Toute ressemblance avec des personnages ou des faits passés est totalement volontaire. Voilà ce qui aurait pu être mis en exergue du roman qu’Arnaud Zuck, avocat au barreau de Metz, vient de publier aux éditions Ex Æquo. Il faut dire que ce roman, ce récit historique, L’aube du diable, car il s’agit bien d’un roman et non d’un fait divers plus ou moins enjolivé, a pour base, pour fondement, pour pierre angulaire, un fait, hélas réel.
Une horreur qui fit la une de toute la presse nationale, voire internationale en cette fin d’année 1958. Un horrible crime qui s’est passé dans un petit village proche de Toul en Meurthe et Moselle.
Souvenons-nous, le crime abominable commis par le curé d’Uruffe à l’encontre de sa maîtresse enceinte de ses œuvres de plus de huit mois. Une horreur absolue, car l’assassin, pour ne pas que l’on puisse penser qu’il était le père, avait éventré la jeune fille, et après avoir baptisé le bébé, avait tué et défiguré la petite fille qui ne demandait qu’à vivre.
Et dire que l’on parle aujourd’hui de violences, d’actes barbares, il faut reconnaître que ce n’est rien par rapport à cette histoire.
Par pressions, chance, l’assassin, contrairement à ce que l’on pensait ne fut pas condamné à mort (ce que souhaitait une immense partie de la population). On imagine ce que diraient certains aujourd’hui face à un tel crime, si la peine de mort, hélas, existait toujours, par rapport au laxisme de la justice. Il fit plusieurs années de prison et, à sa libération, « pris en charge » par la hiérarchie catholique, qui l’enferma dans un couvent dans le Périgord où il décéda de sa belle mort en 2010.
Ce fait divers a, bien sûr, connu une postérité dans la littérature (pensons à Trois crimes rituels de Marcel Jouhandeau ou la Miséricorde de Jean Raspail) et au cinéma (Prince de ce monde ou Fou d’amour, par exemple).
Alors se pose, comme toujours pour des sujets déjà mainte fois abordés, la question de déterminer qu’est-ce qui constitue l’originalité, le « plus », de ce nouveau roman.
Tout d’abord le style, fluide, clair, parois didactique, jamais pompeux ni savant. Des phrases courtes bien agencées entre elles, des dialogues « réalistes », des descriptions criantes de vérité, celles qui sont faites par un connaisseur, pour ne pas dire par un amoureux, de l’endroit ainsi décrit.
Il y a aussi, un certain humour, enfin une sorte de plaisir intellectuel qui pousse le lecteur à essayer de démêler le vrai du faux. Certes les noms, prénoms et lieux (sauf un ) ne sont pas les mêmes que dans la réalité, mais le prénom de la victime n’est autre que celui d’une (vraie) maîtresse (qui ne fut pas assassinée) du vrai curé. Cela devient un vrai jeu de piste pour essayer de détecter toutes les allusions, les faux-semblants par rapport au fait réel auquel nous invite Arnaud Zuck. Une sorte de jeu des 7 erreurs qui rend encore plus réaliste ce qui est, à la base, une fiction.
Car il y a aussi des côtés totalement fictionnels, sortis de l’imagination de l’auteur, comme le fait que son curé emploie un tiers pour piller les églises du diocèse et au-delà.
Mais aussi, pour ne pas dire surtout, c’est le portrait psychologique qu’Arnaud Zuck fait de son personnage principal. Henri-Jacques Berger y est décrit comme un monstre froid : affable, doté d’un vrai charisme, très novateur dans la façon d’aborder sa mission paroissiale, il s’investit dans la création d’un club de football, d’une compagnie de théâtre, d’une chorale.
Soit, il aime un certain luxe, mais il est très attentif aux autres. Du moins en apparence. Car il aime trois choses : d’abord lui-même, en effet il a une très grande estime pour sa personne, mais aussi pour sa mission. Ainsi considère-t-il que son rôle de curé le met à part des hommes, il s’estime supérieur à la grande majorité d’entre eux, il est le seul intercesseur entre eux et le Ciel. Soit, il a une hiérarchie qu’il craint, mais il a déjà su mentir avec tant d’aplomb qu’il espère passer entre les mailles du filet. L’importance pour lui c’est que son évêque ne connaisse point ses turpitudes. Et si par malheur son supérieur ecclésiastique a un doute, faire en sorte qu’il le croit sincère dans ses démentis. Quant au reste de la population, il sait parfaitement la manipuler.
La seconde chose qu’il adore c’est l’argent. L’argent comme moyen d’assouvir ses vices et ses goûts parfois luxueux.
Et bien sûr les femmes, les toutes jeunes filles notamment. C’est un prédateur. Il les utilise pour son plaisir, voire, pour les plus « âgées » pour les dépouiller. Les filles ne sont là que pour assouvir ses pulsions, ses besoins sexuels. Aucune once de sentiment amoureux ou d’empathie en lui. C’est un parfait manipulateur qui jette ses filets sur sa proie, qui jouit d’elle et qui la rejette dès lors que son plaisir est assouvi, et ce sans aucun scrupule, sans le moindre remord. Si elle tombe enceinte, c’est bien sûr de la faute de la jeune femme qui devait prendre ses précautions et qui, si elle veut garder l’enfant ne le fait que par méchanceté à son encontre. Le moins qu’il risque, c’est d’être défroqué, et ça, il ne peut l’imaginer.
Alors, soit il réussit à la pousser à abandonner son enfant, soit… il élimine et la mère et son fruit.
Rien n’est de sa faute, tout est de celle de la jeune fille qui n’avait pas à venir le chercher. Un être ignoble et abjecte. Quand on pense à ce portrait, ô combien réaliste, on ne peut penser qu’à « La beauté du diable » ou au Portrait de Dorian Gray. Derrière une apparence charmante et charmeuse se dissimule la pire des noirceurs, malheur à qui tombe dans son piège.
C’est là même que se trouve la force de ce roman. la description au scalpel d’un monstre doté d’un ego démesuré, incapable d’assumer les conséquences de ses actes, se retranchant derrière son statut de prêtre, perçu comme une sorte de « sur-homme » au sens étymologique du terme. Il est tellement sûr de lui, qu’il pense qu’il va pouvoir manipuler les enquêteurs. Mais il n’est qu’un homme et va vite reconnaître son crime.
L’aube du diable est une libre et très réussie variation autour du crime du curé d’Uruffe, un bon roman, une narration bien menée, une lecture dynamique. Le déroulé des faits, la psychologie de tous les protagonistes de cette histoire de fiction abominable construite sur un fait divers criminel qui eut réellement lieu, portent le lecteur suffoquant sous les mots. En dernière analyse, on se dit que grâce aux progrès de la police technique et scientifique aujourd’hui, il n’aurait pas eu à massacrer le fœtus, une rapide analyse ADN l’aurait mis face à ses responsabilités.
L’aube du diable
Arnaud Zuck
éditions Ex Æquo 23€
Illustration de l’entête: détail de l’affiche du film « Journal d’un curé de campagne » de Robert Bresson