Autobiographie ? Recueil des souvenirs des « temps heureux » ? Auto-psychanalyse (ce qui est assez « normal » pour Gérard Haddad l’auteur, psychiatre et psychanalyste reconnu dans son milieu). Un peu de tous ces genres. Mais c’est surtout une longue lettre d’amour pour son épouse qui vient de décéder. De décéder de la terrible, et non moins horrible maladie d’Alzheimer, cette maladie neurologique qui détruit la personne atteinte à petit feu (comme toutes les maladies neurologiques, songeons à Charcot ou à Parkinson), tout en lui laissant une certaine lucidité.
Mais le plus terrible n’est pas obligatoirement pour la personne atteinte mais pour son entourage qui voit l’être aimé, apprécié, diminuer, évoluer, changer, aller vers une fin inéluctable et nous renvoie à notre totale impuissance pour essayer de retenir, d’endiguer, de retarder un phénomène inéluctable.
Ces malades nous montrent que, malgré les savoirs que l’humanité a su développer depuis des millénaires, il est des faits, des maladies qui nous laissent impuissants et nous plongent dans l’océan sans fond de nos ignorances. Vanité, tout n’est que vanité !
Ce qui reste aux « survivants » (car après avoir vécu de telles expériences, ceux qui restent ne sont plus que des survivants), se sont les souvenirs, les souvenirs des « jours heureux », quand la maladie n’avait pas encore marqué son emprise dans l’autre.
C’est à quoi s’efforce, à travers ces lettres, Gérard Haddad. Ces lettres que son épouse aimée ne pourra jamais lire, ses lettres où il se montre sans aucune concession sur lui, sur ses erreurs, ses fautes, sur ce qu’il aurait du faire pour, en quelque sorte, avoir encore plus de moments de bonheur avec Antonietta, et qu’il n’a pas fait.
Ne pensez surtout pas que ces lettres sont larmoyantes, ce qui est un écueil souvent présent dans ce genre autobiographique, loin de là, c’est lucide mais avec la froideur que peut avoir la distance que met un psychanalyste quand il décrit un cas. C’est lucide mais empli d’amour, d’empathie.
Il ne nie pas le décalage qu’il peut y avoir entre eux au début des premiers symptômes : elle se montre d’une lucidité totale, alors que lui est dans le total déni. Elle sait, lui nie, se convint que ce n’est rien. Et petit à petit sa volonté de lutter, de l’aider à lutter contre le mal avec toujours l’espoir de « revivre comme avant ».
C’est la recherche de traitements, de protocoles d’essai qui, peut-être, arriveront à aboutir au mieux à une guérison, au minimum à stabiliser l’état de la malade. Gérard Haddad montre cette progression lente mais continue avec ces moments de rémission suivis de ses rechutes de plus en plus violentes qui finissent par aboutir au placement en EPHAD d’Antonietta juste avant le début de la pandémie de Covid 19. Une période de plusieurs mois d’une totale solitude et pour la patiente et pour son mari. Aussi, en mettant en place tout un dispositif matériel et humain, dés qu’il le peut, il réussit à la faire revenir dans leur appartement. Jusqu’au jour, où il faut l’hospitaliser pour de nouveaux examens. La nuit qui précède son hospitalisation, Antonietta décède.
Elle a décidé de mourir chez elle, entourée de son mari et de ses soignants qui avaient su tisser des liens d’humanité avec elle.
Ces lettres sont emplies d’une grande humanité, débordent d’amour et de la force qu’il a face à l’inéluctable que représente la mort. Il reconnaît que leur amour, au fil du temps avait évolué, de la passion à une forme de tendresse, pour se changer en vraie « arme de guerre » pour essayer, à deux, de surmonter la maladie.
Antonietta de Gérard Haddad, lucidité, cri d’amour, un témoignage poignant qui ne peut que toucher les lecteurs au plus profond de leurs âmes.
Antonietta
Lettres à ma disparue
Gérard Haddad
éditions du Rocher. 16€90
Date de parution 01/09/2021