On connaît bien Gilles Paris, l’auteur de l‘Autobiographie d’une courgette ou de Certains cœurs lâchent pour trois fois rien et dont j’ai eu le plaisir de dire tout le bien que j’en ai pensé dans les colonnes de WUKALI. Aussi, quel bon moment en perspective quand j’ai eu entre les mains son dernier récit : Un baiser qui palpite là, comme une petite bête.
Un coup de poing dès le premier chapitre avec une interrogation, où l’auteur veut-il nous mener ? Au fil du récit, en effet, petit à petit, un certain malaise s’installe, telle une incompréhension provoquée essentiellement par le choix précis des mots, des termes, des inventions lexicales, subtilité de l’écriture, appropriation du langage. Car, précisons-le, les personnages de ce roman sont tous des adolescents de 15 ans, champions et connaisseurs des réseaux sociaux et qui possèdent, comme dans un rituel clanique, leur propre vocabulaire. Pas grave, il y a un lexique à la fin du livre si on veut tout comprendre. Avec les limites de ce genre, convient-il de le souligner : un mois après la parution du livre, les deux tiers des termes ou des expressions sont passés de mode et leur utilisation nous range dans la famille des « ringards ». Et puis, on comprend, ce livre est essentiellement écrit (très bien écrit) pour des adolescents, pas pour des adultes, ce qui explique quelque peu le côté irréaliste de bien des passages du récit.
Voyons l’histoire: Emma et Tom sont deux jumeaux de 15 ans habitant Paris. Avec des parents assez absents, ils sortent très souvent pour des soirées avec des amis où l’alcool coule à flot. Tom enchaîne les comas éthyliques, sa sœur elle ne boit que du, vrai, jus de pomme. Évidement, en plus de l’alcool, tout le monde fume, et pas que du tabac.
15 ans, si Emma a ses premiers rapports sexuels avec le beau Solal, Tom, lui est tiraillé entre son désir pour les filles et pour les hommes. Les hormones les titillent. Et on couche beaucoup dans leur milieu, dans les soirées, bien des couples se forment (avec des filles saoules) qui finissent par s’enfermer dans une chambre pour faire des galipettes. Mais il y a des codes à suivre : jamais coucher le premier soir, ni le second, faire très attention aux vidéos que certains n’hésitent pas à publier dans les réseaux sociaux et qui ruinent définitivement votre réputation. D’ailleurs quand ça arrive à Iris, tous se liguent contre elle, la harcèlent, jusqu’à ce qu’elle se suicide. Nos jeunes héros finiront par comprendre les causes profondes de son acte et regrettent de ne pas lui avoir tendu à temps la main qui aurait pu la sauver préférant hurler avec la meute.
Bon, l’univers de Tom et Emma ne concerne pas, loin de là, la jeune génération, mais plutôt celle cousue d’or, avec des parents à l’éducation très libérale : ils sont loin de vérifier ce que font leurs enfants, sont tous absents et remplis d’argent (du moins pour la majorité), qui ne disent rien quand leurs enfants fument, et j’en passe. Quoi de plus normal à 15 ans de disposer d’un studio pour soi à Paris ! Tout le monde vit dans une maison avec jardin dans Paris ou sa très proche banlieue. Non point que tous les adolescents (es) ont des relations sexuelles à cet âge, ils sont plutôt très minoritaires.
Mais là, je sais, c’est l ‘adulte qui parle, le vieux grigou qui n’a pas élevé ses enfants comme ça. Mais ce n’est pas grave, car je persiste à penser que ce récit est fait pour des adolescents. Et c’est très bien réussi. Les hésitations de Tom, attiré par un garçon, mais aussi par une fille, sont superbement décrites. En outre, les trahisons, les ravages que peuvent causer les réseaux sociaux et puis le masque que chacun met pour être à la hauteur du personnage qu’il souhaite que les autres croient qu’il représente. Tout cela sans parler des blessures cachées, de la volonté de certains de sortir de leur condition (car tous ne sont pas nés avec une cuillère en argent et n’en ont jamais vue chez eux). Mais aussi les remords, l’empathie, la volonté de réparer, même symboliquement le mal que l’on a fait, la volonté de continuer de progresser malgré les blessures qu’afflige la vie.
Gilles Paris n’en finit pas de nous étonner.
Un baiser qui palpite là, comme une petite bête
Gilles Paris
éditions Gallimard. 13€50