Après Carol-Anne et Patrick de Carolis, c’est Alain Baraton qui est l’invité du Château de Sannes pour une rencontre OenoCulturelle. Les auditeurs de France Inter et du petit écran le connaissent bien. Le jardinier en chef du Domaine de Trianon et du château de Versailles, responsable du Domaine de Marly-le-roy, présente des chroniques et des émissions très appréciées par tous ceux qui aiment et défendent les arbres, les plantes, les fleurs…
Pour le public de connaisseurs venu l’écouter en nombre au Caveau de Sannes, ce qu’affirmait Voltaire devient une évidence : « Jardinier est le plus noble des métiers ! La soirée était animée par monsieur Marc Gaucherand, directeur de la librairie « le Bleuet » de Banon, qui rayonne dans toute la région.
Alain Baraton, « Passeur d’histoires », ne fait pas que donner des conseils de jardinage. Il aime les livres, et dans ses chroniques sur France Inter notamment, il présente régulièrement un ouvrage lié à la nature ou au jardin. Parmi les siens nous avons aimé : « Mes jardins de Paris » publié aux Éditions Grasset. Impressionnant, rare, plus de 150 lieux répertoriés dans la capitale. Et quel bonheur de se promener dans un Paris nature, confidentiel, avec un tel guide. On mesure le travail qui a été réalisé par le jardinier-écrivain. Parcs, squares, jardins, on flâne dans le présent et le passé à travers des balades thématiques qui nous donnent envie d’en découvrir toujours plus.
Dans les moindres recoins surgissent des anecdotes historiques, politiques, militantes, féministes, humoristiques… On se glisse dans la confidence. Les anecdotes secrètes, Alain Baraton nous les livre avec une malice et une gouaille reconnaissables entre toutes. Ainsi que quelques savoureux secrets qui, comme chacun sait, sont faits pour être percés. Ses jardins nous nous les approprions. Tout naturellement, nous pensons à André Le Nôtre, jardinier de Louis XIV. Les deux hommes laissent à la postérité des jardins inoubliables et ont en commun Versailles, chef-d’œuvre absolu.
Et puis il y a un ouvrage qui s’intéresse plus spécifiquement aux arbres : le « Dictionnaire amoureux des arbres » sorti le 12/05/2021 aux éditions Plon. C’est un amoureux qui nous parle des arbres, comme il le fait dans tous ses livres, du reste, car l’arbre est de tous les décors.
Il nous l’avoue : ce sont les arbres qui lui ont transmis l’envie d’éternité !
« L’arbre, c’est quelqu’un ! » Ce mot « arbre » revient si souvent dans la bouche d’Alain Baraton, que nul doute, il s’agit d’un ami. C’est auprès des arbres qu’Alain Baraton se sent vivre. Que de chemin parcouru depuis qu’il a découvert le Château de Versailles à l’occasion d’un job d’été en 1976.
A l’époque, Le jardinage n’était pas encore sa passion. Et voilà qu’en 1982, il devient le jardinier en chef du Domaine national de Trianon et du Grand parc de Versailles ! Au fil des ans et des missions, il réalise à quel point ce parc était sublime, planté d’arbres merveilleux qui ont résisté à tout, aux guerres, à la bêtise des hommes, aux tempêtes. On pense à celle de 1999, dont il nous parlera avec émotion lors de cette rencontre à Sannes. Une tempête qui l’a terriblement blessé lui, et ses « compagnons, ces arbres rescapés, devenus des amis, des confidents ».
