Dans quelques jours les Français seront appelés aux urnes pour le premier tour de l’élection présidentielle. Sur fond de crise sanitaire, de crise sociale et de guerre en Europe cette échéance électorale de grande importance dans les Institutions de la Ve République est pourtant entachée d’une musique d’arrière-plan sournoise au refrain dangereux : la médiocrité.
Rarement la France n’aura vécu une campagne électorale où les idées politiques sont autant inexistantes, où les réseaux sociaux et les médias plus traditionnels révèlent au quotidien l’absence de toute substance, de toute réflexion, de toute ambition. Jamais le « politiquement correct » n’aura été aussi souvent brandi au nom de la médiocrité des candidats, et disons-le, du corps électoral.
Le débat politique est mort
On est en droit de s’attendre lors d’échéances électorales à vivre sereinement un débat politique. Pour rappel, le débat politique consiste en la confrontation d’idées, parfois de manière virulente ou frontale, mais toujours dans les champs des idées et des projets de société, des ambitions pour une Nation, vers un chemin commun devant nous rassembler et nous mener vers plus de prospérité. Ce temps du débat politique est mort. En lieu et place, en 2022, en France nous avons des « responsables politiques » qui fédèrent leurs électorat sur: être contre les cinq dernières années. C’est regrettable.
Être contre ce n’est pas une idée, être contre, ce n’est pas un projet, être contre ne demande aucune réflexion particulière. La médiocrité a triomphé, l’absence de pensée critique, d’analyse, de projet et donc d’idée, voilà ce que nous offre la scène politique nationale à l’occasion de l’élection présidentielle 2022. Il y a de quoi ne pas être fier du morne spectacle qui se joue sous nos yeux.
A écouter l’ensemble des candidats (qui ne s’écoutent d’ailleurs pas entre eux tant il est visiblement plus important d’être plus contre que les autres) leur seul argument est de montrer pourquoi ils ont raison d’être contre. Aucun d’entre eux (j’exagère volontairement) ne semble intéressé à nous dire, de manière constructive et raisonnée, ce en quoi ils sont favorables. Il ne s’agit pas d’être d’accord sur tout bien sûr, mais gouverner c’est aussi rassembler, c’est à dire négocier. Mais voilà, il y a un gros caillou dans la chaussure, pour négocier il faut vouloir se mettre d’accord, sans quoi, la négociation se transforme en confrontation stérile, en dialogue de sourd : je suis contre toi, et moi contre toi, et moi contre vous tous, etc… Non, il n’y a nulle-part ici la recette d’un projet de société et encore moins le moindre soupçon d’une idée. Autrement dit, il n’y pas de débat. Le problème, qui n’est pas un des moindres, est qu’à chaque fois qu’on met le doigt sur nos différences avant nos ressemblances on s’engage inexorablement dans un processus d’affrontement.
Le lent délitement de la conscience
Il y a plus grave et plus préoccupant encore. Nos seuls responsables politiques ne sont pas les seuls à avoir sombré dans la médiocrité, les journalistes leur ont emboîté le pas. Plus heureux de faire des grands sourires et petits buzz aux heures de grande écoute que de véritables interviews politiques, sans parler des simulacres orchestrés par des stars du divertissement qui prétendent éduquer les gens. Leur médiocrité est une menace sur notre démocratie, une menace sur nos valeurs fondatrices, une insulte à l’intelligence et une malhonnêteté intellectuelle sans précédent.
Au cours de ces deux dernières années, pendant une pandémie mondiale, souvenons-nous que des éditorialistes plaçaient la parole politique au même niveau que la parole scientifique. Une société devenue incapable de faire confiance dans la science est une société malade. Une société où – sous couvert de politiquement correct pour ne pas froisser les petits egos – la parole d’un passant à l’occasion d’un micro-trottoir est volontairement placée au même niveau que celle de la science est une société malade. Le temps d’antenne accordées à des personnes déblatérant volontairement des choses fausses sans aucune contradiction, sans aucune prise de recul, sans aucun stop salutaire est une société malade ; malade de sa médiocrité, malade du délitement de sa propre conscience.
Il est indécent de laisser la parole à des personnes qui disent des choses fausses sans leur faire remarquer et sans les arrêter comme il est révoltant de donner la parole à des personnes sans préciser qui elles sont et quelles idéologies macabres elles défendent. Certaines chaînes et certains présentateurs se reconnaîtront très bien dans ces propos sans qu’il y est ici besoin de les citer.
