Avec les Années de pèlerinage de Liszt, un concert béni !
Festival de la Roque d’Anthéron, mercredi 28 Juillet 2021.
Comment un même homme peut-il traduire sur un clavier une telle richesse de sentiments ?
Déjà l’œuvre est immense. Bertrand Chamayou la connaît bien pour l’avoir souvent interprétée. L’aura-t-il déjà jouée comme ce mercredi 28 juillet ? C’était exceptionnel !
Aussi pouvons-nous parler de maturité chez cet interprète qui, tout jeune pianiste déjà, recevait une pluie de récompenses. Ce lisztien passionné s’attaque à ces Années de pèlerinage (extraits joliment choisis) et nous révèle en Liszt un merveilleux poète, qui multiplie les détails délicieux, nous balade dans un paysage saisissant, ambiance tour à tour aérienne ou percutante, rugueuse et caillouteuse, car le chemin tracé par Liszt est parfois semé d’embûches.
Liszt a livré un album souvenir, et Bertrand Chamayou en tourne les pages en devenant à son tour le pèlerin du musicien hongrois. « Chapelle de Guillaume Tell », ouvre le recueil de façon magnifique. Puis le pianiste poursuit, avec « Au lac de Wallenstadt », un extrait savoureux, qui nous décrit un lieu accueillant, à la manière « impressionniste ». Alors des images subtiles et délicates apparaissent et même l’oreille est quasi « hypnotisée » par cette vague sonore et aquatique. On est à la fête avec « Pastorale » avant de repartir « Au bord d’une source », un véritable bijou, et le pianiste de nous livrer un impressionnisme musical de toute beauté.
C’est certain, après un tel bonheur, « Orage » gronde un peu brutalement.
Bertrand Chamayou est à l’aise dans ces pièces difficiles, dans tous les thèmes abordés, même si on peut préférer certains à d’autres. C’est inévitable et cela n’a rien à voir avec l’interprétation du pianiste toulousain. « Orage » notamment n’est pas facile à l’oreille, les nuances fortissimi sont parfois un peu dures. Comment éviter la « démonstration de force » ?
La technique de Bertrand Chamayou sait faire gronder le registre grave et son interprétation est vivement ressentie. Il faut dire que toute la partition regorge de possibilités d’expressions. « Vallée d’Obermann, » est justement une des pages les plus émouvantes de ce concert. Elle est en effet remarquable car c’est elle qui donne à l’ensemble sa dimension spirituelle. Une pérégrination, peut on dire même, qui est suivie par « Eglogue », où il nous semble entrevoir Debussy dans une écriture délicatement colorée.
Dans les passages aquatiques, les cascades, les fontaines, les notes coulent, glissent, ruissellent, nous éclaboussent…Ainsi le pianiste garde le cap dans ces mélodies somptueuses qui évoquent la douce présence de l’eau, qui nous livre des histoires poétiques. En effet on est comme dans un rêve éveillé, comme envouté, on ne quitte pas des yeux ces mains qui se déplacent par vagues sur le clavier. Surprenant « mal du pays » avec son rythme si particulier, voire hésitant et ses silences pesants. Le mystère s’épaissit avec « Les cloches de Genève ». De beaux élans lyriques, et soudain, on s’éloigne dans la nuit noire.
Après un très court entracte, le pianiste revient avec des extraits d’année de Pèlerinage (2ème année, l’Italie.)
Bertrand Chamayou nous livre « Il Penseroso » un extrait assez sombre, ponctué de dissonances pesantes, douloureuses. Impressionnante encore l’œuvre qui suit, intitulée « Après une lecture de Dante, Fantasia quasi una sonata ». Enfin, dans ces pièces la littérature tient une grande place, et c’est du reste Pétrarque qui va être « offert » dans un bis. Dès lors, en proposant « Trois sonnets de Pétrarque », le généreux pianiste nous livre encore, en fin de concert, l’un des plus beaux joyaux et sans doute l’un des plus difficiles de ce recueil. Expression d’une grande richesse, d’un lyrisme incroyable.
Généreux le pianiste ? Oui assurément : un « petit dernier » nous dit-il, relativement court celui-ci. « Nocturne » de Liszt, une invitation à la rêverie qui va nous accompagner tout au long de la nuit.