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Zao Wou Ki ouvre la saison à Aix-en-Provence

par Pétra Wauters

Zao Wou-Ki  « Il ne fait jamais nuit« , titre de cette magnifique exposition d’après déconfinement qui s’ouvrira à l’Hotel de Caumont à Aix-en-Provence, à partir du 19 mai suite aux dernières annonces gouvernementales. Laissons entrer la lumière ! Une quarantaine d’œuvres, dont certaines de grand format, rendent hommage à Zao Wou-Ki  趙無極  (1920-2013), ce peintre hors du commun, un des chefs de file de l’abstraction lyrique, né à Pékin et installé en France depuis 1948 puis naturalisé français. Il sera élu à l’Académie française, succédant au fauteuil de Jean Carzou, le 2 décembre 2002.


La visite-presse s’est faite en présence des commissaires Erik Verhagen et Yann Hendgen. Qui de mieux pour parler du travail de l’artiste que ces deux experts passionnés ? Yann Hendgen est directeur artistique de la Fondation Zao Wou-Ki et Erik Verhagen professeur en histoire de l’art contemporain à l’Université́ polytechnique Hauts-de-France. On les écouterait des heures parler du maître franco-chinois.

On les suit d’autant plus volontiers que ce parcours de l’exposition est harmonieux. Au fil des salles, les œuvres se déploient naturellement. Comme souvent, le projet scénographique a été confié à Hubert Le Gall. Depuis des années, de grands musées parisiens tels le Grand Palais ou le musée Jacquemart-André font appel à ses services.  Donner à voir et mettre en valeur des chefs d’œuvre, c’est tout un art, et rien de tel qu’un savant éclairage pour sublimer davantage encore l’œuvre de lumière de Zao Wou ki.  En effet, il ne s’agit pas d’un simple accrochage, il convient d’écrire un véritable scénario d’exposition, et là, c’est indéniablement très réussi. 

Zao Wou Ki
Zao Wou Ki. Nature morte aux pommes, 1935-1936, Huile sur toile, 46 x 61 cm, Collection particulière © Adagp, Paris, 2021, photo: Antoine Mercier

Le parcours débute par une section 1 surprenante.  Deux œuvres de petit format attirent tout particulièrement notre attention car on connait sans doute peu les œuvres de jeunesse de ce peintre français d’origine chinoise, né en 1920 à Pékin.

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Voici quelques pommes mises en valeur dans un drapé qui ne sont pas sans évoquer Cézanne. A côté, un paysage également de petit format.  Ces deux tableaux nous montrent combien le jeune homme est déjà attiré par la lumière. Elle s’invitera tout au long de sa carrière, quelles que soient les périodes ou les techniques utilisées. Cette même salle nous livre une œuvre immense. Soixante-dix années de peinture, d’influences, de recherches séparent les deux œuvres de petit format au grand diptyque « Il ne fait jamais nuit » réalisé en 2005. Exposés ensemble, ces tableaux mettent en évidence tout le chemin parcouru par Zao Wou Ki– 趙無極 

Zao Wou Ki
Zao Wou Ki. Il ne fait jamais nuit – Diptyque, 2005, Huile sur toile, 195 x 260 cm, Collection particulière, © Adagp, Paris, 2021, photo : droits réservés

Issu d’une famille de banquier installée à Shanghai, Zao Wou ki réussira à 15 ans seulement le concours d’entrée à l’école des Beaux-Arts de Hangzhou, l’une des plus réputées de Chine.   « Intégrer une école de Beaux-Arts pour un fils de banquier, cela peut paraitre étonnant » commentera Yann Hendgen. « Sa mère était réticente, mais son père l’a soutenu, d’autant plus qu’il était convaincu que si son fils avait repris la banque familiale, ils auraient fait rapidement faillite ! » 

Le jeune homme étudiera pendant des années les techniques traditionnelles de la peinture chinoise et notamment la calligraphie, encouragé et aussi initié par son grand-père.  « Il apprendra aussi la peinture à l’huile, et, dans ce pays, c’est déjà faire preuve de modernité », confie Yann Hendgen. Voilà qui le démarquera de la tradition chinoise.  

Zao Wou ki sera influencé par l’Occident à travers des livres. Il s’intéressera très vite aux œuvres de Renoir, Cézanne, Matisse, Picasso, Klee… de toutes ces influences, il fera des emprunts entre rêverie, méditation, poésie, abstraction, lyrisme, musique. Il installera son atelier à Paris, fuyant la Chine de l’époque, et adoptera la nationalité française à ce moment-là. « Il sera coupé de sa famille de 48 à 72, jusqu’à ce que le Chine s’ouvre de nouveau »  précise encore le commissaire de l’exposition.

