Tissot à Orsay, vous savez quoi ? Ça fait du bien !
Bien que masqué, bien que gel alcoolisé, ça fait du bien de les retrouver.
Tous, Monet, Manet, Pissarro et même Gauguin et Van Gogh et puis Cézanne. J’aime moins mais ça fait du bien. Et puis ce fut l’occasion d’un moment précieux avec Sérusier que Guy Goffette dans Elle, par bonheur, et toujours nue (Editions Folio) que j’ai retrouvé pendant le confinement décrivait comme l’intellectuel de la bande des Nabis.
James Tissot est né à Nantes, célébré en Grande Bretagne ou aux Etats-Unis, régulièrement représenté en France parmi d’autres, voici la première rétrospective qui lui est consacrée depuis 35 ans.
Bref, un dimanche après-midi de juillet au musée d’Orsay. Quelle beauté ! Mais à l’origine on était venus pour Tissot « L’ambigu moderne ».
Et oui, on devait se rencontrer en mars, ce fut en été. J’imaginais bêtement que l’artiste fût britannique. Je connaissais que deux tableaux de lui so british. Et puis Tissot, on l’imaginait mécanique, précis. C’est une montre suisse après tout. Pour les experts comptables ou les spécialistes de la paie c’est une maison d’édition qui l’est tout autant, précise, mécanique mais accessible. Quant au rêve.. passons.
Je vous l’avoue, on l’imaginait avec Hélène, né sur la Tamise et à faire un boulot traditionnel, un témoignage de la vie victorienne faite de régates et de faux culs. On avait donc en tête deux tableaux. Le premier sur le HMS Calcutta (qui portait bien son nom du coup) et puis et surtout on avait en tête The Ball on Shipboard de la Tate. Des drapeaux sur un beau bateau… très chouette. So British. On aime bien mettre les gens dans des cases. Rassurant.
Et puis, dans le serpentin sanitaire qui nous en séparait nous (Zoé, Hélène, Roman, Inès) j’apprends sur une page wikipedia trouvée à la va vite à flanc d’un Enterrement à Ornans que l’ami James était né à Nantes sous le prénom de Jacques-Joseph. Jacques-Joseph… Les prénoms du frère et du père du Christ accolés. On y reviendra !
Un choc. Inclassable: commune, japonisme et ère victorienne
James Tissot c’est un peu le Proust de la peinture. Inclassable dans l’histoire de l’art. Un brin « chiant » faut le dire mais intriguant, envoutant, décevant et flamboyant.
À vrai dire le gamin est doué. Il est pétri de talent. Ça se voit, ça se sent. Ses parents drapiers l’envoient à Paris. Le gamin c’est Ingres en miniature. Il y a aussi du Jean-Paul Laurens en lui, celui qui illustrait un de mes livres d’histoire.
On voit des scènes gothiques et puis on a un peu le sentiment comme quelques critiques de l’époque qu’il fausse son talent « en pastichant des anciens archaïques ». Regardons quand même Voie des fleurs, Voie des peurs, une danse macabre comme on les aime. C’est Baudelaire :
Comme un ruisseau lascif qui se frotte au rocher,
Défend pudiquement des lazzis ridicules
Les funèbres appas qu’elle tient à cacher.
Sans le moindre des doutes on se jette tête baissée. Foin de lazzis et quolibets. On aimes ses colifichets. Lui, il aime le Quatrocentto, les Flamands. On ne va pas l’en blâmer. On sent qu’il travaille, travaille. Ses exquises esquisses en témoignent. Il accumule. Il en fait trop c’est certain. Mais il apprend. Un jour, avec les sujets modernes il trouvera. Il trouvera sa voie. Et s’il y a un pays où la voie est essentielle. C’est le Japon.
Alors, comment résister ?
Dès le début des années 1860, il est des premiers dans les cercles japonisants. On sent dans le portrait de Degas le même attrait en ne le laissant pas voir que Manet reprend pour le portrait de Zola au même moment. Troublant.
L’ami Jacques Joseph s’enhardit, il peint un nu la Japonaise au bain (on doute un peu de l’origine du modèle). Encore Ingres.
Et puis il y a Femme tenant des objets japonais. On sent une vision un peu plus aboutie et moins ingénue que les premières découvertes boutiquières des grands boulevards.
De fait le traumatisme. 1870 et surtout 1871.
