Entrez les artistes, vous êtes très attendus !
La Roque d’Anthéron, quelle chance d’avoir pu en 2020 maintenir ce prestigieux festival ! Nous retrouverons cette année encore quelques maîtres internationaux, et de plus jeunes artistes à l’orée d’une brillante carrière. En 2021, malgré la crise sanitaire, toujours installée, ils répondent présents et le mélomane, à raison de trois à quatre concerts par jour, ce qui aura de quoi assouvir sa soif de musique…
Ainsi, au programme de ce vendredi 23 juillet 2021, à 19 h, Beethoven, le concerto pour piano et orchestre n°5 en mi bémol majeur Opus 73, « l’Empereur » et la symphonie n°5 en ut mineur opus 67.
Qui plus est, Lars Vogt est de retour à la Roque d’Anthéron. Avec ce grand Monsieur, c’est toujours la fête. Cette année, cette première soirée d’ouverture s’est faite sans Nicholas Angelich, lui aussi toujours très attendu. Le pianiste malheureusement souffrant a été remplacé au pied levé par Vadym Kholodenko. Ce pianiste ukrainien de réputation internationale, fait partie des artistes incontournables de la scène française.
Ainsi le festival débute avec 2 concerts d’exception et quel plaisir de voir le charismatique chef et pianiste diriger l’Orchestre de chambre de Paris. Il est donc accompagné par Vadym Kholodenko, pour cette première soirée à l’auditorium du parc, et par Mario Häring – pianiste pour la soirée du samedi 24 juillet, consacrée à Mozart.
Beethoven sous les doigts du pianiste, c’est tout simplement exceptionnel. A chaque concert, Beethoven est différent suivant qui le joue, et dans quel état d’esprit se trouve le pianiste.
Osons le dire tout de go, il y un supplément d’âme dans ces concerts retrouvés autour d’un public et cela prend un sens tout particulier de fêter Beethoven, sous l’ère du Covid. Beethoven qui a traversé tant d’épreuves. Car que dire de ce côté si humain, si universel de sa musique. En effet, le pianiste et le chef ont eux aussi mené leurs combats, et nul doute, ils vivent très fort ce concerto n° 5 en mi bémol majeur. Alors, devant son piano, Vadym Kholodenko nous parle des épreuves de la vie, des tourments, des drames.
On s’étonne. Comment ses doigts comme crispés au-dessus des touches peuvent-ils glisser avec autant de légèreté et de facilité sur le clavier. L’interprétation est profonde et lumineuse. À tel point que l’orchestre offre un écran cossu à cette œuvre, multipliant des émotions différentes, et laissant éclater cette force spirituelle incroyable. Parfois, en discutant auprès de mélomanes avertis, on apprend que cette symphonie est un peu moins aimée, justement car elle a ce rapport à la force et ce côté triomphal qui certes existent. Cependant, il y a tant d’autres aspects dans l’œuvre, comme cette lutte spirituelle, qui la rend si touchante.
Appelons que ce concerto dit « l’Empereur» a été créé pendant la guerre, sous les bombardements des armées de Napoléon. On retrouve de grands arpèges fiévreux en ouverture, une approche clinquante dont on parlait, mais aussi beaucoup de poésie, une réelle énergie dramatique. L’approche du pianiste est dès lors audacieuse, élégante, et peut-être d’un romantisme moins souverain que certaines interprétations que l’on a pu entendre. Qu’importe ! Des attaques nettes, un doigté exceptionnel, cette première soirée nous rend gourmands et attentifs au meilleur. C’est que l’orchestre regorge de sonorités enivrantes, « main dans la main » avec le soliste, notamment dans le second mouvement, et chef et soliste sont en harmonie.
Par ailleurs, l’orchestre sous la baguette de Lars Vogt, allie brillance, énergie rythmique dans la narration. On plonge dans tous les recoins de l’âme beethovenienne. Il faut dire que Lars Vogt est aussi connu comme pianiste, même si depuis plusieurs années, il s’est également imposé comme chef respecté d’abord à la tête du Royal Northern Sinfonia. Le directeur musical de l’Orchestre de chambre de Paris est aussi un « spécialiste » Beethoven. Ainsi, il a su démontrer, si besoin était, qu’un pianiste peut aussi diriger du clavier. À cet égard, il sait donc tout de l’articulation de l’œuvre, rien ne lui échappe des couleurs, des nuances, des tempos. L’homme est inspirant. Même si on le sait, ce n’est pas tout d’inspirer, il faut une main qui tienne aussi la baguette, des réflexes de chef d’orchestre devant le pupitre, tout un art !
Vadym Kholodenko nous offre un rappel savoureux , une polka de W.R. Rachmaninov.
La symphonie n° 5 nous convainc tout à fait. Il y a une telle force dans cette œuvre.
D’une unité thématique percutante, le premier mouvement voit se bousculer ce premier motif à travers tout l’orchestre. Un motif que l’on connait tous, « pom pom pom pom », et un mouvement qui se construit sur deux thèmes qui s’opposent. Le premier est agressif, cassant, tandis quele second est mélodieux et tendre.
On aime d’emblée le jeu de l’hautboïste qui, comme désorienté, veut se faire entendre et chante au-dessus des autres instruments. C’est l’appel d’un homme seul, mais on le sait, dans la 5ème de Beethoven, c’est l’ensemble de l’orchestre qui nous parle de la solitude des hommes face à leur destin, et comme ce mouvement est bouleversant, à l’écoute, de toute évidence, c’est le destin qui gagne !
Quel contraste dans le second mouvement. Magnifique chant des altos et des violoncelles. On est presque soulagé face à ce jeu d’une telle sérénité, mais le retour au drame est inéluctable. Le ton donné n’est pas sans rappeler un certain Mozart. Les cors sont présents, trop peut-être, et dans leur appel résonnant, il nous semble reconnaitre le thème du premier mouvement.
Dès lors, le final fait du bien. Le 4ème mouvement est une véritable déflagration, une explosion de notes dans un élan fraternel, comme si l’humanité entière jaillissait en musique. Tout un orchestre de timbales, aux trompettes, font preuve d’une telle énergie tant et si bien que les cigales en ont eu le chant coupé net !
La 5éme symphonie s’achève. Ces deux forces opposées laissent place au silence.
Alors, abandonné à soi-même, on réfléchit encore au sens de cette œuvre grandiose qui porte en elle la dualité du monde. A l’image de Ludwig van Beethoven, héroïque et fort, malgré le tragique de la vie, il est écrit que l’homme dépasse le tragique de sa condition par sa volonté.
À la fin, qu’il est joyeux ce rappel avec Prokofiev, la symphonie numéro 1 en ré majeur opus 25, finale, un bonheur inattendu. Il faut, pour s’amuser de cette partition et offrir quelques facéties baguette à la main, une assurance incroyable. Oui, l’orchestre et Lars Vogt se sont fait plaisir et ont ainsi partagé avec nous des moments de grâce et de légèreté.
41ème festival international de piano de la Roque d’Anthéron
du 23 juillet au 18 août 2021.