Alain Baraton est aussi un merveilleux conteur. Il a la parole facile et tellement d’histoires à nous raconter. Celle qui met en scène le sophora du Petit Trianon nous enchante autant qu’elle nous fait réfléchir. Cet arbre venu d’Asie a été planté dans la résidence favorite de Marie-Antoinette. Il a dû entendre ses rires, ses pleurs, a sans doute vu des belles concurrentes tourner autour de Louis XV à l’ombre de son feuillage. Ce témoin de l’histoire de France a lui aussi connu la sécheresse, la canicule, la révolution, les guerres. Et il a survécu ! C’est un miraculé. Qui sait s’il ne pourrait pas vivre encore plusieurs siècles ? Devant ce « monument », on peut comprendre qu’Alain Baraton s’est fait une certaine idée de l’éternité. Comment ne pas s’émerveiller encore de cette histoire incroyable. Des acacias en Afrique étaient menacés de disparaitre par la prolifération des Koudous, gros mammifères, antilopes herbivores. Les arbres, aussi étrange que cela puisse paraitre, ont organisé leur défense et préservé leur survie en fabriquant des toxines très toxiques pour l’animal. Leurs feuilles, comestibles depuis des millénaires, ont progressivement empoisonné des milliers de koudous et grâce à cette stratégie, les acacias ne sont plus menacés. L’histoire est belle n’est-ce pas, surtout lorsque l’on sait que les feuilles sont devenues à nouveau comestibles ! « Il ne s’agit pas d’élucubrations, les arbres ont vraiment du pouvoir et toutes ces observations ont été réalisées par des scientifiques de très haut niveau ! »
Nous avons rencontré Alain Baraton au Château de Sanne
- Nous sommes dans le domaine de Monsieur et Madame Gattaz, au Château de Sannes.
Est-ce la première fois que vous venez à Sannes ?
C’est la première fois effectivement. Je connaissais un peu la région, que j’apprécie beaucoup. De nombreuses personnes avec lesquelles j’ai travaillé vivent non loin d’ici. J’ai découvert ce domaine que j’ignorais complètement, et j’ai été surpris par le charme, la beauté, par la simplicité élégante.
C’est un château qui a beaucoup de caractère et un jardin qui dégage une âme. Ce n’est pas un jardin de prétentieux, c’est un beau jardin avec un passé, on voit que, si on avait le temps de s’y attarder, il aurait une histoire à nous raconter.
Comment avez-vous rencontré monsieur Gattaz ?
Monsieur Gattaz, président du Conseil national du patronat français (CNPF) m’invite un soir à le rencontrer à l’occasion d’un diner pour parler des métiers, de l’avenir, de la jeunesse. J’ai trouvé cela très élégant qu’il me reçoive à son siège à Paris, pour parler justement de ces créations d’emplois. J’ai beaucoup apprécié la soirée en sa compagnie, la discussion, l’élégance de cet homme, sa pertinence, son intelligence, son humour aussi. Cela fait plaisir de rencontrer des gens qui font preuve d’intelligence et en même temps de modestie. C’est quelqu’un qui compte beaucoup, un homme qui vit avec passion et qui fait ce qu’il fait avec passion.
Avez-vous déjà fait le tour du domaine ? Quelle sont vos impressions ? Est-ce que vous avez pu déjà repérer les arbres les plus remarquables du domaine ?
Tous déjà ! Les platanes qui sont devant la propriété, certains sont blessés sans doute par la foudre et ils continuent de vivre. Il y a notamment un platane qui a la particularité d’avoir sur le bois ce qu’on appelle une loupe. Il s’agit d’une excroissance sur le tronc, et souvent, elle est fabriquée par l’arbre pour ensevelir un corps étranger. Il y a peut-être dans ce bois quelque chose qui nous est aujourd’hui caché, et qui nous raconte une belle histoire.
Il y a aussi tous ces arbres en devenir, comme les cyprès, qui sont merveilleux et qui témoignent d’un temps pas si lointain. Des vieux arbres, qui comme les platanes, ont au moins deux cents ans. L’ensemble du domaine est très agréable.
Vous avez rédigé une vingtaine d’ouvrages avec toujours cette volonté de transmettre. Pourquoi est-ce si important pour vous ?
