Accueil Actualités Van Dongen à voir à Deauville

Van Dongen à voir à Deauville

par Communiqué

C’est vraisemblablement en 1903, comme en témoignent plusieurs tableaux exécutés dans un style « tachiste », que Van Dongen voyage pour la première fois en Normandie .Dans la foulée de son succès au Salon d’automne de 1905 qui consacre un nouveau mouvement pictural, le fauvisme, dont il est reconnu comme une des figures majeures, Van Dongen est repéré par certains collectionneurs havrais du Cercle de l’Art moderne, parmi lesquels Pieter van der Velde. Il retrouve sur la « Côte fleurie », la lumière, les éléments naturels, les ciels parfois bas sur un horizon incertain, qui sont autant de souvenirs ataviques de sa Hollande natale.

Van Dongen
Kees Van Dongen. Affiche du centenaire de Deauville 1961. D’après Le bar du Soleil de Van Dongen. ADAGP. Paris, 2022

À partir de 1913, une année charnière pour lui, Van Dongen prend ses « quartiers d’étés » à Deauville chaque année, tel un rituel immuable, à l’hôtel Le Normandy, fréquentant un monde où se mêlent puissants de ce monde et célébrités : Mistinguett, Lucien Guitry, Suzy Solidor ou encore le caricaturiste Sem, mais aussi Berry Wall, Aga Khan, … Van Dongen est fait « invité d’honneur » par Cornuché puis François André, le nouveau directeur du Normandy à partir de 1926, au titre d’une véritable valeur ajoutée artistique et culturelle pour la ville.

Le Van Dongen de 1913, installé désormais dans le quartier de Montparnasse débarque à Deauville comme on débarque dans un « petit coin de Paris ».Pourtant à Deauville il y a la mer même si parfois ses estivants semblent un peu l’oublier écrit Michel Georges-Michel dans son ouvrage La vie à Deauville publié en 1923 (édition Flammarion) dont la couverture est illustrée par Van Dongen. Dès lors, l’artiste illustre régulièrement la revue La Riviera normande, préside les jurys d’élégances et de beauté, se laisse photographier sur les Planches, à la plage, au « Bar du soleil » ou à l’hippodrome.

Le peintre conçoit en 1932 de bout en bout, Le Gala Blanc, un bal organisé dans la tradition des soirées festives de Montparnasse. On y attendait 500 invités. Il en vint plus d’un millier. À l’entrée, Van Dongen peint sur les ombrelles et les épaules des élégantes. En 1955, la ville le déclare « citoyen d’honneur » et, enfin il participe à la célébration du centenaire de Deauville en 1961, pour laquelle l’affiche de l’événement est une reprise de son tableau Bar du soleil (coll. Privée). 

Olécio partenaire de Wukali
Van Dongen
Sur la Riviera Normande  1926, revue estivale.
Donation Gilbert Hamel. Ville de Deauville, 
Les Franciscaines. © ADAGP, Paris2022

De cette fréquentation assidue de la cité normande, Van Dongen exécute une série de toiles estampillées deauvillaises du début des années 20 jusqu’aux années 50, présentées dans des expositions thématiques. Citons, par exemple, celle de la Villa Saïd à Paris, en 1920, une autre à la Galerie Berheim-Jeune en 1921, ou encore celle de 1925, dans son nouvel atelier aux allures de cathédrale, rue Juliette Lamber, dans le 17ème arrondissement. À travers une centaine d’œuvres, accompagnée de nombreux documents, l’exposition montre au sein d’un parcours thématisé le regard d’un artiste majeur du xxème siècle qui fut observateur fasciné et amusé de la société de son époque et de Deauville, en particulier

Van Dongen retrouve dans les paysages de Normandie la lumière, la mer, les cieux, ses impressions de jeunesse de sa Hollande natale. Outre Deauville, l’artiste a peint Trouville, Honfl eur, Villerville, l’estuaire de la Seine ; ses œuvres sont acquises par les négociants du Havre, collectionneurset fondateurs du Cercle de l’art moderne

Les bains de mer

Les thèmes de la plage et des bains de mer sont très présents dans la production picturale de l’artiste liée directement à Deauville. La grande composition La Baigneuse à Deauville (coll privée) – image utilisée pour promotion de la première édition du Festival du cinéma américain en 1975 – est présentée au Salon d’automne en 1920.

