On a beau être prêt, on a beau avoir choisi ce métier, s’être entraîné tant et tant que tout devient un réflexe, il n’en demeure pas moins que la guerre et son lot d’horreur et de mort ne laisse aucun de ses acteurs intacts, même les soldats qui se croient revenus de tout. Tôt ou tard, l’esprit finit par se rebeller et même les plus aguerris finissent par « craquer », par se rebeller, par fuir cet univers de stress, de peur.
Ainsi quand l’adjudant Stéphane a quitté l’armée, il pensait sincèrement retourner à une vie « normale » avec Mathilde son épouse et leurs deux enfants. Bien que, victime d’insomnie suite à sa dernière mission en Afrique où Junior, un sergent fut tué lors d’une embuscade, il passe ses nuits à courir jusqu’à épuisement complet. Et puis un jour, avant l’aube, il reçoit un message sur son téléphone : « il y a un problème avec Lulu ». Lulu, le caporal avec lequel il avait combattu plus de vingt ans, un homme fiable, rassurant aussi bien pour les hommes placés sous ses ordres que pour ses chefs. Lulu, marié avec la très belle Aurélie qui a du mal à s’adapter à sa vie d’épouse de militaire mais qui l’accepte d’autant que son univers s’est enrichi d’un petit garçon. Il s’avère que Lulu a disparu, un beau matin, il a tout laissé chez lui, ses affaires, sa voiture, il ne répond pas au téléphone, il n’a laissé aucun mot d’explication et ce, à 10 jours d’importantes manœuvres. Comment ce fait-il que ce soldat modèle prenne le risque d’être déclaré déserteur ?
Alors ils sont quatre avec Stéphane qui vont mener leur enquête pour retrouver Lulu. Quatre dont un jeune lieutenant, un sergent, un caporal, tous ont leur histoire, ont leur traumatisme. A part le jeune officier qui a du mal à acquérir une légitimité de la part des membres de son unité, ils ont participé à l’embuscade au cours de laquelle Junior a perdu la vie. Tous se sentent plus ou moins coupables. Au cours de leurs recherches ressurgissent la peur, la fraternité des « frères d’armes », ce concept d’honneur qui fait que jamais ils ne laissent un camarade en détresse. Ils apprennent aussi des aspects de la vie de Lulu, eux qui croyaient si bien le connaître, qu’ils ne soupçonnaient pas comme son attirance pour la forêt amazonienne qu’il avait découvert lors d’une opération contre l’orpaillage sauvage.
Alors qu’ils étaient prêt d’abandonner leur quête, ils apprennent, comprennent le secret de Lulu et ce qui a motivé son évanouissement. Quittant tout, au risque de subir de graves conséquences, aussi bien privées que militaires, ils vont aller chercher Lulu, au fin fond de la Guyane.
Ceux qui restent est un livre qui ne peut être écrit que par un militaire (Jean Michelin est lieutenant-colonel) tant cet univers particulier est parfaitement décrit. Il montre une forte empathie pour ses personnages, ne laisse aucun côté obscure de leur personnalité, de leur doutes dans l’ombre. Il montre parfaitement les difficultés qu’ils rencontrent dans leur vie privée ?. Car quand on est militaire, on l’est même hors de son régiment, unis, au-delà de tout par cette fraternité d’armes qui n’est pas un vain mot. Des êtres humains qui avouent qu’ils ne sont pour la plus part capable de ne faire que ce métier, métier qui leur donne une position dans la société qu’ils servent. Ils en connaissent les risques dont celui de la mort, sont prêts à les affronter, même si parfois, et ils le savent, les cauchemars risquent de les rattraper. Même ceux qui se croient au-dessus de la chute, mais elle finit souvent par les talonner.
Un roman d’une grande humanité, loin des récits héroïque des combats, des sortes de surhommes, des héros. Des portraits d’hommes « normaux » qui ont choisi de faire un métier « a-normal », qu’ils le font consciencieusement au prix de bien des sacrifices que tout un chacun n’est pas prêt à faire.
Une plongée dans l’univers de la vie militaire qui combat bien des lieux communs.
Ceux qui restent
Jean Michelin
EHO éditions. 19€