Ha, enfin, un vrai roman policier comme on les aime ! Un roman policier français, écrit en (très bon) français, bravo Hugo Pagan. Un titre qui fait mouche: Le café des indigents.
Un de ces romans dont l’enquête purement policière est très accessoire, mais qui prend le lecteur, l’envoûte, s’insinue en lui. Très vite il sait que la lecture finie, il ne sera plus exactement le même, qu’il a changé, évolué grâce à la force contenue dans ces quelques pages. Ce qui le prend, c’est une atmosphère, un cadre, des vies qui se croisent et s’entrecroisent, et au final une vraie philosophie de ce qu ‘est la vie.
Rien qu’au titre, il n’est pas difficile de comprendre que cette philosophie est loin d’être optimiste, très très loin. On est sur la solitude inhérente à la nature humaine, les difficultés de communiquer, le poids écrasant du passé, la peur de saisir sa chance tant on est détruit de l’intérieur. Mais aussi, l’égoïsme, les petits chefs qui ne peuvent exister qu’en humiliant les autres et plus ils crient, plus ils montrent les faiblesses qu’ils ont en eux. Leurs ambitions, souvent mesquines par rapport au vécu des autres, ne sont là que pour avoir une sorte de reconnaissance de leurs « valeurs » qu’ils doutent avoir.
Et puis, il a les « petites gens », ceux qui ne sont « pas du bon côté », qui essaient de vivre ou plus exactement de survivre dans une société qui ne reconnaît que la réussite sociale et n’a que de mépris pour ceux qui ne font pas partie de la caste des favorisés. Ils vivent dans leur monde, dans un univers dur avec l’espoir que grâce à leur travail leur descendant sortiront de cet état.
Hugues Pagan nous plonge à la fin de l’ère Pompidou, à la fin des Trente glorieuses qui ne le furent pas pour tous, loin de là. Une société qui est, de fait bien éloignée de la nôtre. Pas de téléphone portable, pas de réseaux sociaux, la majorité de la ,population, et encore moins la « laborieuse », n’a pas de voiture, et que dire de la télévision, deux chaînes qui étaient strictement contrôlées par le pouvoir. Soit, mai 68 était passé, mais ses effets ne se faisaient pas encore ressentir dans « la France profonde ». Et puis, il y avait toute une génération d’hommes traumatisés par la guerre d’Algérie. Quant à la police, elle était raciste, violente, aux ordres des pouvoirs. Les patrons (cf. les commissaires) étaient des Dieux tout-puissants. Ils feraient aujourd’hui le dixième de ce qu’ils faisaient à cette époque, ils seraient immédiatement radiés des cadres ! Le corporatisme était omniprésent, bien entretenu par les syndicats. On était proche de « la grande muette ». Il y a des abus, des violences, mais on règle tout cela en interne. Et les « purs » étaient mal vus. Et puis, à cette époque, la coupure entre la tenue et le judiciaire était totale, deux mondes, deux univers travaillant dans les mêmes locaux, sous l’autorité d’un même patron, mais qui ne se fréquentaient pas.
Dans la Ville arrive l’inspecteur principal Claude Schneider, un enfant du pays. Il arrive de Paris , mais avant, il a fait la guerre en Algérie comme lieutenant et les traumatismes de cette époque son toujours aussi présents et l’empêchent, de fait, de se fondre « dans le moule ».
Beau, ténébreux aux yeux gris, solitaire, il mène en main de maître le groupe criminel. Et puis un jour, Betty, la fille d’un cheminot est retrouvée morte. Elle n’avait que 15 ans et la vie devant elle. Schneider est obnubilé, envahi par cette mort, il fera tout pour retrouver les coupables, tout en menant à bien d’autres affaires. En butte à sa hiérarchie, à ses démons, montrant une humanité et une empathie rares dans ce milieu œuvrant dans le crime et la violence, il réussira, quitte à se retrouver encore plus seul.
Il y a du Maigret dans Schneider, tout comme il y a du Manchette ou du Jonquet dans Hugues Pagan.
Un très grand roman qui nous plonge dans les tréfonds de la nature humaine.
Le café des indigents
Hugo Pagan
éditions Rivages- Point noir. 20€50
Illustration de l’entête: Au Vrai Zinc de Paris de François Thomazeau. éditions Parigramme.