De manière parfaitement ostentatoire, Van Dongen proclame à rebours du genre académique du « nu », une présence dans l’espace public du corps libéré de la femme. À ce corpus d’œuvres s’ajoutent des gouaches comme Joueurs de ballons sur la plage(donation Hambourg, Ville de Deauville, Les Franciscaines) ou La Plage(1929, coll NMNM), mais aussi des lithographies, des photographies et des affiches destinées à la promotion touristique de la ville. Liés à ce thème de la plage, les nouvelles conceptions hygiénistes mais aussi le narcissisme du peintre sont présents en filigrane

Les courses et le monde du cheval

Van Dongen
La Chimère-Pie, 1895-1907, huile sur toile. Kees Van Dongen
Monaco, Collection Nouveau Musée National de Monaco © ADAGP. Paris2022

Cette section fait bien évidemment écho aux élevages de chevaux et au champ de courses de Deauville évoqués avec Le Paddock à Deauville (1920), dans lequel Van Dongen retrouve l’ambiance feutrée du Bois de Boulogne où dans une véritable symbiose, l’élégance naturelle de l’animal racé rime avec le chic féminin. 

Le cheval est également souvent sujet à identifications : dans les illustrations des 1001 nuits(1918), l’animal a des grands yeux en amandes maquillés de Khol empruntés aux modèles du peintre ; en outre cette identification vaut également pour l’artiste lui-même et l’animal dans La Chimère-pie (1895-1907, coll NMNM), la plus ancienne œuvre monumentale de l’artiste qui trônait toujours en bonne place dans son atelier comme un «porte-bonheur».

Mattchiches, Jazz bands et tangos

De la Mattchiche du Bal Tabarin sur la Butte Montmartre au tango,qui de Buenos Aires à Paris déferle sur Deauville, ce sont de nouvelles sonorités et de nouveaux rythmes qui viennent bousculer les codes de la danse sur le Vieux Continent.

Van Dongen
Kees Van Dongen. Tango ou le Tango de l’Archange, 1913-1935, 
huile sur toile. Monaco, Collection. Nouveau Musée National de Monaco © ADAGP, Paris, 2022

La Haute société des Années folles s’encanaille le « temps d’une danse », faisant fi des préjugés de classes sociales, de races, avant, une fois terminée de retrouver ses réflexes habituels.

Une sensualité sauvage, extravertie se répand comme une trainée de poudre dans les lieux nocturnes, à laquelle Van Dongen est très sensible et qui va produire quelques-uns de ses plus grands chefs-d’œuvre. Interdit pendant la première guerre mondiale à Deauville, les lieux clandestins vont se multiplier, le tango sera longtemps perçu comme un véritable spectre, comme la danse de la décadence. Le thème inspirera à plusieurs reprises Van Dongen qui en donnera une interprétation d’un érotisme quasi blasphématoire avec Le Tango de l’archange.

La relation de couple des danseurs nécessite une fusion pour être créatrice : on ne danse pas le tango en se tenant par la main, on s’étreint à bras le corps, dans un abrazo tout à fait proche, dans l’idée, de celui de ce couple. La position des torses dans ce tableau traduit d’autant mieux cette idée de connexion intense qu’elle n’est pas totalement académique. Par la grâce du poignet alangui de la danseuse, le peintre ajoute un abandon supplémentaire qui participe de la connotation sexuelle, intrinsèquement liée à cette danse dès ses débuts. Les chaussures bicolores à talons Louis XV de la femme ajoutent une dimension fétichiste : l’artiste avait déclaré que la beauté et l’intelligence d’une femme se repérait aux pieds et chevilles et que la chaussure au talon évasé faisait « de la femme une déesse, de la femme si matérielle une apparition toute d’esprit ». 

Van Dongen
Jack Jonhson, vers 1919. Van Dongen 
huile sur toile. Monaco, Collection Palais Princier © ADAGP

La modification ultérieure du danseur de tango en figure d’archange ajoute une autre dimension : celle d’une apesanteur ou d’une symbolique plus forte, rapprochant le danseur d’une figure religieuse, celle de l’archange Gabriel ; un présage de la fin de temps ou annonciation d’une rédemption de l’humanité.

Le monde du spectacle

En 1916, Van Dongen fait la rencontre de Léa Jacob dite Jasmy, qui devient sa maîtresse. Ambassadrice de la « Maison Jenny & Co » créée par Jenny Bernard Sacerdote en 1909, Jasmy est également modiste, artiste à ses heures ; elle concevra, entre autres, le maillot de bain en écailles porté par Suzy Solidor sur la plage de Deauville.

Quant à Jenny Sacerdote, figure oubliée aujourd’hui de la mode des Années Folles, formée chez Paquin, elle habillait les mondaines comme les artistes. 

