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Le pêcheur de cailloux, la mémoire d’un temps qui n’existe plus, beau roman de Bernard Bouzou

par Émile Cougut

Bernard Bouzou a une plume sensible, pleine de chaleur et d’émotions. Ainsi, en cette fin des années cinquante et au début des soixante, un jeune parisien passe ses vacances à la Bastide, petit village isolé au fin fond du Lot, au milieu de nulle part ,dans la maison familiale. Il connaît tous les coins et les recoins de cet endroit qu’il parcours à vélo, sans compter sa passion pour la pêche qu’il pratique, sans la carte réglementaire, aux Escouanes, une retenue d’eau artificielle.

Il connaît et est reconnu par tous les villageois, la patronne du bar, le chauffeur de taxi, le facteur, le cantonnier, etc. Bien que « parigot tête de veau », il a plein de copains au village avec qui il va se baigner dans le ruisseau et surtout jouer au rugby sous la houlette du curé.

Bon bien sûr, il y a souvent son grand-frère, mais ce dernier est plus occupé à roucouler auprès de la fille du pharmacien qu’à garder son cadet. Et puis, quand on est adolescent, on ressent les premier émois de l’amour, et de ses souffrances quand l’élue de son cœur préfère indéniablement le bellâtre du château avec sa voiture décapotable à un jeune dégingandé avec son vieux vélo.

Le pêcheur de cailloux Bernard Bouzou

Notre petit héros est curieux. Un jour, il trouve au fond de l’eau un caillou bizarre autant par la forme que par son aspect. Et quel étonnement a-t-il quand il s’aperçoit que son bourru de voisin, Monsieur Abel, a caché dans une boite un caillou qui s’emboîte parfaitement avec le sien. Et quand ils sont réunis, ils clignotent incessamment.

Par étape, bien après son décès, monsieur Abel l’amène à connaître le secret des pierres. Grâce à la buraliste, érudite locale, il apprend l’histoire de la Bastide et des forgerons allemands qui s’y sont installés au XIIIème siècle. Il essaie de comprendre comment, à partir de quels matériaux, ces pierres ont été forgées, quel est leur secret et leur pouvoir.

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Pour comprendre tout cela, il va falloir qu’il poursuive des études de physique et de chimie autour des alliages spéciaux. Tous ces phénomènes surnaturels, de fait répondent à une vraie rationalité scientifique, en sachant qu’ils ne peuvent se reproduire à l’infini, car l’élément de base vient d’une météorite qui s’est écrasée sur cette portion de terre il y a des dizaines de millénaires.

De fait, toute cette histoire n’est qu’un prétexte pour se remémorer des souvenirs d’enfance, pour nous décrire toute une société rurale qui a disparu à tout jamais. Et d’ailleurs, au fil du récit et donc du temps qui passe, on voit le cadre physique qui évolue et progressivement la façon de vivre des habitants qui change lentement.

C’est un monde très éloigné de celui de Paris dans lequel il vit le reste de l’année. Imaginons un seul poste de télévision pour tout le village qui permet d’avoir le résumé de la veille du Tour de France. Et le « rince cochon » (Suze et eau de Seltz) qui se boit comme du petit lait au comptoir du bar (les associations de lutte contre l’alcoolisme n’étaient pas encore arrivées dans ces villages ruraux).

Tout cela sans oublier bien évidemment les parties de rugby contre le village voisin (qui était symboliquement une forme de Guerre des boutons). De même pour les fêtes votives qui permettaient de se rencontrer, et les veilles histoires qui de fait trouvaient leurs racines dans des faits oubliés qui s’étaient passés voilà des années à la Bastide. C’est bien ainsi voilà et comment commencent les mythes. C’était alors tout bonnement un univers et un rythme de vie, lent, souvent ritualisé, une sorte de routine dans laquelle les habitants s’épanouissaient.

Un hymne à la lenteur, à une harmonie avec la nature. Un temps révolu qui ne reviendra plus. Et, ce qui rajoute à ce récit quasi ethnologique, une description pleine d’humour, d’une très grande tendresse pour tous ces habitants qui gravitent autour de notre héros que nous suivons durant quelques années, dont nous suivons l ‘évolution morale, amoureuse. Au début, c’est un adolescent insouciant, à la fin un adulte montrant, et c’est tout à son honneur, une grande curiosité intellectuelle.

Un temps révolu, décrit sans aucune nostalgie mais avec une immense tendresse. Le Pêcheur de cailloux est un très joli roman.

Le Pêcheur de cailloux
Bernard Bouzou

éditions Les 3 Colonnes. 22€

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