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Le Geister Duo au pied levé pour une Schubertiade éblouissante

par Gabrielle Hirchwald

Quand le malheur d’un pianiste fait le bonheur de deux !

28 février, 15h13, le jour même du récital que devait donner Adam Laloum à Nancy, les abonnés de l’ALMC (Association Lorraine de Musique de Chambre) furent avisés par mail de l’indisposition du pianiste. Peut-être ce dernier avait-il trop fêté son trente cinquième anniversaire il y a quelques jours à peine ? L’empêchement du merveilleux interprète de Brahms fit le bonheur du Geister duo, prêt à remplacer au pied levé le soliste.

Geister duo
Geister Duo, Schumann, Brahms, Dvořák, (CD album), Mirare paru le 21 janvier 2022.

Duo formé depuis plus de dix ans, le Geister duo a été récompensé en 2019 par le 2e prix de l’International Schubert Competition for Piano Duet en République Tchèque et a remporté en septembre 2021 le premier prix du prestigieux concours international de l’ARD Munich.

Aussi pour le public venu assister nombreux au concert du soir, nulle trace de panique, de désordre ou d’urgence. Programme Schubert repris et adapté aux quatre mains, impression parfaite d’un livret de présentation des deux pianistes David Salmon et Manuel Vieillard, installation en sus au fond de la scène d’un écran géant permettant d’apprécier le jeu des musiciens sur le clavier. Sous ce calme apparent, on ne saurait qu’imaginer à rebours le stress vécu par les organisateurs et les artistes afin de permettre la tenue de l’événement. Show must go on !

David Salmon et Manuel Vieillard sont deux jeunes pianistes qui aiment le mouvement comme en témoigne leur rencontre à bord d’un train en 2010. Lors de la dernière Folle Journée de Nantes, ils jouent dans le tram pour le plus grand plaisir des passagers. Et ce 28 février, le duo diffère son vol à destination de Barcelone afin de faire une halte bienvenue à la salle Poirel à Nancy. L’alliance de ces deux-là peut étonner : autant David Salmon est plutôt petit et rond, cheveux bouclés et barbe fournie, autant Manuel Vieillard est grand, le visage glabre et allongé. Si leurs silhouettes respectives s’opposent, une fois au clavier, l’alchimie opère. Leurs mains se mêlent dans une parfaite harmonie.

Le Geister Duo interprète Bilder aus Osten op. 66 (Nicht Schnell) de Robert Schumann. Une émission enregistrée le 30 janvier 2021 au Théâtre de l’Alliance Française et présentée par Clément Rochefort.

Adam Laloum devait interpréter les trois dernières sonates de Schubert. Le Geister duo décide de nous convier à une Schubertiade composée de manière très progressive, en voici le programme avec la fameuse 

Fantaisie en fa mineur D 940 op. posthume 103 jusqu’à point d’orgue :
Sonate en si bémol majeur, op. 30, D 617
Allegro moderato, Andante con moto, Allegretto
Sonatine D 968
Allegro moderato en ut majeur
Andante en la mineur
Allegro Lebensstürme en la mineur
Entracte
Grande Marche funèbre D 859
8 Variations sur un thème de Herold D 908
Fantaisie en fa mineur D 940 op posthume 103
Molto moderato
Andante sostenuto
Scherzo : Allegro vivace con delicatezza
Allegro ma non troppo

Olécio partenaire de Wukali

On connaît l’importance du jeu à quatre mains pour Schubert qui lui consacra plus d’une trentaine de pièces. Le programme impromptu proposé par le Geister duo traduit la variété des tonalités que le compositeur viennois a pu transmettre à cette production si particulière.

La brièveté des trois œuvres de la première partie laisse tour à tour entendre des mouvements enjoués et nostalgiques, gais et plus graves. Dès la Grande Sonate, on voit le duo imprimer sa marque : il semble que David Salmon assure les arrières et guide son collègue tandis que Manuel Vieillard avance et donne toute sa fougue, en particulier lors du troisième mouvement. Après la légèreté de la Sonatine, le Lebensstürme, par sa violence presque symphonique, nous prépare au second volet de la soirée. Qu’il est bon profiter de l’entracte en attendant l’ultime Fantaisie !

La Marche funèbre de Schubert n’a rien à envier à celles de Beethoven ou de Chopin. L’œuvre de circonstance composée à l’occasion de la mort du tsar Alexandre Ier se trouve transcendée par les vibrations de la vie qui ne veut pas se laisser capturer. Entre la puissance poignante d’une révolte romantique et la douceur élégiaque d’un éternel repos, les deux pianistes incarnent de façon magistrale cette dualité. Quant aux Variations sur un thème de Herold, elles servent d’antichambre au final.

La Fantaisie posthume tant souhaitée arrive. Nous ne parvenons pas à ôter de notre mémoire l’interprétation des frères Jussen, deux jeunes hommes blonds aux liens presque gémellaires. Ici, le contraste physique de David Salmon et de Manuel Vieillard ainsi que leur interprétation individuelle confèrent à leur prestation une impression de communion surnaturelle. L’écran géant disposé au fond de la scène permet de faire voir en surplomb le dialogue silencieux des mains.

Longuement applaudis, les pianistes, épuisés mais heureux, nous offrent en bis une dernière danse, avant de venir dédicacer dans le hall de la salle Poirel leur premier disque.

En ces temps troublés, on ne peut qu’espérer que la musique de Schubert interprétée par le Geister duo adoucisse les mœurs contemporaines. À la fin du « Siège de Berlin », nouvelle d’Alphonse Daudet retentit la « marche triomphale » de Schubert qui signe la mort foudroyante du colonel Jouve en voyant les Prussiens envahir Paris lors de la guerre de 1870. Mais ce soir-là, c’est un Schubert romantique, tout à la fois réconfortant et ardent que nous avons eu le bonheur d’écouter grâce au Geister duo. Lundi, c’était aussi le premier jour où l’on put enfin, le masque ôté, respirer la musique. Quel bonheur d’une liberté retrouvée !

Wukali est très heureux d’accueillir dans son équipe Gabrielle Hirchwald et lui souhaite la bienvenue

Gabrielle Hirchwald est Maître de Conférences-Habilitée à Diriger des Recherches à l’Université de Lorraine. ATILF/CNRS

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