Charles Burles, ténor français disparu le 22 août 2021, a vu le jour le 21 juin 1936, à Marseille dans le quartier du Panier, dans une famille modeste (son père travaillait au tram de Marseille), mais mélomane : le jeune garçon découvre Carmen à 5 ans, Les Pécheurs de Perles à 6 ou 7 ans, au théâtre de sa ville natale. Remarquons que cette initiation, précoce autant que féconde, à l’art lyrique est semblable à celle vécue, au même âge, par Mady Mesplé et Andréa Guiot récemment disparues. Heureux temps où l’on pouvait aller au spectacle en famille sans risquer d’exposer sa progéniture à des visions horrifiques !
Très jeune, Charles Burles participe à des chorales, dont celle de sa paroisse, et à divers concours de chant qu’il remporte. Il entre au Conservatoire de Marseille dans la classe d’un baryton réputé dans les années 1940, Fernand Lagarde. Il prend également des leçons privées auprès d’un ténor, né à Bayonne en 1879, Léon Cazauran qui s’était notamment illustré dans le rôle d’Hoffmann, à Rome comme au MET de New-York, au début du XXe siècle. Ce dernier enseigna à son élève une maîtrise virtuose des vocalises, et notamment celle du diminuendo permettant de passer sans rupture de la voix de poitrine à la voix mixte, sans nuire à la projection de la voix, technique quelque peu oubliée dans cette deuxième moitié du XXe siècle.
L’apprenti chanteur s’intéressa également aux interprétations de chanteurs de son temps comme Henri Legay (1920-1992), qu’il considérait comme incomparable dans les rôles de Nadir et de Des Grieux. Il s’en inspira pour chanter Le Postillon de Longjumeau dont il agrémenta le fameux grand air en rajoutant quelques fioritures inexistantes dans la partition. Cette maîtrise technique lui fut particulièrement utile dans le répertoire de Rossini dont il chanta l’Almaviva du Barbier de Séville pour ses débuts – non payés -, à l’Opéra de Toulon, en 1958. Dès l’âge de 19 ans, il s’était produit à Marseille sur des scènes secondaires, parfois en faisant également de la mise en scène. Mais en 1958, il doit partir, pour 28 mois, faire son service militaire en Algérie.
Encaserné à Oran, il fréquente assidûment le Théâtre municipal de la ville dont le directeur, M. Ribera, lui permet de garder un contact avec la vie lyrique en lui offrant d’assister gratuitement aux spectacles et de travailler quotidiennement avec une répétitrice du théâtre. C’est sur cette scène qu’il fait la connaissance d’un jeune baryton oranais, Pierre Le Hemonet qu’il retrouvera plus tard à Marseille et avec lequel il devait souvent travailler à l’avenir. Après le régiment, Ribera, qui sera un temps son impresario, l’engage pour une série de Cloches de Corneville, et le directeur du théâtre de Constantine, frère d’Adrien Legros, l’engage pour La Veuve joyeuse.
Rentré en France, il participe à un Paillasse radiodiffusé, avec José Luccioni et Franca Duval et à un enregistrement de La Vie de Bohème réalisée pour la télévision. Remarqué par Louis Ducreux, directeur de l’Opéra de Marseille, il est engagé, en 1963, dans sa troupe et chante tous les rôles de ténor léger. Mais c’est en 1968, pour la reprise de La Juive à Toulon, dans le rôle vocalement périlleux de Léopold, aux côtés d’un Tony Poncet adulé par ce public méridional, que sa carrière est véritablement lancée.
Il débute à l’Opéra-Comique en 1969, dans Zoroastre de Rameau. La même année, son interprétation du rôle-titre du Jongleur de Notre-Dame de Massenet est saluée par une critique unanime. Pierre Bessand-Massenet, petit-fils par sa mère du compositeur, déclare à ce sujet : « Je crois être l’interprète de ce qu’aurait éprouvé Massenet en disant qu’aucun artiste n’a été un interprète aussi émouvant, aussi impressionnant que Charles Burles ».
En novembre 1970, Charles Burles participe, à l’Opéra-Comique, à une création d’importance, L’Annonce faite à Marie, mise en musique d’après l’œuvre de Paul Claudel par le compositeur italien Renzo Rossellini (qui n’est autre que le frère de Roberto le cinéaste). Il est alors le partenaire de grands noms de l’Opéra de Paris de l’époque, Christiane Stutzmann, Eliane Manchet, Denise Scharley, Julien Hass, sous la direction de Georges Sebastian.
Ce spectacle a connu un réel succès, notamment dans plusieurs grands théâtres lyriques d’Italie. Une gravure en microsillon en fut réalisée à Turin par la Guilde Internationale du disque, sous la baguette de Sebastian lui-même. Cet album est devenu hélas, introuvable. L’auteure de ces lignes se souvient avoir applaudi cette production à la Fenice de Venise en avril 1973. Oliviero De Fabritiis succédait alors à Sebastian à la direction de l’orchestre.
En 1971, à propos de représentations du Postillon de Longjumeau, le critique Bernard Gavoty (qui signe Clarendon dans Le Figaro) déclare : « Charles Burles ténor ultra léger vocalise dans le suraigu, avec une virtuosité de brodeuse ». En 1973, grâce à Jean Laffont, il est invité à Gand, où il chante Arturo des Puritani (contre-fa inclus) avec Maria Fleta, la petite-fille du célèbre ténor ibérique Miguel Fleta, ce qui lui permet d’obtenir des engagements en Espagne pour Le Barbier, Les Pécheurs de perles (en italien) et Rigoletto. Il sera, par ailleurs, un invité régulier de l’opéra de Gand.
C’est en 1977 qu’il débute à l’Opéra de Paris, en Mercure de Platée. Charles Burles chante les grands rôles de ténors légers : L’Enlèvement au Sérail, Les Pêcheurs de Perles, Mignon, La Fille du Régiment, Don Pasquale, L’Italienne à Alger, Le siège de Corinthe, Le Comte Ory, Mireille, Les Paladins…
À partir de 1996, il s’oriente vers des rôles de composition et fait ses adieux en 2006 dans le rôle d’Altoum de Turandot à Marseille (rôle qu’il avait également interprété à l’Opéra Bastille, dans trois séries de représentations entre 1997 et 2002). Il se consacre alors à l’enseignement.
Outre sa maîtrise technique, Charles Burles possédait une diction impeccable et un timbre plaisant. On peut le retrouver dans les enregistrements d’opérettes (La Fille de madame Angot, Les Cloches de de Corneville, Les Mousquetaires au couvent Orphée aux Enfers, La Belle Hélène, Les Dames de la Halle, Monsieur Choufleuri restera chez lui ce soir…) ; d’opéras (Le Barbier de Séville, L’Amant jaloux, Richard Cœur-de-Lion), souvent en compagnie de Mady Mesplé avec laquelle il a enregistré une intégrale de Lakmé en 1970, sous la direction d’Alain Lombard (EMI). Dans une autre intégrale de la même œuvre publiée en 1998, avec Natalie Dessay, il interprète le petit rôle de Hadji. Le label Malibran propose un album de deux disques d’airs d’opéras et un enregistrement public de son Postillon de Longjumeau. Autant de possibilités de redécouvrir cet artiste français.
Illustration de l’entête: Charles Burles dans La Grande duchesse de Gerolstein. Capture d’écran YouTube