Le cercle des intimes et des relations mondaines développées par le couple Kiki / Jasmy (Kiki pour Van Dongen), se recoupe largement avec le gotha du monde des arts, du spectacle et de la mode des « Années folles » : Mistinguett, Colette,Max Jacob,Lucie Delarue-Mardrus,Yvette Guilbert,Nicole Groult,Paulette Pax,Lucien et Sacha Guitry, Suzy Solidor,Jack Johnson.

Van Dongen, la « garçonne » et la « femme au gaz » de Deauville

Van Dongen
La Chemise d’argent.1928. Van Dongen Aquatinte. Utrecht, Kunsthandel Juffermans.  Juffermans Fine Arte © ADAGP, Paris, 2022

L’écrivain Michel Georges-Michel, observateur affûté des mœurs deauvillaises avant, pendant et après la Première Guerre mondiale, a parlé de la « femme au gaz », une femme qui affine son « paraître » en alliant à son allure physique et vestimentaire, les excentricités dans son comportement. À Deauville, les femmes au gaz se nommaient Mistinguett, Suzy Solidor, Andrée Spinelli, Yola Letellier...-

« Qui frappe ?- C’est le facteur, madame.- Qu’il entre….- Mais Madame est toute nue, toute nue…- Qu’est-ce que ça fait puisque je suis « au gaz » » Michel Georges-Michel Deauville, Flammarion, 1923.

L’illustration en 1926 du roman à scandale de Victor MargueriteLa Garçonne, associe définitivement le modèle de la garçonne des Années folles à la « Femme Van Dongen  ».

Deauville

Van Dongen
Kees Van Dongen devant Le Normandy, 
1963 © DR

La rencontre du peintre et du couturier Poiret remonte à 1910. Van Dongen va d’emblée peindre deux portraits de son épouse, Guus, habillée avec des créations du couturier. Une qualification générique des liens entre Poiret et Van Dongen, pourrait se résumer ainsi : Van Dongen peint les modèles qui s’habillent chez Poiret. Les occasions sont multiples pour des retrouvailles entre l’artiste et le couturier. En 1909, alors qu’il fait l’acquisition d’un hôtel particulier, Paul Poiret convie Van Dongen à une somptueuse fête inaugurale. Les Poiret se rendent également aux fêtes données par Van Dongen dans son propre atelier à Montparnasse où le peintre emménage en 1912.

Les deux hommes se retrouvent aussi fréquemment au Bœuf sur le toit, véritable épicentre du Paris des Années folles. Le livre précieux Deauville est l’objet d’une commande d’Eugène Cornuché. Dans son texte, Poiret rend hommage à son commanditaire et en parle au présent ; ce qui donne à penser que le projet du livre a été mis en chantier avant 1926, date de la disparition d’Eugène Cornuché. Une interview du couturier pour le journal Paris-Midi au moment de la sortie du livre en 1931, apporte quelques informations : « C’est très intéressant, dit Poiret, de noter l’évolution d’une ville d’eau à la mode ! Quelle différence entre le Deauville de 1920 et celui d’aujourd’hui ! C’est ce qu’a fort bien vu et montré Van Dongen, par ses dessins et ses splendides aquarelles que je me suis contenté de commenter ».

Le livre se structure en deux parties : « Deauville 1920 » et « Deauville 1930 ». Le portfolio est conçu en cinq chapitres illustrés d’aquarelles réalisées par Van Dongen : Deauville 1920 (scène de plage), La salle de jeu, Le Grand prix de Normandie, Le restaurant et enfin Le gala du costume de bain Deauville 1930

Van Dongen
Kees Van Dongen. La Baigneuse de Deauville,1920, 
huile sur toile, collection particulière. ADAGP Paris2022

Poiret et Van Dongen se posent en historiographes de Deauville et à ce titre s’affirment à la fois comme des observateurs et des chroniqueurs, au ton ironique et sarcastique qui surprend parfois. La sortie du livre rencontre quelques échos dans la presse. Paris-Midi évoque la « bonhommie » et le ton narquois du texte, des dessins « vibratiles » et, pour les aquarelles, qu’elles ont « un trait, une patte, une saveur extraordinaire ». Le Charivari daté du 22 août l’annonce comme « le livre de la semaine » avec une caricature représentant ses deux protagonistes.

