Déja avec ce titre et son sous-titre, nous savons que nous allons être surpris, choqués, ébaubis,interpelés comme on le dit avec caricature : Quand la charité se fout de l’hôpital–Enquête sur les perversions de la philanthropie (éditions Rue de l’échiquier). Non, ce court texte n’est pas une enquête, loin de là, ou alors une enquête bâclée, d’une neutralité, d’une objectivité dignes de certains reportages télévisuels comme « Complément d’enquête » sur France 2 qui brillent par leur idéologie qui transpire derrière le faible vernis d’une respectabilité auto-proclamée due à la possession d’une carte de presse.
Non, ce n’est pas une enquête, et en plus l’auteur Vincent Edin n’est pas policier et encore moins juge. On doit lui reconnaître une vraie légitimité quand il disserte sur la philanthropie car, avant d’être journaliste, il a travaillé dans ce milieu. Il le connaît bien, en profondeur.
Non ce n’est pas une enquête mais un pamphlet, un pamphlet que n’aurait pas renié Paul-Louis Courrier, car c’est un pamphlet incisif, d’une profonde mauvaise foi, totalement caricatural, sans grandes nuances, rempli de vérités toutes faites, de comparaisons plus qu’osées, de faits vus par le minuscule bout de la lorgnette, de traficotages de chiffres et somme toute remarquablement bien écrit.
C’est une vraie réussite que l’on se doit de saluer, et critiquer aussi, mais n’est-ce pas là même le but du pamphlet? Développer un fait jusqu’à la caricature pour infléchire le lecteur et le pousser à faire évoluer son jugement vers une vision nettement meilleure (pour l’auteur du pamphlet qui, ici, se montre bien franco-centré avec des idées que d’aucuns jugeraient de gauche voire de la gauche de la gauche. Cependant je remarque que moi-même en le voulant le mettre dans une catégorie politique, je me comporte à mon tour en personne totalement franco-centrée).
L’idée centrale de ce pamphlet à travers les exemples donnés américains et français implique que la philanthropie a un but, asservir l’humanité aux fantasmes des riches en se cachant derrière un masque d’humaniste, alors qu’il faut revenir à la solidarité.
Bien sûr, aucun de ces concepts n’est défini ni mis en perspective. Ainsi, la différence entre philanthropie et charité n’est pas définie et pour cause puisque on devrait aller vers des concepts théologiques. La philanthropie est un concept très marqué idéologiquement, il nous vient du protestantisme en général et du calvinisme en particulier.
A l’inverse la charité qui est catholique, avec le temps et le siècle des Lumières, a évolué vers le concept de solidarité. Et cela explique grandement ce que remarque l’auteur : la philanthropie s’est développée aux États Unis d’ Amérique et ne fait qu’effleurer l’Hexagone. Et dans une société de castes comme l’Inde, est-ce que ces concepts veulent dire quelque chose ? Pas grave si on met à part un sixième de l’humanité. Et je ne parle pas des sociétés de culture islamique où la philanthropie ne peut exister et dans lesquelles la solidarité est individuelles et non affaire d’État. Car bien, sûr, seule la solidarité centralisée, jacobine a grâce aux yeux de Vincent Edin, et la philanthropie a tous les vices du privé.
Donc les méchants milliardaires (« qui n’auraient jamais dû devenir si riches » (page 75), selon des critères bien sûr non définis par l’auteur qui assène sa vérité sans aucune explication autre que morale pour faire croire que c’est la vérité) n’ont qu’un but : s’enrichir encore plus, frauder le plus possible et donner des miettes aux autres en enrobant leurs dons sous un discours humaniste. Pas faux, soyons sincère. Mais très caricatural aussi.
Ainsi, comme beaucoup, Vincent Edin mélange allégrement et volontairement fraude fiscale et optimisation fiscale : la première est un délit, l’autre n’est que l’application de lois (et la solution n’est-ce pas de changer la loi ? Toutes les lois, comme les abattements fiscaux pour les journalistes : soit ils ne sont pas milliardaires, mais ils bénéficient, comme ces derniers d’une niche fiscale leur permettant de payer moins d’impôts et donc (si on suit l’auteur) de mettre à mal l’hôpital public.
Dans ce cas, y aurait-il de bonnes lois fiscales (pour les journalistes par exemple) et de mauvaises (que pour les milliardaires) ? Et la fraude fiscale : comment se fait il que l’auteur omette que seulement 90% de celle-ci est due à la fraude à la TVA ? En France si tout le monde payait la TVA « normalement », il n’y aurait aucun déficit budgétaire. Mais ces fraudeurs ne sont pas des milliardaires et bien plus difficiles à stigmatiser et à jeter en pâture au peuple !
N’oublions pas que à l’en suivre, un peu par principe, un des plus grands fraudeurs au monde est Bill Gates. Non seulement, il ne paie pas ses impôts (ce qui reste à prouver), mais comme il est très riche, il finance des programmes médicaux en Afrique contre le paludisme. On aurait pu penser que c’était bien. Que nenni, quelle erreur, car il soigne avec des médicaments qui coûtent chers au détriment de la médecine traditionnelle locale. Peu importe qu’avec ces dernières, il meure une personne par heure du paludisme et que la vaccination gratuite fait reculer cette maladie !
Bon j’aurais tant à dire au niveau de certaines contradictions : on a bien montré que les états fédéraux ont une gestion plus pragmatique, voire efficace de la première vague de la pandémie de la covid 19, mais pour Vincent Edin rient ne vaut un bon état bien centralisé et plus redistributif que la France, pays le plus redistributif de l’OCDE. Vive Cuba !
Et que dire des vilains actionnaires qui ne pensent qu’à faire des bénéfices. C’est un peu vite oublier que les principaux fonds d’investissement sont des fonds de pension qui servent à payer une retraite à leur mandants. Et oui, rare sont les pays qui ont une sécurité sociale comme en France ! Dommage que le droit français ne règne pas dans strictement tous les pays sur la surface du globe.
Au niveau des économistes, bien sûr que nous avons droit à Thomas Piketty et au capital au XXI siècle (sans bien sûr, faire référence aux dénonciations de tripotages des chiffres, aux comparaisons entre des torchons et des serviettes (comme le fait parfois Vincent Edin) qui ne veulent rien dire si ce n’est déformer les faits pour qu’ils rentrent dans le concept idéologique défendu. Tout cela n’est en fait qu’une vieille méthode pratiquée par toutes les idéologies et qui finissent souvent par un régime totalitaire car les faits sont têtus), mais aussi, et c’est une excellente surprise à deux français régulièrement nominés au prix Nobel d’économie : Emmanuel Saez et Gabriel Zucman.
Quant aux ONG, il fait bien sûr appel à Anticor, mais on peu le dédouaner car il a écrit son pamphlet avant de s’apercevoir que plus opaque que cette association, c’est difficile à atteindre, même par les pires milliardaires et autres multinationales !
Quoiqu’il en soit, la lecture de ce pamphlet est jubilatoire, ne peut laisser le lecteur indifférent. Même s’il est quelque peu énervé, il ne peut rester indifférent à tous les arguments jetés à sa réflexion.
Quand la charité se fout de l’hôpital
Enquête sur les perversions de la philanthropie
Vincent Edin
éditions Rue de l’échiquier. 10