Pas l’année terrible de Hugo mais certainement celle de Tissot.
C’est pourquoi il est hanté par les spectres, les morts, les violences, les destructions, les exécutions comme celle des Communards devant le bois de Boulogne…
On raconte qu’il fût communard bien qu’appartenant à la garde nationale.
A cause de cela sans doute, en 1871, il part pour Londres. Deuxième voie.
Londres
C’est qu’en effet on voit des « narratives paintings » naturalistes. On sent que Tissot a fait ce qu’on attendait de lui. Mais l’anglais est malgré tout plus nuancé que ne le fait penser l’a priori. Il y a pour cela Too Early. Il met en scène des invités à un bal arrivés trop tôt. Embarras, distanciation sociale… Désolé pour la gêne occasionné. L’ Anglais adore non ? Gros succès.
Même cette chère Berthe Morisot en voyage de noces à Londres le note : « Tissot qui fait de très jolies choses, qu’il vend fort bien et qui est installé comme un prince ».
Certes, il a donc tout compris. Portraits, scènes de régates, la Tamise on l’a vu. Il côtoie Whistler qu’il avait connu à Paris, Millais (ahhh Ophélie), Alma-Tadema (émois d’adolescent) tout va bien.
La Fabrique de l’image comme on aime, ça fonctionne. Sympa Le Croquet. Également élégant, festif mais il demeure chez lui un grain de je ne sais quoi.
Alors bien sûr ce n’est pas les Impressionnistes « baclant » les contours, il est top fier de sa technique.
Mais ce n’est pas lisse. Il ne dénonce pas (on ne peut se fâcher avec la moitié de son chiffre d’affaires), il est précis, sans tomber dans la laborieuse représentation photographique par top minutieuse. Il révèle avec fidélité, mais en s’amusant un peu et sans en faire des caisses symbolistes comme les anciens.
D’autre part il tombe amoureux ; Kathleen Newton est de tous ses tableaux pendant 6 ans.
On aime October¸où elle EST dans une nature mordorée à souhait. Elle est « sirène aux bas de soir noire et aux talons hauts » comme la Trinity de Montréal qu’elle devint. Kathleen se consume sous nos yeux. Cependant elle meurt de la tuberculose 7 ans plus tard. Seul et fou de douleur, il rentre à Paris.
La femme à Paris
Après quelques années de recherche introspective, Tissot se lance dans une projet novateur et ambitieux. 15 tableaux pour présenter l’archétype de la Femme à Paris. Ces tableaux étaient accompagnés de nouvelles. Aidé en cela par son ami Daudet, il recrute Gounod, Sully Prudhomme, Aurélien Scholl etc.
Alors bien sûr on y voit des cocottes, c’est un peu plat disent certains voire trop anglais… Notons tout de même Ces dames des chars, hippodrome de l’Alma (inconnu de nous) contre-plongée, cadrage photographique. Pas si mal.
Un zozo qui se la pète sur un trapèze (Les Femmes des sports) quelques scènes d’intérieur, de boutique et de restaurant où l’on reconnait Rodin. On passe un beau moment, mais Gervex fait cela avec plus de talent et de manière un peu plus … française. Oh la la Paris.
Il manque d’un « je ne sais quoi ». Un je ne sais quoi qu’il trouve peut-être, après l’avoir cherché dans le spiritisme, à Saint-Sulpice.
Les aquarelles bibliques
Cependant à la recherche d’un je ne sais quoi (donc) pour illustrer sa série la Femme à Paris, en pleine eucharistie, l’ami Jacques-Joseph voit le Christ se pencher sur un couple de paysans dans le besoin.
« Cela s’est produit d’une manière mystérieuse, que je ne prétends pas comprendre (…) La vision m’a poursuivi même après que j’eus quitté l’église. (…) J’ai essayé de l’effacer, mais elle est revenue avec insistance. Finalement, j’ai été prise de fièvre, et quand je me suis rétabli, j’ai peint ma vision. »
Eloï, Lamma Sabachtani ? Certes, on ne comprend pas plus, mais mieux.
Nouveau point de vue. Point de vue, image d’un monde qui ne sera jamais plus celui qu’il fût
A méditer ! A méditer même un dimanche du mois de juillet.
Qu’il est si bon de vous revoir, de s’évader et de se retrouver
James Tissot
L’ambigu moderne
Musée d’Orsay / jusqu’au 13 septembre 2020. Paris.