La Baigneuse de Deauville

C’en est fini des bas, des rodomontades avec lesquelles les aristocrates allaient se baigner. À ces pionnières peintes par Boudin, Van Dongen oppose une baigneuse d’une modernité stupéfiante ; le corps est sculptural, presque « animal », les jambes longues et parfaites ; la coupe du maillot de bain découvre les épaules, le décolleté, les bras et le haut des cuisses et permet le bronzage de la peau mis à la mode par Coco Chanel. Le modèle est accoudé à une balustrade, sans complexe. « Je me déshabille comme il me plait. Et si ça ne plait pas aux vieilles dames, ça plaira au moins aux vieux messieurs » aurait déclaré la comédienne Andrée Spinelly qui aurait lancé la mode des jambes nues à Deauville. Van Dongen expose le tableau au Salon d’automne de 1920.

Autoportrait en Neptune

Van Dongen
Kees Van Dongen, Autoportrait en Neptune,
1922, huile sur toile, Centre Pompidou
© ADAGP, Paris, 2022 © photo : Centre Pompidou, MNAM-CCI
Dist. RMN-Grand Palais / Guy Carrard

Sur la photographie d’une tablée de convives, Van Dongen pose : il est au fond, torse nu – les autres convives sont habillés pour le repas- la pipe à la bouche et la barbe blonde lui donnent l’allure d’un capitaine au long cours fraîchement débarqué. Il a lui-même légendé la photographie : Kiki en Dieu de la mer. Biarritz 1929

L’identification de l’artiste à Neptune vaut pour évoquer la mer, la plage, les bains ; adepte des stations balnéaires à la mode, il en est nécessairement le dieu. En mars 1924, Van Dongen écrit une lettre à sa compagne d’alors, Jasmy, partie à Beaulieu-sur-Mer, chez son amie Jenny Bernard Sacerdote ; il s’excuse de ne pouvoir la rejoindre et ajoute : « J’aurais pourtant bien voulu jouer au Neptune avec toi … » Dans cet autoportrait, Van Dongen se montre dans un déguisement dont il a toujours conservé la coiffe en triton, et qui provient d’une des fêtes costumées, données Rue Juliette Lamber en 1922, le Bal de la mer. À ce bal, Nicole Groult raconte que le peintre était déguisé en Dieu de la mer et elle-même en sirène ; selon toutes vraisemblances, dans cet exact accoutrement, presque nu avec une ceinture en coquillages et un tutu océanien à danser le hula, des colliers autour du cou, coiffé du triton et le trident à la main. Au regard de l’incontestable penchant narcissique et exhibitionniste de l’artiste, cet Autoportrait en Neptune marque une étape vers L’autoportrait nu de 1935.Présentée au Salon d’automne de 1922, la revue Le Monde illustré donne une lecture ambiguë qui montre sur quel fil de rasoir évolue Van Dongen au cours des Années folles. Le journaliste qualifie la toile d’exquise, d’une exécution remarquable, tout en se montrant plus circonspect vis-à-vis de la peinture : « réclame bien séduisante pour le goût des couturiers et modistes parisiens. Les esthètes de la rue de la Paix diront qu’il y a là un délicieux ragoût de couleurs ». À l’instar de Francis Picabia, la peinture de Van Dongen pouvait être considérée par la critique comme provocatrice, voire de mauvais goût.

Mlle Miroir, Mlle Collier, Mme Sopha

Van Dongen
Kees Van Dongen. Mlle Miroir, Mlle Collier et Mme Sopha ou 3 femmes sur fond rouge, 1913-1914,huile sur toile, collection particulière © ADAGP , Paris, 2022

Il y a des œuvres qui n’ont jamais quitté la maison de l’artiste parce qu’elle avait une fonction domestique pour Van Dongen : c’est le cas de Mlle Miroir... Une photographie montre que l’œuvre était accrochée au-dessus du chevet de lit dans une chambre de la Villa Saïd : de chaque côté, étaient disposés les objets d’antiquité pour une bonne part d’origine égyptienne, que l’artiste a rapporté de son voyage en 1913. au retour, cette œuvre propose une rupture radicale avec la tradition picturale occidentale, alternative au cubisme triomphant. L’influence des fresques vues à Thèbes dans les tombeaux des pharaons est manifeste. L’œuvre est monochrome : une révolution chez Van Dongen dont la réputation s’est faite pour ses contrastes violents de tons purs. Sur un a-plat rouge, les trois silhouettes féminines et le canapé sont esquissés au pinceau d’un trait sûr ; les figures flottent, autonomes entre elles dans cette composition aux proportions carrées, de telle sorte que toute référence à un espace descriptif réel ait disparu

Exposition Van Dongen
Deauville me va comme un gant


Les Franciscaines
145B avenue de la République. Deauville

jusqu’au dimanche 25 septembre

Ces articles peuvent aussi vous intéresser