Dans mon potager, j’observe avec plaisir chaque matin la croissance de mes pommes de terre. Les plants sont sains, j’espère échapper au redoutable mildiou, terreur de tous les jardiniers amateurs. Par chance, je n’ai pas non plus repéré un seul doryphore. L’année dernière, ils avaient pullulé, alors que je n’en avais jamais vu un seul depuis vingt ans. Autrefois, ils étaient passablement répandus, dans mon enfance, en tout cas, si j’ai bon souvenir.
À l’époque du Rideau de fer, les terres collectives de Pologne furent ravagées par ces voraces coléoptères. Les autorités laissèrent aussitôt entendre que l’invasion s’expliquait par des largages de larves opérés nuitamment par des avions espions américains. La presse officielle répandit la nouvelle sans sourciller. Les Polonais gobèrent-ils l’hameçon ? Difficile à croire.
De leur côté, les Russes eurent également à souffrir du doryphore. Toutefois, ils n’allèrent pas jusqu’à prétendre qu’ils étaient parachutés par les capitalistes, ce qui aurait impliqué une violation de leur espace aérien. Ils se contentèrent d’imputer les ravages à un doryphore d’une espèce nouvelle que leurs botanistes intitulèrent sans plus de commentaire « Doryphore du Colorado ». Drôlement plus subtil !
Signalons que les choux russes furent également dévastés par le papillon blanc que tous les jardiniers connaissent, mais qui, en Union soviétique, prit le nom de белая Американская бабочка : papillon blanc américain. Joli, non ?
Rien de neuf sous le soleil, évidemment. Les Français qualifièrent jadis de mal napolitain, ce que les Italiens appelaient « mal français ». On a rappelé récemment que la grippe espagnole n’avait rien d’espagnole, elle était apparue aux États-Unis. Cela n’a pas empêché l’inénarrable président Trump de qualifier avec constance le SARS-CoV-2 de « virus chinois ». Peut-être y a-t-il en France un certain soulagement, voire une secrète satisfaction, à découvrir que les nombreux variants du virus sont étiquetés « sud-africains », « brésiliens » ou « anglais ».
Dans mon pays, en Belgique, un caricaturiste flamand a mis en scène un malade se plaignant de fatigue au travail, à qui le médecin déclarait qu’il souffrait du variant wallon ! C’est dire le plaisir éprouvé par les Wallons devant une brève recrudescence du mal à Anvers, aussitôt attribuée à un variant flamand.
Bref, tout ceci pour constater en souriant que nous préférons souvent attribuer aux autres la cause des maux dont nous souffrons. L’enquête menée en Chine par les experts de l’Organisation mondiale de la santé sur la genèse de la pandémie, qui concluait sans plus à une origine naturelle, n’a pas emporté la conviction. Dès lors, la théorie d’un accident au laboratoire de virologie de Wuhan a refait surface hors des eaux troubles des théories complotistes. Comme de juste, les autorités chinoises ne sont guère enclines à rouvrir l’enquête selon les vœux du directeur général de l’OMS. Quoi de plus normal ? Personne n’a envie de voir le nom de son pays accolé à un fléau qui a fait près de quatre millions de morts.
Mais en imputant le désastre aux autres, ne nous dédouanons-nous pas à bon compte de nos propres responsabilités ? Les scientifiques nous apprennent que c’est la destruction massive des écosystèmes qui est à l’origine des zoonoses, les maladies transmises par des animaux aux humains. Depuis les années 1970, une à cinq nouvelles maladies infectieuses apparaissent chaque année, alors que précédemment c’était une tous les quinze ans[1]. Les variants du virus ne sont que des pailles que nous remarquons dans l’œil de nos voisins, mais la poutre de la pandémie, nous l’avons tous en plein dans la vue.
[1] Voir ROBIN Marie-Monique, La fabrique des épidémies, La découverte, 2021
Dernier roman d’Armel Job:
Sa dernière chance
éditions Robert Laffont. 20€