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La rivière des ténèbres, fascinant roman sur l’histoire de la découverte du fleuve Amazone par les conquistadors espagnols

par Émile Cougut

La Rivière des ténèbres de Buddy Levy est-il un roman, oui c’est évident ! Mais avant tout c’est un roman historique au travers d’une histoire peu connue en occident mais qui est un marqueur dans la colonisation de l’Amérique du sud, et dont toutes les conséquences sont encore plus que perceptibles de nos jours.

Et pour cause, ce roman décrit en effet la vraie expédition qui la première, sans le vouloir ni le savoir, a descendu l’Amazone.

Nous sommes en 1541, on ne connaît pas le continent américain et surtout pas sa partie sud. Qui plus est dans cette aventure, nous sommes plongés en plein coeur de la lutte sourde qui oppose l’Espagne au Portugal pour le partage de ces terres (et ce, malgré le traité de Tordesillas de 1494). C’est l ‘époque des conquistadors qui se taillent de vastes territoires, et sont mus non seulement par le goût du lucre, mais aussi par la recherche des honneurs que le roi d’Espagne peut leur offrir. Et puis, il y a le mythe de l’El Dorado dont la quête a fait plusieurs centaine de milliers de morts… en vain ! C’est ce que nous savons de nos jours, mais au début du XVIème siècle, il en était autrement.

Il y a eu Cortès, et Francesco Pizarro (en français François Pizzare). Parmi ses frères se trouvait Gonzalo, homme d’une grande cruauté, assoiffé de richesses. Il monte une expédition à partir de Quito avec comme lieutenant, Francisco de Orellana, pour partir à la recherche de l’El Dorado et du pays de la cannelle, cette épice qui coûtait plus cher que l’or !

Olécio partenaire de Wukali

Deux cent Espagnols et plus de 4 000 Indiens (il faut bien porter le matériel) traversent les Andes et se retrouvent englués au centre d’un vaste et inextricable labyrinthe marécageux. Aussi, à court de vivres décident-il de se séparer. C’est ainsi qu’Orellana reçut pour mission avec ses 57 soldats à bord d’un embarcation construite sur place, de descendre la rivière Napo pour trouver des vivres pendant que le gros de la troupe les attendra.

Comme ils ne reviennent pas, Pizzaro, au prix de biens des souffrances, réussit à revenir à Quito. Là, il apprend l’assassinat de son frère. En parallèle de l’expédition menée par Orellana, est décrit le destin de Gonzalo, assoiffé de vengeance, persuadé de son bon droit et qui fera même tuer le premier vice-roi du Pérou avant de finir condamné à être décapité comme traître à la couronne.

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Francisco de Orellana à la rencontre des Indiens d’Amazonie

Orellana voulait remplir sa mission, mais les courants ne lui permirent pas de rebrousser chemin. Aussi, décida-t-il de suivre le cours de cette curieuse rivière qui devient le mystérieux Maranon (nommé plus l’Amazone). Orellana était doté d’un vrai charisme pour mener ses hommes dans ce territoire inconnu, parfois très, très hostile. Il était aussi curieux, ouvert, il est un des rares Espagnols de l’expédition  à parler les dialectes des indigènes (il en apprendra un certain nombre durant les longs mois passés à naviguer).

Au prix de bien des souffrances, ils arrivent à l’embouchure et à rejoindre une colonie espagnole. Sur les 57 hommes de l’expédition, 43 ont survécu et seulement 3 sont morts au combat (les 11 autres de maladie). Et des combats, il y en a eus. Heureusement qu’ils étaient protégés par des armures qu’ils ne quittaient pas malgré la chaleur ambiante, car les flèches empoisonnées volaient en nombre. Parmi les assaillants, les navigateurs sont persuadés que se trouvaient les terribles amazones. C’est d’ailleurs à cause de cette légende que le fleuve prendra ce nom.

Ils ont un but : survivre ! Parfois, les indigènes les accueillent les bras ouverts, mais parfois ils font montre d’une grande hostilité. Quand il est nécessaire, les Espagnols n’hésitent pas à se servir, quitte  à prendre des otages, à s’imposer par la force, à massacrer la population locale.

découverte de l'Amazone par le conquistador Francesco de Orellana
Carte de l’Amazonie publiée dans l’atlas de Joan Martines en 1587

Revenu en Espagne, Orellana ne pense qu’à une chose, repartir. Il faut dire qu’il est persuadé que les rives de ce fleuve sont d’une grande richesse, tant il a vu des villes, des infrastructures qui montrent un développement social important. Il a été impressionné par l’artisanat local, par les richesses entrevues. Il repartira, mais se perdra dans les méandres de l’embouchure de l’Amazone, son expédition tournera au total désastre et il mourra au milieu de ces marais.

Cette expédition est la première à avoir descendu l’Amazone. Elle sera suivie par celle de Lope de Aguirre vingt ans plus tard. Ce dernier devenu complètement fou, mourra à la fin du voyage. Amazone, fleuve maudit !

découverte de l'Amazone par le conquistador Francesco de Orellana

Ce qui est certain, c’est que l’Amazone en 1541 est bien loin de l’Amazone que nous connaissons de nos jours. C’est un fleuve dont les rives sont exploitées, où la population est nombreuse, très nombreuse, réunie dans des sociétés organisées. On est loin très très loin du mythe de la forêt amazonienne déserte, primaire. De fait elle est exploitée, gérée et ses habitants savent parfaitement en tirer tout ce qui leur est utile pour (bien) vivre. Savoir que les Espagnols, du haut de leur morgue et de leur sentiment de supériorité, ont du mal à comprendre et même à imaginer.  Et de fait, ces populations disparaîtront essentiellement à cause des maladies apportées par les occidentaux.

Roman, oui, mais surtout une partie de l’histoire mondiale. Il suffit de voir la bibliographie savante à la fin du livre qui peut aider ceux qui veulent approfondir leurs connaissances sur ce sujet.

La rivière des ténèbres, roman d’aventure, roman sur la résilience, car il en a fallu à ces hommes pour surmonter leurs peurs et pour accomplir un tel exploit.

La rivière des ténèbres
Buddy Levy

éditions Paulsen. 22€50

Illustration de l’entête: portrait de Francisco Orellana

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