Je suis vivant, le titre de ce recueil de poésie sonne comme un appel, comme une déclaration ou mieux comme un cri. Et ce cri, c’est Pier Paolo Pasolini qui nous l’envoie en pleine face mais parfois, au contraire, il nous le chuchote à l’oreille. Ces trois mots laissent à penser que la mort n’est pas loin, ce qui serait excessif. Il est encore trop tôt pour parler de la mort. Ce sont des poèmes de jeunesse. La douleur, le manque, eux, en revanche, sont bien là. Pasolini nous fait part avec pudeur mais sans retenue de la difficulté de vivre. Rien n’est évident ni facile dès la naissance et après. La solitude est mortelle et c’est un enfant qui crie je suis vivant. Cette phrase revient à quatre reprises tout au long du recueil, c’est dire si elle est un point central des confidences – puisque le ton est parfois celui-là – et des interrogations de l’auteur. La vie est une blessure, quelque chose ne réussit pas à être dit, la parole est indicible et c’est le rôle de la poésie que de chercher à exprimer cet indicible.
Sur ce fond de manques, un moment de repos surgit, une échappatoire est possible. Mais elle doit être cherchée ou au moins retrouvée et alors souffle un filet de vent, et l’or s’enflamme/ dans les frondaisons de frênes lointains. La nature est le point de départ d’un soulagement de quelques instants. Ce sont ces instants qui permettent de continuer à vivre. Il n’est jamais question de quitter la vie. Il faut savoir regarder et écouter ce qui se trouve autour de soi. Pour Pasolini, c’est dans la campagne de Casarsa, autour de la maison où il a passé toute son enfance qu’il faut aller voir. La vue et l’ouïe vont permettre de voir et d’entendre le cri sauvage scintillant/ du rossignol. Les animaux et le ciel se répondent : le gémissement d’un hibou timide/rencontre l’or du soleil silencieux mais très vite revient le vieil oiseau dans les sombres frondaisons. Pas de répit donc mais la vie continue et au bout du compte, nous confie Pasolini, il ne reste de moi qu’un cœur palpitant. Il reste donc l’essentiel, ce qui permet de vivre. Tout ce recueil est un hymne à la vie telle qu’elle est, sans chercher à l’embellir. Et si vivre est difficile, il y a bel et bien des moments où je ne peux étouffer/ma joie ingénue, retenue. La joie existe donc et c’est incontestable.
Ecrits entre 1945 et 1947, de 23 à 25 ans, ces poèmes montrent tout ce que Pasolini va développer plus tard : un regard aigu sur la vie et la société, une attention à tout ce qui pose problème. Groupés en trois chapitres, Du journal, et c’est bien d’un journal dont il s’agit, Europa et ce sont les pays limitrophes de l’Italie dont il est question et Appendices (1945-1947), ce recueil est une excellente voie d’approche du talent et de l’originalité de Pier Paolo Pasolini, souvent surnommé P.P.P. outre-Alpes, et de tout ce qu’il a apporté à la culture contemporaine italienne.
Je suis vivant
Pier Paolo Pasolini
Traduction Olivier Apert et Ivan Messac
éditions Nous,10€