Tout est dit dans le titre de ce premier roman de Dorothée Catoune, Pas d’ombres sans lumière. Avant de pouvoir atteindre sa lumière, c’est à dire exprimer ce que l’on pense, que l’on ressent comme le sommet de son épanouissement personnel, il y a des épreuves. La vie est vraiment loin d’être un long fleuve tranquille. Qui plus est, il y a autant de lumière qu’il y a d’êtres humains, tout comme il n’y a pas de Vérité, mais des vérités),
Ainsi ces épreuves, ces expériences, sont d’autant de marches nécessaires, d’ombres dans notre passé qui ne sont perceptibles que grâce à la lumière qui n’en est que l’aboutissement. Souvenons-nous du prologue de l’Évangile selon Saint Jean, semble nous dire Dorothée Catoune, « la vie était la lumière des hommes. Et la lumière luit dans les ténèbres».
C’est que la lumière vient, provient des ténèbres, et, quand elle rayonne, en nous retournant nous percevons les ombres, restes des ténèbres dans lesquelles nous étions plongées, parfois sans en avoir pleinement conscience. Souvent, cette prise de conscience est la conséquence d’une rencontre, d’un fait d’une banalité totale qui fait basculer notre vie, soit plus profondément dans les ténèbres, soit vers la lumière. On est loin du choix, de la décision mûrement pensée, réfléchie ; on est loin du libre arbitre.
Non les faits s’imposent sans que l’on puisse véritablement lutter contre eux, c’est le passage des compromis, de la routine, des concessions, vers l’évidence. Le maître en ce genre est certainement Simenon. Actuellement Armel Job décrit parfaitement ce « passage » dans ses romans ( lire les chroniques d’Armel Job, le 15 de chaque mois dans WUKALI). Et Dorothée Catoune emboîte leurs pas de géants.
Deux amies, deux vraies amies Adèle et Lisa. Deux jeunes filles prometteuses qui font des choix de vie différents. La première se marie jeune avec Victor, ils ont deux filles. Elle a tout pour être heureuse, du moins suivant les critères qui lui ont été inculqués, mais force est de constater qu’elle est loin de s’épanouir dans sa vie de femme au foyer. Il faut dire que Victor, pris dans les problèmes de gestion de sa PME, ne la « regarde plus ». Adèle est un acquis, elle est et sera toujours.
Lisa, quant à elle a poursuivi ses études et est docteur en ethnologie, secteur où il est difficile de trouver du travail, aussi enchaîne-t-elle les boulots sans vraiment trouver son contentement. Elle est très amoureuse, malgré le temps, de son mari Simon qui passe son temps autour du monde dans les chantiers qu’il dirige. Elle a deux grandes blessures : elle rêve de devenir écrivain mais n’arrive pas à finaliser un livre et quand elle y arrive, Adèle se montre une lectrice sans concessions. Et puis, surtout, après un accident de la circulation dans son enfance, elle ne peut avoir d’enfant, malgré son désir et celui de son mari.
La première à sortir de sa routine est Adèle qui tombe raide amoureuse de sa conseillère du Pôle emploi. Du jour au lendemain, elle prend conscience non seulement de son homosexualité mais aussi de la vacuité de sa vie. Elle prend ses filles, quitte Victor, va vivre avec Tania, trouve un travail où elle développe ses réelles capacités de manager. Pour Lisa, il lui faut un choc, un choc terrible, la preuve qu’avec Simon, sa vie n’était qu’artificielle et mensongère. Et elle part s’épanouir dans le sud avec un de ses amis de la faculté qui a toujours été amoureux d’elle et réciproquement, fallait-il encore qu’elle ose se l’avouer.
Toute deux ont trouvé leur chemin, leur lumière, leur épanouissement personnel même Lisa qui finit, naturellement à écrire un live quand elle a le « déclic » : « mon problème est que j’écris pour être publiée ! Mais le but d’un écrivain n’est pas d’être lu !… Un écrivain écrit pour écrire ! Juste pour l’écriture ! Juste pour sentir les mots. » Voilà un bon sujet de réflexion que je laisse à tous les écrivains.
Quoiqu’il en soit Pas d’ombres sans lumière est un beau livre sur les retournements de situations que nous offre la vie. Ceux-là même qui peuvent nous mener à emprunter le chemin de notre épanouissement personnel, parfois très éloigné de celui que nous avions cru être le « naturel », alors qu’il n’était que celui que nous avait imposé la société, notre culture et la paresse de devoir mettre en cause une routine somme toute rassurante
Pas d’ombres sans lumière
Dorothée Catoune
éditions L’Archipel. 18€
Illustration de l’entête: Balthus. Thérèse rêvant (1938)