Ce n’est pas la volonté de transmettre, mais le plaisir ! Je suis un garçon qui a beaucoup souffert quand il était jeune. Peut-être d’un complexe d’infériorité, de ne pas être suffisamment écouté, de ne pas être assez séduisant, intelligent, etc … Avec les années, les choses ont un petit peu évolué, j’ai la chance de parler tous les week-ends sur France Inter à presque deux millions d’auditeurs, et d’un seul coup, je me suis rendu compte que mes propos pouvaient parfois avoir de l’intérêt. Je prends du plaisir à parler des arbres, des jardins, des hommes, des femmes qui les font ; c’est devenu un plaisir mais c’est bien sûr aussi le besoin de transmettre.
Que diriez-vous aux auditeurs de France Inter qui disent : » Les chroniques sont trop courtes, on aimerait que cela dure plus longtemps ! »
Ce qui compte c’est que je sois à l’antenne depuis 20 ans, que je puisse continuer à y être longtemps encore. Il vaut mieux la pertinence d’une intervention qu’une chronique qui s’éternise et finirait pas lasser. L’avantage si je puis dire, c’est que c’est trop court pour que l’on puisse s’en lasser. J’essaie, avec le peu de temps que j’ai, 6 ou 7 minutes, d’en dire un maximum. Parfois c’est suffisant, et, suivant le sujet, c’est effectivement un peu court, mais c’est ainsi.
Il nous semble que votre dernier livre « Le dictionnaire amoureux des arbres » a une saveur particulière pour vous. L’amour des arbres ne va-t-il pas crescendo ? Vous dites d’ailleurs, que ce sont les arbres qui vous ont transmis « l’envie d’éternité ». Vous pouvez préciser ?
C’est exact ! Mon amour des arbres est de plus en plus fort. Les hommes ne cessent de me décevoir, par leur bêtise, leur crétinerie. Les politiques ne cessent de me décevoir par leur prétention, les animaux ne cessent de m’émouvoir par leur fragilité et les menaces dont ils sont victimes, et les arbres eux, restent pour moi des témoins fidèles, qui ont quantité de choses à nous raconter. On ne peut pas vivre sans arbres. L’arbre, ce n’est pas seulement du bois, un morceau de paysage. L’arbre, c’est quelqu’un qui m’accompagne tout au long de ma vie, c’est quelqu’un qui a quelque chose à me dire. Je suis bien avec les arbres.
Justement, vous aimez les livres, vous aimez les jardins. On imagine volontiers au pied d’un arbre avec un livre dans un rare moment de « tranquillité ».
Tout à fait ! c’est ce que je fais régulièrement. Il n’y a rien de plus agréable, en été, que de choisir un banc, s’asseoir au pied d’un arbre et de partir en relisant un grand classique ou un ouvrage moderne. Lire au pied d’un arbre apporte quelque chose de très agréable. Ce que j’aime aussi avec l’arbre, c’est qu’il m’offre l’ombre que j’adore, car j’adore le soleil pour le plaisir d’être à l’ombre ! Je n’aime pas être au soleil, mais j’aime le soleil. C’est l’ombre de l’arbre que je recherche.
Avoir la main verte est-ce que cela s’apprend ou bien est-ce un don ?
Non, je n’y crois pas. C’est seulement faire preuve de patience, avoir le sens de l’observation et aimer les arbres. A partir du moment où vous être capable de comprendre comment vit un arbre, que vous connaissez ses besoins, nul besoin d’avoir la main verte, il n’y a aucun problème.
C’est ce que l’on dit pour justifier l’échec ?
Sans doute. Une plante est un être vivant, qui naît, se développe, se multiplie, respire, transpire, qui dort parfois et qui meurt. Quand on a compris qu’une plante est un être vivant, qu’elle a des besoins, on a tout compris…et on a la main verte !
Vous faîtes autant l’éloge des arbres d’origine européenne, comme le chêne, votre préféré, que des arbres importés de très loin, comme le sophora de Versailles. Aujourd’hui grâce à la mondialisation du commerce nous pouvons acquérir facilement des variétés inconnues ici, y voyez-vous une opportunité ou un risque ?
