attribué à son maître Giorgione. L’exemple le plus fameux, mais cette fois ci hors du champ de la peinture, c’est en musique le célébrissime Adagio d’Albinoni (1671-1751) et en réalité composé en 1945 par un certain Remo Giazotto, mais c’est là une bien autre histoire.

Alors rendez-vous en juillet pour connaitre le prix de cet autoportrait vendu à Londres !

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