Pierre-Joseph Proudhon ! Un des pères de l’anarchisme ! Pas l’anarchisme russe prôné par Kropotkine, mais une autre voie qui rejette la violence. Le moins que l’on puisse dire, ce n’est pas l’image que tout un chacun a de l’anarchisme. Mais ce courant politique est comme le communisme, il y a un socle commun et des branches diverses. Déjà, n’en déplaise à l’auteur Thibault Isabel et à Michel Onfray, auteur de la préface, il y a une immense différence entre Marx et Lénine, le dernier ayant théorisé la dictature du prolétariat, concept inventé, non pas par Marx (qui n’y fait qu’allusion dans ses écrits), mais par Auguste Blanqui. Alors ne parlons pas des différences entre un Staline et un Mao. Mais là n’est pas le sujet.
Revenons à Pierre-Joseph Proudhon. De fait sa pensée est à situer à son époque, époque, hélas pour lui, dominée par celle de Marx et surtout par ses disciples. N’oublions pas que c’est l’époque de ce que l’on a appelé les « socialistes utopiques » : Owen, Fourrier, Saint Simon et tant d’autres, tous enfants du siècle des lumières. Proudhon a été vite mis dans cette large catégorie (dans le sous-ensemble (tout aussi utopique) anarchisme). Tout était dit. Tout au plus connaît-on de lui « la propriété c’est le vol » et sûrement pas la complexité de sa pensée. Pensée d’autant plus complexe que sur à peu prêt tout ses sujets de réflexion il a évolué pour ne pas dire changé et surtout, il a fait l’objet de simplifications, de caricatures.
Soit, j’en conviens, c’est un des pères de l’anarchisme, mais comme je l’ai écrit, pas de l’anarchisme tel que tout un chacun connaît, cet anarchisme avant tout russe, si magnifiquement décrit dans Les justes d’Albert Camus. Il a créé un courant de l’anarchisme qui réfute toute forme de violence. Il est contre l’état (enfin pas tout à fait), il donne une certaine importance à l’état, mais un « état minimaliste », entouré de contre-pouvoirs. Pour lui, la société doit être formée de cellules mutualistes : la famille, les amis, les voisins, les travailleurs, etc… Mutualisme, coopératisme, de fait autant de cellules pour combattre l’ennemi commun, l’ennemi de l’humanité : le capitalisme.
Le fond de cette pensée complexe, c’est la morale, car Pierre-Joseph Proudhon est surtout et avant tout un moraliste. Ce qui est amoral pour lui c’est le profit, pour le profit. C’est un fervent défenseur du travail, et il est pour que les plus « doués », les plus travailleurs gagnent plus que les autres : chacun doit avoir le salaire qu’il a gagné par son travail (et s’il travaille deux fois plus, il doit gagner deux fois plus). Mais ce qu’il banni c’est de gagner de l’argent grâce au travail des autres. Il n’est pas contre le patronat et le salariat, car même dans une société anarchiste il faut une certaine hiérarchie, il est contre les patrons qui gagnent non par leur travail mais par celui des salariés.
Il en résulte qu’il est un ardent défenseur de la propriété privée. Et ce n’est pas du tout antithétique avec « la propriété c’est le vol ». C’est même complémentaire. Il est pour une société de petits propriétaires, enracinés dans leurs lieux de vie, sur lesquels ils peuvent travailler, en revanche il est contre les « grands propriétaires » qui font travailler les autres pour obtenir les fruits de cette propriété. Proudhon est un rural, pas un urbain.
Et encore plus paradoxale, du moins en apparence, Pierre-Joseph Proudhon n’est pas contre la religion. Contre les églises totalement. Mais il voit dans la religion, et surtout asiatiques, le vecteur de la spiritualité qui est le vecteur principal pour développer la morale. Son antisémitisme avéré n’est cependant point mentionné dans cette biographie, c’est regrettable, et le lien qu’il fait entre le monde de l’argent et les Juifs a servi à nourrir une « base « idéologique » à un antisémitisme de gauche toujours virulent dans certains milieux jusqu’à aujourd’hui. Sa morale est assez rude, assez ascétique, faite plus d’interdits que de permissions, et machiste hélas jusqu’au ridicule. La liberté, elle n’est atteignable, pour lui, que dans ces groupes mutualistes, gérés par l’intérêt commun où l’ego et l’individualisme n’ont pas droit de cité. Pas de jouisseurs, mais des travailleurs guidés non par leur ego, mais par l’intérêt du groupe. On est très loin des gilets jaunes et du courant anarchiste actuel en France.
Thibault Isabel dans son ouvrage au titre évocateur Pierre-Joseph Proudhon, l’anarchie sans le désordre, nous livre une intéressante biographie de ce penseur dont la pensée nécessite cependant d’être remise à jour sans en omettre les zones d’ombre.
Pierre-Joseph Proudhon, l’anarchie sans le désordre
Thibault Isabel
éditions Autrement 19€
Illustration de l’entête: Proudhon et ses enfants (détail), peint par Gustave Courbet (1865). Huile sur toile, 147cm/198cm. Musée du Petit Palais. Paris