Michel Dalberto à la Roque d’Anthéron, voici encore un pianiste au firmament de la musique classique
Le 13 août au Festival International de piano de la Roque d’Anthéron, Michel Dalberto a donné un récital entièrement consacré à Schubert,un programme légèrement différent de celui initialement programmé mais toujours à la hauteur des espérances du public.
Il fait encore très chaud ce vendredi soir à 21 h. En cette période de canicule, public, bénévoles et pianistes se retrouvent dans la même fournaise. Devant son clavier, le très attendu Michel Dalberto apprivoise son piano qui lui aussi souffre de la chaleur.
Moments musicaux D 780 n°1, 3, 5 et 6. Quelle belle idée de commencer par ces pièces exquises, d’une fraicheur et d’une candeur déconcertantes, ça fait un bien fou. Ce qui ne veut pas dire qu’elles sont faciles à jouer, loin de là. Même si la base mélodique parait « simple », notamment dans le premier « moment », facile à suivre disons, Michel Dalberto nous impressionne.
À cet égard, on se souvient des « impromptus », autres courtes pièces de Schubert joués sur cette même scène du Parc du Château de Florans par le Magicien, Nelson Goerner. Michel Dalberto nous fait aimer tout autant ces « moments musicaux, qui eux aussi nous baladent dans des atmosphères différentes. Il nous livre une mélodie « folklorique, pour des moments joyeusement « populaires », une mélodie mélancolique pour des moments nostalgiques ou rêveurs, une mélodie enjouée pour des moments réjouissants, comme ce fameux moment n°3, Allegro moderato, que tout le monde connait et qui se balade dans notre tête. Il est joué avec légèreté et élégance. Il y a encore ces ambiances plus sombres, voire mystérieuses, ou encore des moments où le rythme soudain s’emballe, comme dans le 5ème, un moment plus inquiétant.
C’est dans ces moments où le pianiste force le trait que le piano surprend. Noirceur balayée d’un revers de la main du pianiste par le 6ème, l’allegretto, un épilogue magnifique qui nous attendrit. L’interprétation est divine et on réalise à quel point le toucher de Michel Dalberto est admirable. On est captivé par ses mains. On note ce geste précis pour obtenir telle ou telle intensité. Comment, furtivement, discrètement, il distribue le poids de son bras, de son corps qu’il bouge pourtant peu par rapport à d’autres pianistes. Comment encore il « passe d’une note à l’autre », parfois collé au clavier alors que l’autre main attaque de plus haut pour faire ressortir le chant.
Il a su partager avec nous la tendresse de cette partition et on y retrouve tout le raffinement et la délicatesse propre à la musique de Schubert. Quelque chose de terriblement humain, d’intime et mystérieux tout à la fois. Ces courtes pièces sont des petits chefs d’œuvre et il est impressionnant de voir comment le pianiste harmonise l’ensemble dans la chaleur de cette nuit d’été.
Des moments musicaux qui ont une texture délicate, raffinée et dans lesquels se développe un lyrisme sans contrainte formelle qui convient délicieusement au pianiste. Mélodie hongroise en si mineur D.817 : là encore, il y a ce goût du risque et son jeu dans la mélodie est à la fois conquérant et lyrique. On y danse on y danse, car on se laisse porter par la formidable rythmique de ces mélodies populaires.
Impromptu en si bémol majeur opus 142 n°3 : sans doute l’un des plus connus, avec le n°2.
Là encore, on se souvient de l’interprétation de Nelson Goerner, mais voilà qu’il faut l’oublier un temps, car ce que nous propose Michel Dalberto est totalement différent. On est également séduit. Le troisième impromptu nous emballe littéralement pour l’éloquence captivante du thème joué par Michel Dalberto. Nous ressentons tout de la magnifique inspiration du pianiste. C’est séduisant, fluide, aéré, car cette musique a besoin de respirer. Reprendre son souffle, trouver des respirations, pour vivre et suivre la superbe mélodie qui sonne comme un lied. Superbes ses mains carrées, qui tout en souplesse glissent d’une touche à l’autre. Le pianiste n’utilise pas trop de pédale, pour ne rien perdre de la musicalité sans doute, et il s’offre quelque petite fantaisie harmonique que Schubert aurait sans doute beaucoup appréciée !
C’est avec la sonate n°23 en si bémol majeur qu’il prouve encore, si besoin était, que Schubert est son compositeur de prédilection, compositeur de cœur peut-être aussi.
Car nous l’écoutons, et c’est soudain bien évident : c’est ainsi qu’il faut jouer ! Avec son toucher d’une beauté évidente, il va droit au coeur de la musique de Schubert. Certes, d’autres musiciens nous ont touchés, les pianistes Schubertiens sont nombreux à nous emporter, mais il faut admettre que ce vendredi soir, Michel Dalberto était seul au monde.
Ovation pour le pianiste, qui quitte la scène. Il semble fatigué. Le public n’est pas sûr qu’il réapparaisse pour un bis. Il salue et repart. Au troisième rappel, il s’assoie de nouveau, pour deux bis admirables. Balade tardive et souriante en forêt avec l’oiseau prophète de Schumann. C’est rieur, mystérieux et un peu triste. Le lied qui suit nous émeut encore. Une transcription pour piano, Schubert/ Liszt, un bel hommage assurément : Mülerlieder S.565: n°2, der Müller und der Bach. Liszt à l’écoute de Schubert, et Michel Dalberto à l’écoute des deux compositeurs, à la recherche d’encore plus de profondeur et d’émotion contenue dans cette partition. Une fin de récital incroyablement émouvante.