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Un chant pour les disparus, le roman inspiré et sensible de Pierre Jarawan sur le Liban

par Émile Cougut

Le Moyen-Orient est, en cette année 2011, secoué par ce que l’on a appelé « le printemps arabe ». C’est ce temps précis que choisit par Pierre Jarawan dans son roman Un chant pour les disparus juste publié aux éditions Éloïse d’Ormesson. Dans sa maison isolée dans la montagne, Amin revient sur son passé, lui, le solitaire, le renfermé cherche des réponses à ses questions d’adolescent, à donner un sens aux actes de ses proches qu’il ne comprenait pas. Amin est de fait un étranger dans son pays. Sa mère libanaise a rencontré son mari (son père) alors qu’elle faisait ses études aux Beaux-arts à Paris. Le couple s’est rendu au Liban pour présenter le bébé à sa grand mère Yara. Mais c’est la guerre civile et ils s’ajoutent à la longue liste des disparus.

Yara prend son petit-fils (franco-libanais) et part en Allemagne où il passe toute son enfance. Et ils reviennent en Allemagne. Yara ouvre un café, Amin découvre Beyrouth, une ville, des gens, une culture, un univers qu’il ne connaît pas. Or dans cette ville, il est considéré comme un étranger car il n’a pas vécu la violence de la guerre civile. Heureusement dés son arrivée, il y a Jafar qui le guide, lui fait découvrir ce monde et surtout avec qui il fait mille et une petites escroqueries.

Et de fait son histoire, l’histoire de sa famille, s’imbriquent étroitement avec celle du Liban. Il tombe amoureux, comme un adolescent des yeux d’une jeune fille, mais le simple fait qu’il ait osé lui écrire entraîne la fuite de la jeune fille victime du courroux familial qui a vu son honneur bafoué. Et puis quelles sont les fréquentations de Jafar qui s’éloigne de plus en plus de lui jusqu’à le renier devant ses nouveaux amis. Et celles de sa grand-mère, quelles sont elles ? Pourquoi viennent ils si souvent à la maison. Que représentent donc les tableaux que peint sa grand-mère et qu’elle expose sur les murs du café ce qui lui vaut des menaces ?

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Pourquoi Abbas, le fabriquant de soies, présent aussi bien en Allemagne qu’au Liban, ne participe-t-il pas à ses réunions, mais se comporte comme un véritable ange gardien avec Yara et Amin ? Et ce tableau qui ne quitte jamais sa grand-mère, celui peint par sa mère pourquoi l’a-t-elle appelé « le chant des disparus » ?  

Amin démêle lentement tous les fils de son histoire, comprend ses erreurs d’interprétation, apprend progressivement les non-dits de sa famille, mais aussi de cette société libanaise traumatisée et corrompue  mais d’où se dégage une forte envie de vivre. Progressivement, il va comprendre de quoi sa grand-mère voulait le protéger, sa quête, vaine, pour retrouver sa fille et son gendre, l’attitude de Jafar, bien loin de ce qu’il avait imaginé à l’époque. Cette quête sera douloureuse, avec la perte de bien des personnes de son adolescence, mais aussi avec des retrouvailles et l’acception de soi.

Le chant des disparus est un tableau, mais aussi un conte oriental, psalmodié devant un auditoire. Une ode, quelque peu nostalgique (mais quand on pense à Amin Maalouf, la littérature issue des exilés Libanais, n’est-elle pas empreinte d’une magnifique nostalgie), mais d’une grande beauté. C’est aussi un conte sur les disparus de la guerre civile et les blocages d’une société qui n’arrive ni à pardonner, ni à surmonter ses traumatismes. Un roman envoûtant qui parle aussi de culture (et pas que des vers à soie) mais de théâtre, de livres, de peinture, de tous ses moyens pour exprimer l’inexplicable : le rêve, la douleur, les déchirures de la vie : « le récit ne peut ressusciter ce qui n’est plus. Mais nous rendre sensible ».

Tout est résumé, le livre, mais aussi la vie de chaque humain, dans ce passage : « Avec les années, la réalité nous paraît toute autre. Nous considérons avec nostalgie notre jeunesse, ce grand chaos dans lequel le malheur comme l’espoir semblent toujours sans limites et ne sont éprouvés qu’avec démesure. Pourtant, nous faisons tout ce que nous pouvons pour la fuir, car à la sortie nous attend, nous en sommes persuadés un autre monde à découvrir, et c’est seulement lorsqu’elle est définitivement révolue que nous  nous retournons et prenons acte, un peu sonnés de cette vérité banale : jamais nous ne retrouverons le chemin de cette période enchantée.« 

Un roman libanais, écrit en allemand, remarquablement bien traduit en français : voilà résumée toute la complexité d’Amin, mais aussi de l’auteur de ce beau roman, Pierre Jarawan, aède inspiré du pays du cèdre.

Un chant pour les disparus
Pierre Jarawan
éditions Héloïse d’Ormesson. 23€

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