Dans la collection « Questions contemporaines », les éditions de l’Harmattan viennent d’éditer un petit essai sur la démocratie à l’école par rapport à l’élection des délégués de classe. En fait, ce n’est qu’un prétexte pour l’auteur pour bâtir toute une théorie sur la démocratie digne des meilleurs cours de Sciences-Po.
Soit, l’auteur, Paul Jacqmarcq, est professeur de philosophie et y fait part de son expérience et de ses travaux. C’est plaisant, plutôt attrayant, mais, comme dans toute théorie, surtout les politiques, sujet à interrogations voire à critiques, mais à contre-arguments. Ici n’est pas le lieu pour prendre mot à mot tout le raisonnement du rédacteur de l’ouvrage sinon cette recension ferait facilement le double de cet essai.
Paul Jacquemard, partant de la définition littérale du terme démocratie, commet là une violente critique de la démocratie telle que nous la connaissons dans nos démocraties occidentales actuelles.
Il est certain que le terme de démocratie est dévoyé, tant il a pu évoluer dans le temps, et suivant les régimes politiques et idéologiques. C’est même devenu, un concept qui n’a de fait, de signification que si l’on étudie le régime politique de la société concernée.
N’oublions pas la grande théorie de Staline sur la différence entre les démocraties de fait (les régimes communistes) et les démocraties formelles (le monde occidental). Observons, faut-il le souligner, que bien des arguments du dictateur géorgien se retrouvent sous la plume de l’auteur, rédacteur de ce livre, ainsi que dans le discours de certains de nos hommes politiques.
À cet égard et pour eux, la démocratie représentative n’est plus une démocratie puisque le peuple (terme que jamais personne ne définit n’est-ce- pas) n’a plus de prise directe sur les décisions régissant la vie même de la société. De fait le pouvoir est dans les mains d’une oligarchie cultivée qui ne comprend pas les aspirations du « peuple ».
Pour mémoire, il est certain que les membres des État-généraux de 1789 qui ne firent (excusez du peu), que renverser l’Ancien régime, avaient compris les aspirations du peuple : dans une société à plus de 90% paysanne, un seul paysan avait été élu ! Conclusion, nous vivons sous une sorte de dictature qui ne dit pas son nom, défendant les intérêts des « nantis » (la bourgeoisie) au détriment de l’immense majorité…
Bien sûr, il faut rechercher la vraie démocratie dans ses origines athéniennes. L’auteur a, reconnaissons-le, l’honnêteté de préciser que certaines fonctions (les plus importantes) étaient électives, mais le « contre-pouvoir » était représenté par des citoyens tirés au sort. Des citoyens, c’est à dire des hommes ayant la citoyenneté athénienne, c’est à dire environ 30% de la population. Et quand on étudie les institutions et leur fonctionnement, le dernier régime lui ressemblant le plus est celui de …l’apartheid en Afrique du Sud ! Mais soit, c’est un poncif de mettre la « démocratie » athénienne au pinacle !
Mais au fait, qu’en était-il des 32 000 hommes environ, qui se réunissaient dans l’Agora (qui par ailleurs ne pouvait en accueillir que 6 000 serrés comme des sardines en boîte). On tirait au sort, pour un an, 500 d’entre eux. Enfin, ceux qui le voulaient bien, en effet l’immense majorité de la population refusant car elle ne pouvait travailler et s’occuper pareillement de la vie de la cité. C’est pour cela que Périclès leur fit attribuer une indemnité, juste avant la fin de cette expérience politique ! Il est évident que seule une minorité de nantis, de fait, participait activement à la vie de la cité.
Le tirage au sort ! Pourquoi pas comme le firent les Grecs anciens. Mais ayons présent à l’esprit pas qu’il ne s’agissait nullement là d’un acte politique, mais avant tout d’un acte religieux.
À ce point de ma démonstration, il convient donc de préciser que ces noms qui sortaient de l’urne, montraient la volonté, les désirs des Dieux. Comme ils étaient assez « caractériels » et aux humeurs changeantes, il était prévu des gardes-fous contre les heureux élus.
