Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu et de Fronsac et de quelques autres titres, maréchal de France, un des cent chevaliers du Saint Esprit, premier gentilhomme de la Chambre du Roi, n’est autre que l’arrière petit-neveu du grand cardinal et le grand père du ministre de Louis XVIII. Né en 1696, il connaît et sert trois rois et a le bon goût de décéder le 8 août 1788, le jour même où Louis XVI signait la convocation des États-Généraux. La fin d’un monde, d’une culture dont il a été le symbole.
Grand seigneur, favori de Louis XV dont il partageait l’amour du beau sexe (et comme on ne prête qu’aux riches, on a fait courir le bruit que c’est lui qui a fait connaître au roi Madame du Barry (ce qui est certain c’est qu’elle a été la maîtresse du duc avant de l’être de son souverain), parfait courtisan, grand amateur de théâtre (et de comédiennes). Notons qu’il a passé toute sa vie à essayer de faire oublier que ses ancêtres paternels n’avaient pas, loin de là, combattu avec les seigneurs francs lors des croisades. Même si on sait peu de chose sur les Vignerot, il a bien un de ses aïeuls qui était joueur de luth à la cour de Louis XIII issu d’une famille de laboureurs. A force d’adresse et d’entregent, René de Vignerot, le joueur de luth, épouse une sœur de l’évêque de Luçon. Ce dernier devient cardinal, premier ministre, homme richissime dont la fortune échoit à l’aîné de ses petits-neveux : le père de notre futur maréchal. Ce dernier est décrit comme falot, grand joueur (il dilapide la majeure partie de sa fortune aux jeux), un oisif qui suit de très loin l’éducation de son fils, qui comme pour tout rejeton de l’élite était plus que légère. Le jeune homme suit le parcours traditionnel pour un noble. Il est très officiellement présenté au roi Louis XIV et très vite sait par son esprit, son sens de la répartie, entrer dans les bonnes grâces de Madame de Maintenon. Pourtant, il commence à accumuler les femmes, les dettes de jeu et même les duels, ce qui lui vaut pas moins de trois incarcérations à la Bastille. Lors de la Guerre de succession d’Espagne, il fait montre d’une réelle bravoure et la guerre finie il est colonel.
Tête folle, il conspire avec le duc, et surtout la duchesse du Maine, avec Cellamare. On connaît bien le déroulement de cette conspiration d’opérette. Mais sa maîtresse, Mademoiselle de Valois, la fille du régent, arrive à le faire libérer. Grâce à l’une de ses autres maîtresses, il est nommé ambassadeur à Vienne puis à Dresde où il se montrera un diplomate habile. Revenu en France, il est nommé commandant en chef du Languedoc. Sa fille, en honneur de cette province, s’appellera Sophie, Septimanie !
Mais c’est comme militaire qu’il va passer à la postérité. C’est sous son impulsion que la bataille de Fontenoy est une grande victoire française, la prise de l’île de Minorque réputée imprenable est un coup tactique de haute volée. Maréchal de France en 1748, il participera à la Guerre de Sept ans (les deux premières années) où il se montra un excellent tacticien mais où il se vit (aïe) attribuer le surnom de père la maraude à cause des pillages de ses troupes et de lui-même ( de fait il ne fait qu’imiter ses mentors les maréchaux de Villard et de Saxe).
En 1755, il est nommé gouverneur de la Guyenne. Il y découvre les vins de Bordeaux qui deviennent la « tisane du Maréchal » qu’il introduit à la cour.
Passant de périodes de froid, à des retours en grâce, il est le courtisan favori de Louis XV et connaît un déclin certain sous Louis XVI, surtout quand ce dernier rappelle Maurepas qu’il n’a jamais apprécié, il faut dire que ce dernier va rappeler les Parlements, que Richelieu déteste car portant atteinte au bon fonctionnement des institutions.
Richelieu est un grand seigneur, avec la culture de son temps. Il est en quelque sorte comme Saint-Simon (qu’il a connu). Soit c’est un ami intime de Voltaire, une amitié, avec des hauts et des bas qui durera jusqu’au décès du philosophe, mais ce n’est sûrement pas un adepte des Lumières, plutôt l’inverse. En parlant de Voltaire, il est surprenant de remarquer à travers leurs portraits comme ils se ressemblaient physiquement. Moins connu il est un des proches d’un génial aventurier, auteur de théâtre : Beaumarchais !
Homme à femmes, il se mariera trois fois. Un premier mariage arrangé, qui ne sera sûrement pas consommé, ou alors très très peu, il tue en duel son beau-frère et son épouse décède vite. Il n’en est pas de même de sa seconde femme qui l’adule. Mais elle aussi meurt jeune après avoir accouché d’un garçon (le duc de Fronsac) et d’une fille. Il se remariera que plus tard, à plus de 80 ans avec une veuve âgée de moins de 40 ans que lui, avec qui il passa ses derniers jours dans le respect mutuel.
Il est membre de l’Académie française, alors qu’il n’a jamais rien écrit autre que des billets aux femmes et une correspondance privée et à l’Académie des sciences. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne siégea que très peu dans ces deux institutions.
Grand seigneur, il dépense sans compter, mène un train de vie luxueux, accumule les dettes, et finit pas très loin de la ruine. D’ailleurs dans les 800 pages de l’inventaire après décès, les Rembrandt du Cardinal n’apparaissent plus (mais il reste quand même, deux statues placées dans le jardins : les Esclaves que Michel-Ange avait sculptés pour le tombeau de Jules II). Et puis il y a l’amateur de théâtre, le protecteur sévère de la Compagnie des Italiens, alors plus célèbre et courue que la Comédie Française.
Dans sa biographie, qui dénonce avec des arguments probants toutes les légendes autour de son héros dues essentiellement à des fausses mémoires écrites sous la Révolution pour dénoncer les abus de l’Ancien régime, Benoît Florin nous décrit un homme de son époque, conscient de sa valeur (et pourtant il ne sera jamais ministre comme il l’espérait), bon diplomate, habile militaire et surtout parfait courtisan et symbole des libertins. Des libertins du début du XVIIIè siècle, pas de la fin : soit les femmes sont des « objets de plaisir », mais il les respecte, au moins en apparence, on est loin, très loin du Valmont des Liaisons dangereuses. Partageons notre plaisir à lire, une grande figure de l’histoire à redécouvrir, un fort bon livre !
Le maréchal de Richelieu
Libertin et seigneur de guerre au temps des Lumières
Benoît Florin
éditions Perrin. 24€