A Paris, son atelier sera très proche de celui de Giacometti, qui deviendra un grand ami du peintre. « Paul Klee, découvert en Suisse en 51, sera un vrai déclencheur pour l’artiste qui ne connaissait ses œuvres qu’à travers les livres. Grâce au peintre suisse, il intègre parfaitement que l’on n’est plus obligé de représenter la réalité. Klee utilisait des signes, des lettres, des flèches, dans ses compositions, et petit à petit, Zao Wou ki va faire de même. »

On le voit bien dans l’œuvre de cette section 1 :  « Ville engloutie« , peinte en 1955

Zao Wou Ki
Zao Wou Ki. « Ville engloutie, 1955 » Huile sur toile, 89 x 146 cm, Collection particulière, © Adagp, Paris, 2021, photo: Antoine Mercier

Des signes, des caractères chinois archaïques lui ont permis de s’éloigner de la figuration. Des masses colorées trouvent leur place et tout autour, une grande nappe bleue encadre le tableau et semble vouloir engloutir son centre. Zao Wou Ki se sépare de son épouse. Tous ses sentiments, toute sa douleur s’expriment ici avec force. « De nombreux tableaux renvoient à sa propre vie », confirme Yann Hendgen. « L’artiste a connu des périodes de souffrances et de deuils »

On ne va pas détailler toutes les sections de l’exposition, ce serait trop long même si chacune apporte son lot de découvertes. Entre les carnets de voyage, où « Il y a toujours ce même dénominateur commun à cette exposition, la lumière ! »  comme le souligne le commissaire d’exposition Erik Verhagen. On vit sous le charme encore de ces toiles immenses dans lesquelles on retrouve la gestuelle de l’école américaine et tout à la fois, la liberté du pinceau chinois. Ce retour à la calligraphie nous émerveille. Peu de couleurs, des encres maitrisées, et la force du trait. 

Zao Wou Ki
Zao Wou Ki. Hommage à José Luís. Sert – 14.07.88, 1988, Huile sur toile, 100 x 300 cm, Collection particulière, © Adagp, Paris, 2021, 

Car le geste est tellement important pour saisir d’un jet l’apparence des choses. Il retourne aux sources de la calligraphie orientale tout en travaillant l’abstraction occidentale qui l’a séduit. « Il fait de cette fusion un art tout personnel » confirme Yann Hendgen.

C’est fluide, maitrisé, mystérieux. Certains tableaux nous paraissent compliqués de prime abord, mais il s’agit de poser son regard et le laisser se promener sur la toile, se glisser dans une brèche, plonger dans une couleur, suivre un trait et dénouer l’écheveau. En effet, il y a de nombreux tableaux qui paraissent faits de divers éléments embrouillés, de signes, de grattages, de cassures, c’est beau, déroutant parfois, paisible aussi, tout dépend de notre regard, tout dépend du spectateur. On peut y reconnaitre Pollock, dans son action painting, on découvre ses noirs, pleins de lumière et de force, que Soulage aurait aimé faire siens. Ses flous et ses lumières incandescentes à la Turner avec une pointe de calligraphie comme pour rappeler qui il est. Cela dit, si elle fut abandonnée un temps, c’est « qu’il ne voulait pas être perçu comme le peintre des bambous ou des pandas, et n’être que le peintre chinois de Paris. » explique Yann Hendgen.

Zao Wou Ki
Zao Wou Ki. Hommage à Henri Matisse I – 02.02.86, 1986, Huile sur toile, 162 x 130 cm, Musée d’art moderne de Paris, Don de Françoise Marquet, © Adagp, Paris, 2021, photo: Dennis Bouchard

Il rend du reste hommage à ces grands maîtres, mais également aux poètes et aux musiciens qu’il a aimés, tels Turner, Matisse, Henri Michaux, Edgar Varèse, et bien d’autres encore. 

Une peinture magique pour Zao Wou Ki. « Il s’agit d’une porte noire qui donne accès à un monde différent » commente le commissaire d’exposition. « Une invitation à entrer dans le tableau. Cette question d’hommage est vraiment propre à la culture et à la mentalité chinoise », Zao Wou ki, reconnait les artistes qui ont joué un rôle dans sa peinture et dans son cheminement abstrait » précise encore Erik Verhagen.

Nous sommes à Aix. L’exposition débutait avec un clin d’œil  à Cézanne, elle se termine avec  le Maître d’Aix, dans un étonnant tableau où l’on devine Sainte Victoire, un pin parasol dans un fond vert. Une toile immense comme celle qu’il peindra à 84 ans et qui s’intitule : Ciel

Zao Wou Ki
Zao Wou Ki. Ciel – 12.01.2004, 2004, Huile sur toile, 250 x 195 cm, Collection particulière © Adagp, Paris, 2021, photo: Dennis Bouchard

Un éventail de couleurs se déploie à travers des effets vibratoires. Ces mêmes vibrations, il les obtient en aquarelle, une technique plus « pratique » à la fin de sa vie. Des aquarelles superbes, travaillées sur le papier Arche, qui permet toutes audaces au peintre. 

Une certitude à l’issue de cette exposition :  Zao Wou Ki était un immense artiste, et une belle âme ! 

On peut voir parmi ses oeuvres, une série auréolée de roses et de verts lumineux peinte sur le motif, ce serait une évocation du Luberon. Qu’importe si ni les couleurs, ni le rendu ne nous évoquent ces terres. Ces aquarelles sont sublimes et le mot évocation nous éloigne là encore de la pure représentation.

Parmi 90 œuvres réalisées entre 1935 et 2009, des huiles sur toile, des aquarelles et encres de Chine sur papier, une exposition ouverte très bientôt au public, impatient !

Zao Wou Ki
Zao Wou Ki. Hommage à Cézanne – 06.11.2005, 2005, Huile sur toile, 162 x 260 cm, Collection particulière, © Adagp, Paris, 2021, photo Dennis Bouchard

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