Mais il y a pire encore. Certains candidats à l’élection présidentielle 2022 ont été condamnés, au pénal, pour racisme et incitation à la haine. Pardon, je reformule (autorité de la chose jugée oblige), certains candidats sont racistes et incitent à la haine. Aucun journaliste, aucun éditorialiste n’a pris le temps de les qualifier ainsi. Pourquoi ? Puisqu’ils le sont. Puisque la justice les a déclarés coupables d’un des pires crimes qui existe : celui de refuser l’existence même à une personne qui est différente de vous. Les mêmes utilisent le chagrin et la colère de mères qui ont perdu leurs enfants dans des attentats terroristes pour justifier le racisme, la xénophobie, la haine de l’autre. N’est-ce pas là la parfaite définition de l’ordure ? Et, à nouveau aucun journaliste pour alerter mais tous là pour les inviter et leur serrer la main avec un grand sourire. Faudrait-il rappeler que partout où le racisme est au pouvoir des centaines de milliers de morts ont lieu. Le XXe siècle est tristement rempli d’exemples : du génocide des Arméniens à l’ex-Yougoslavie, en passant par le Rwanda et les Khmers rouges, sans oublier la Shoah. On pourrait croire que cette liste – très loin d’être exhaustive – des pires horreurs que l’Homme ait commises nous aurait fait comprendre la dangerosité de ces idéologies ? Au lieu de ça, on considère, on sourit et on serre la main avec envie à leurs défendeurs. Pire que l’abjecte des situations, nous assistons muet au délitement de la conscience.
Sans conscience et avec médiocrité aucun enjeu n’est abordé
Voilà la conséquence sans doute la plus terrible de la victoire de la médiocrité et du délitement de la conscience, lors de cette campagne électorale on parle de tout, surtout des autres (en oubliant qu’il s’agit pourtant de la rencontre d’un Homme avec la Nation), sans jamais parler des grands enjeux de ces prochaines années. Rappelons, que le mot enjeu souvent galvaudé parce que bien vu est avant tout la synthèse de ce que nous perdons au profit de ce que nous gagnons. Il n’y pas d’enjeux s’il n’y a rien à perdre et rien à gagner.
Les enjeux sont donc les grands absents de cette campagne. Pas un mot sur la dette publique (pourtant la pandémie a creusé la dette de tous les pays, la France n’est pas une exception ; si les mesures d’urgence l’ont imposée partout dans le monde, il faudrait être fou pour croire que cette facture ne sera pas un jour payée).
La facture, voilà un enjeu. Il y a toujours quelqu’un ou quelque chose qui la paie. On veut des produits à très bas coût, pas de problème, c’est l’environnement qui paie la facture. On veut des produits locaux, pas de problème c’est le pouvoir d’achat qui paie la facture, etc, etc… ce sont bien là des grandes questions de société, des modèles qui s’opposent et pourtant… absents de la campagne.
Le climat. En 2050, 80% des Maldives seront sous l’eau, des millions de réfugiés climatiques seront sur les routes. Il est insensé de croire que le climat est déconnecté des migrations de population. A quelle échelle va-t-on traiter ces enjeux ? L’échelle nationale ou l’échelle européenne ? Voilà encore deux modèles de société. Absent de la campagne.
La santé publique mentale, le handicap, la dépendance, absents de la campagne.
La recherche, la science qui pourtant nous ont sauvé de cette pandémie. Absents de la campagne.
L’éducation, qui pourrait être une belle réponse à tous ces maux, absente de la campagne.
La qualité de vie au travail : après nos périodes de confinement certaines habitudes ont évoluées, les attentes des salariés et des travailleurs ne sont plus forcément les mêmes. Le temps de travail, la décomposition de la semaine de travail, les temps de formations, etc… absents de cette campagne.
Etc, etc…
Une élection pour quel mandat ?
Arrive donc l’ultime question. Quel mandat allons-nous donner au prochain Président de la République ? Quel projet de société va-t-on construire au cours de ces cinq prochaines années ? Ce n’est pourtant pas une question piège mais sa réponse n’est pas si évidente. Pourquoi ? Parce que nous luttons contre des forces perfides, sournoises et vicieuses. Nous luttons contre la médiocrité ou plutôt nous luttons pour remettre de l’intelligence, de la réflexion, de la pensée dans notre débat politique.
Les cinq prochaines années seront notre dernier rempart. Ou bien nous avons un sursaut collectif et nous disons stop à la malhonnêteté de quelques uns qui manipulent un très grand nombre et nous réussissons à arrêter de nous opposer les uns aux autres pour nous réunir sur ce qui nous rassemble. Ou bien nous subirons les foudres de la tyrannie, de la dictature, des arrestations sommaires et des exécutions arbitraires au seul motif que nous croyons aux Lumières de la France, de l’Europe, à notre universalisme et à la science.
Fin de la récréation, place au vote.