S’il y a bien un président de la République oublié pour le mieux, moqué pour le pire, c’est bien Paul Deschanel. Et pourtant, il ne mérite ni l’oubli, ni les railleries, nous démontre ainsi Thierry Billard qui nous offre une belle réédition de sa biographie à l’occasion du centième anniversaire du président.
Paul Deschanel est né à Bruxelles alors que ses parents étaient en exil, son père Émile étant un républicain convaincu qui a été proscrit après le coup d’état du 2 décembre 1851. Autour de son berceau, les amis de la famille comme Victor Hugo ou Edgar Quinet, excusez du peu. Un père exigeant mais proche de son fils unique à qui il inculque le goût pour le travail (Paul après avoir été un élève dissipé, a poursuivi de brillantes études) et surtout l’amour de la République. Le jeune dandy parisien, grâce aux relations paternelles se retrouve sous-préfet de Dreux. Il y déploie un zèle remarqué dans cet arrondissement où les idées royalistes avaient bien plus de succès que les républicaines. Il continue quelque temps dans la carrière, mais il n’a qu’une idée, devenir député. Après un échec en 1881, il est élu quatre ans plus tard dans la circonscription de Nogent-le-Rotrou en Eure et Loire. Il sera réélu sans discontinuité jusqu’à son élection à la présidence. Et pourtant, cela nous paraît étrange de nos jours, il n’a jamais eu la moindre résidence, la moindre permanence parlementaire dans cette circonscription.
La présidence de la République, il va bâtir toute sa carrière parlementaire dans ce but. Pour commencer, il faut se faire connaître et, à cette époque, l’éloquence était la voix royale. Aussi pour ses premiers discours prend-il les conseils avisés de ce pauvre Émile Olivier qui était un des plus fameux tribuns du Second empire. Premier discours remarqué, sur le blé. Il se spécialise alors dans les problèmes agricoles et de politique étrangère. Progressivement, le dandy (Deschanel était très attentif à son apparence) se fait un nom, ou plus exactement un prénom à l’assemblée (un duel, même en étant blessé, avec Clémenceau peut-être considéré comme une vraie reconnaissance).
En 1898, alors que rien ne le présageait, il est élu à la présidence de l’assemblée. En pleine affaire Dreyfus ! Il montre un vrai talent pour mener les débats, pour éviter toutes les chausse-trapes. Et quand il va être réélu en 1911 et être le président de l’assemblée durant la Première guerre mondiale, il démontrera le même talent. Il se refuse de voter quoique ce soit au nom de la neutralité qu’il pense devoir avoir en cette fonction. Il fait montre d’une prudence totale, refuse d’être ministre, président du conseil, de peur d’être « compromis » dans une des affaires, combinaisons politiques comme la Troisième république en avait le secret.
Son engagement politique chez les républicains modérés, son ardeur au travail, ne l’empêchent pas d’être élu à l’Académie française dés sa première candidature. Quand Raymond Poincaré, un de ses proches, annonce qu’il ne fera pas un second mandat, Paul Deschanel mobilise ses réseaux et est élu en 1920. 7 mois après, il démissionnait.
Paul Deschanel voulait faire évoluer les lois constitutionnelles et affirmer la place du Président en employant tous les moyens mis à sa disposition. Mais la pratique depuis Mac-Mahon et Jules Grévy avait quelque peu marginalisé cette fonction. De plus son absence de responsabilité ministérielle lui avait donné une mauvaise perception de cette magistrature. Et de fait, il se trouve totalement absorbé, n’a strictement aucune marge de manœuvre, se plaint de n’être pas mis au courant des dossiers, etc. En plus il n’apprécie que peu le président du conseil Millerand.
Après on connaît l’histoire de la chute du train en pyjama, voire les escalades dans les arbres de l’Élysée. Après une période de repos, il se fait élire au Sénat, avant de décéder fin avril 1922.
Thierry Billard nous montre ainsi dans cette biographie un homme cultivé, soucieux de son image, grand orateur, fin politique, républicain modéré mais refusant tous les excès, bourreau de travail. Et en fait, en 1920, au moment où il est élu à présidence, il entre en dépression et son impuissance n’a fait qu’aggraver son état de santé. Non, Paul Deschanel n’était pas fou, juste victime d’une dépression, d’un burn-out comme l’on dit de nos jours. Un homme politique qui a beaucoup réfléchi sur les institutions et leur fonctionnement. Il était très critique des pratiques constitutionnelles de la IIIème République et voulait les faire évoluer, pas les changer non, mais bien les faire progressivement évoluer. Et quand on se penche dans ses écrits, on n’est pas loin de voir se décrire ce qui va devenir la pensée du général de Gaulle et la constitution de la Vème République !
Mal compris de son temps, mal connu du nôtre, Paul Deschanel est aussi un visionnaire (et pour sans convaincre, il faut lire ce qu’il pensait du désastre pour la France que fut le Traité de Versailles à l’issue de la Première Guerre mondiale). Alors bravo, Thierry Billard, une belle réhabilitation.
Paul Deschanel, le président incompris
Thierry Billard
éditions Perrin. 21€
Première publication 15/05/2022