D’où l’importance de revenir à ce que vous disiez, au sujet de la transmission. Le besoin de transmettre. Mais il n’y a pas d’inquiétude. L’immense majorité des plantes et des arbres viennent de loin, et parfois de très loin. Le cèdre du Liban vient du Liban. Il n’y en avait pas auparavant en France. Quantité d’arbres ont été introduits, importés, et ils se sont acclimatés avec le temps. Les arbres et les graines ne connaissent pas les frontières. Ils sont aussi les témoins réchauffement climatique. Les arbres qui sont venus de très loin, peuvent malheureusement disparaître aussi vite et retourner de là où ils viennent, mais il est vrai que les arbres ont beaucoup moins, contrairement aux hommes, des « gardes de territoires ».
Y a-t-il selon vous des espèces plus particulièrement menacées à court terme par le dérèglement climatique ?
Oui bien sûr. Le hêtre. Il naissait autrefois au pied des Pyrénées et il naît naturellement maintenant au nord de la France. Il ne faut pas oublier que si certaines plantes détestent le réchauffement climatique, c’est aussi à cause des insectes. Ils font de nombreux dégâts. La Pyrale est une bestiole qui vient directement de Chine, et qui profite des hivers particulièrement doux pour prospérer. Le réchauffement climatique gêne la croissance de certains arbres, et favorise la propagation de maladies, de champignons, et d’insectes. C’est aussi cela le problème.
Vous avez dit : « Il suffit pour faire respirer cette planète en chaleur de planter des arbres. Mais il faut encore qu’on trouve des avocats pour les défendre, avouez que c’est fou. Mais enfin, plantons ! » Certes, vous tirez la sonnette d’alarme, mais vous n’êtes pas dans un discours désespéré. Vous voulez croire que les choses iront mieux ?
Si, je suis assez désespéré au contraire, mais je n’ai pas envie de le montrer ! Par exemple, nous sommes en campagne électorale et je n’ai pas encore entendu un seul candidat nous parler des arbres. J’aurais aimé qu’au moins l’un d’entre eux me dise clairement ce qu’il comptait faire avec les arbres. Ils ont tous des grands mots, comme « biodiversité » ou « développement durable », ce qui d’ailleurs, pour ce dernier, est un mot d’une crétinerie monumentale. Ça veut dire quoi quand on y réfléchit bien ? Aujourd’hui, j’ai envie de concret, j’ai envie que l’on protège les forêts, que l’on encourage la plantation d’arbres, que l’on respecte les arbres qui sont classés remarquables, au même titre que les monuments historiques, que l’on encourage les enfants dans les écoles à faire des sorties de classe verte pour reconnaitre les plantes, voilà ce que j’aimerais !
Cela ne semble pas très compliqué à mettre en place.
Tout à fait, ce ne sont pas des choses difficiles à mettre en place. J’aimerais que les politiques de temps en temps, et surtout les candidats, s’investissent davantage. C’est à croire qu’ils ont honte d’en parler. Je trouve cela dommage. Il y a deux combats aujourd’hui qui n’ont pas la place qu’ils devraient occuper : la place des arbres et le combat pour le respect des animaux. Eux aussi ne sont pas protégés comme ils le devraient. Je ne rentrerai pas dans le conflit de la chasse ou la non-chasse. Je parle des animaux domestiques. On pourrait peut-être aujourd’hui limiter l’adoption de certains animaux, se pencher sur la question de certains élevages de chats ou de chiens dans des conditions douteuses ou encore l’introduction d’animaux exotiques venus de loin… Ce monde est fou quand on parle de la protection de la terre et du respect des arbres, et pourtant, Il y a certaines choses très simples à faire.
Alain Baraton, ambassadeur des arbres ! Et pourquoi pas un ministère de la faune et de la flore ? A l’issue de cet entretien, on en rêve !
Dictionnaire amoureux des arbres
Alain Baraton
éditions Plon. 25€
Illustration de l’entête: Le chêne de Flagey (1864). Gustave Courbet. Huile sur toile 89cm/110cm.
Musée Courbet à Ornans