Sur d’autres rivages en d’autres lieux, songeons au problème que se posèrent les 11 apôtres après le suicide de Judas. Ils hésitèrent entre l’élection et le tirage au sort. Comme ils n’étaient pas sûrs de leur jugement ils préférèrent que la volonté divine s’exprimât à travers le tirage au sort. C’est comme cela que Mathias devint le douzième apôtre.
Le hasard, chez les Grecs et les premiers Chrétiens n’est jamais intervenu lors de la procédure du tirage au sort, mais a été prise en compte l’intervention d’une entité supérieure à l’homme. C’était la base même de la légitimité de ce processus électoral. Dans un pays laïque, la transcription d’un tel mode de désignation est, impossible, sauf à lui reconnaître strictement aucune légitimité.
Mais surmontons cet obstacle et partons du principe que le hasard est aussi légitime que l’élection. Comme le dit l’auteur, les heureux élus ne sont spécialistes en rien, tout au plus, représentent-ils le « bon sens populaire ». Il faut donc les former ! Ah oui, c’est à dire la plupart du temps les manipuler, car qui va les former n’est-ce-pas, et quelle est donc la légitimité des formateurs ? Il suffit de voir le fonctionnement de la « Convention citoyenne sur les climat » où les participants n’ont entendu qu’une seule opinion, pas un climato-sceptique n’est intervenu. En outre, je ne parlerai pas des domaines plus techniques comme les spécialistes de la 5G qui ont étudié son développement depuis plus de 10 ans en Corée du Sud, ou les ingénieurs en fusion nucléaire.
Chacun sait qu’il suffit d’avoir participé à n’importe quelle assemblée générale, pour comprendre que les « décisions démocratiquement approuvées » sont celles décidées par le porteur de micro, et pour être plus précis, par celui qui donne et retire la parole. Souvenons-nous du grand élan démocratique que fut Nuit debout où les opposants n’ont jamais eu droit à la parole.
De fait, les « formateurs » ont le pouvoir car eux savent vraiment, car ils sont cultivés, « où se trouve l’intérêt du peuple« . Lénine l’a très théorisé avec la dictature du prolétariat ! D’ailleurs l’auteur précise bien qu’il faut former à leurs fonctions les délégués de classe, mais par qui : les professeurs !
Le peuple qui sait où se trouve son intérêt face à ceux qui ont confisqué le pouvoir à leur profit, est censé savoir où se trouvent leurs intérêts et sont prêts à les défendre. Un exemple : les réformes agraires des Gracques, une distributions des terres au profit des plus pauvres. On connaît la fin de l’histoire, ils se font massacrer par le peuple qu’ils voulaient aider.
Heureusement que l’auteur ne parle pas dans le cadre de la « vraie » démocratie du « référendum d’initiative populaire ». L’état où ce processus de démocratie participative est le plus développé et le plus simple n’est non point pas la Suisse mais la Californie. Son Parlement a voté une loi interdisant les sacs plastiques. Un RIP (réseaux d’initiative publique) a très vite aboli cette loi (la campagne électorale a été financée par les fabricants de plastique), le peuple c’est prononcé en toute souveraineté et connaissance, la décision est stupide, mais elle est démocratique !
Ces exemples sont là pour montrer en « dialogue constructif » avec Paul Jacquemard que la solution à l’impasse dans laquelle se trouve nos démocraties passe avant tout par l’éducation, et ajoutons sans redondance, par l’avancée ardue vers la connaissance. Une vraie, une exigeante éducation à la démocratie, loin de la novlangue répétitive et convenue d’estrades pour meetings électoraux, qui passe par la tolérance et surtout le reste avec ceux qui n’ont pas les mêmes opinions que soi. Une éducation qui fait de tous, des citoyens prêts à s’engager dans la vie de la société.
Tirer au sort des délégués
Une question de démocratie à l’école
Paul Jacquemard
édition l’Harmattan. 15€