Qui n’a jamais vu sans peut-être même le savoir ce fameux Klein Blue (IKB), cette couleur bleue chaude, originale et intense inventée par Yves Klein (1928-1962)? Qui n’a jamais pareillement aperçu ces « anthropométries » qui provoquèrent en leur temps la bien pensance desséchée et coincée? Aix-en-Provence rend hommage à l’artiste, 60 œuvres, des photographies et des archives.
Pour rentrer davantage encore dans l’intimité d’Yves Klein, on découvre les relations qu’il a entretenues avec sa famille, ses modèles, ses amis artistes, tous ceux qui ont marqué son œuvre. On s’amuse encore des complicités artistiques qui viennent enrichir l’exposition, des témoignages d’amitié avec Arman, Christo, Martial Raysse, ou Jean Tinguely.
On découvre encore ses parents, tous deux artistes. « Fred Klein pratiqua une peinture figurative, et Marie Raymond, sa maman se tournera vers les abstractions géométriques. » commente Cecilia Braschi, commissaire de l’exposition et responsable des expositions à l’hôtel de Caumont à Aix-en-Provence où se tient cette expositions
La commissaire d’exposition nous parle de sa relation au judo, qui va bien au-delà du sport. « Il s’agit d’une méthode d’éducation intellectuelle, quelque chose qui permet d’accéder à la maitrise de soi. Il deviendra Maître de judo, et à seulement 25 ans, Yves Klein obtiendra sa ceinture noire 4e dan ! Il publie même un livre, « Les Fondements du Judo à Paris ». Une petite vidéo nous le montre dans le feu de l’action.
Yves Klein, c’est le bleu
« L’invention de l’International Klein Blue deviendra sa marque de fabrique. Déjà, dans ses monochromes, l’artiste cherche l’harmonie parfaite et l’unité absolue. » confie Cécilia Braschi. Le bleu est bien sûr présent, dès la première salle. « Car c’est la première chose qui nous vient à l’esprit quand on parle de Klein. En 1960, il fait breveter la formule de l’IKB. Encore une « longueur d’avance ». L’idée de créer un ce bleu profond, saisissant, à la fois brillant, mat, dense, et élaboré avec un chimiste marchand de couleur. » D’aucuns diront : « ah le bon filon ! ». Mais comment imaginer que l’IKB allait révolutionner son art en réhaussant le brillant et l’éclat de ce bleu outremer ? Dans cette première salle qui livre sa biographie, on découvre une installation étonnante et harmonieuse… toute bleue. « A l’époque on parlait de sculpture et de peinture, pas encore d’installation, d’art conceptuel, ou de performance, commente Cécilia Braschi, néanmoins, on constate à quel point ses formules s’appliquent parfaitement à l’œuvre de Klein». Sur une photo poster en noir et blanc, l’artiste, assis, regarde une de ses œuvres, toute bleue. Il semble dubitatif. « Il s’agit d’une mise en abime et du regard qu’il pose sur sa propre œuvre. Son sens de l’humour est présent tout au long du parcours de l’exposition ». Confie la commissaire d’exposition.
Le bleu nous ferait presque oublier qu’à ces débuts, en 1955, les premières œuvres qu’il décide de présenter au public sont des peintures d’une seule couleur, unie. On en découvre une toute orange, qui ne nous retient pas, même si l’artiste nous éclaire sur sa démarche. « Je cherche ainsi à individualiser la couleur, car j’en suis venu à penser qu’il y a un monde vivant de chaque couleur et j’exprime ces mondes… »
Yves Klein explore l’univers musical en 1947. Peut-on dire qu’il devient le chef d’orchestre de sa propre symphonie Monoton-Silence ? Une seule note jouée pendant 40 minutes avant de s’achever dans un silence étourdissant (car on l’entend longtemps, bien longtemps après). Un ré pour le moins « perturbant ».
Certes, on sait qu’il s’agit là encore d’expérimenter, d’approfondir l’immatériel, l’impalpable, le vide. Cette symphonie est jouée lors des Anthropométries. Il s’agit de performances au cours desquelles des modèles féminins, enduits de peinture bleue, viennent recouvrir un support de leur corps. Un film montre le déroulé de ces séances. Pour certains, elles se situent entre « rituel et strip-tease ». Pour d’autres, on peut y voir une histoire revisitée du nu en peinture, dans une forme intuitive, ou encore une méditation sur l’empreinte, la trace.
Yves Klein participera à l’élaboration d’un nouveau mouvement en 1960 : le Nouveau Réalisme. On y retrouve Arman, le critique Pierre Restany, Jean Tinguely ou encore Niki de Saint Phalle. Ses amis aussi partagent une nouvelle vision du réel et bousculent les codes.
Le vide fascine l’artiste. Il sera au cœur de performances qu’il a réalisées. Dans une vidéo projetée à l’exposition, sa jolie épouse, Rotraut Klein-Moquay nous parle de ses «recherches incroyables ». Un cliché nous montre Yves Klein s’élançant tel un oiseau, dans le vide. Ce rapport à l’espace et à l’inexistant l’obsèdera.
Pas très longtemps toutefois, car l’artiste est mort à 34 ans, non pas dans un ultime saut (un matelas amortissait la chute ! ) mais d’une crise cardiaque. Dans l’interview filmée, Rotraut le décrit ainsi. « Il adorait rire, il était gai, même si cette attitude est aux antipodes de son sérieux au travail. »
Du bleu au vide, du vide à l’or en passant par le feu
Dans ce parcours, « Yves Klein intime », on découvre encore quantité de facettes de sa personnalité. On nous le montre cultivé, charmant, charmeur, drôle… Son œuvre est prolifique, souvent audacieuse et parfois même risquée. A côté de ses monochromes, ses sculptures éponges, ses peintures roses ou dorées, les Monogold, ses anthropométries, il y a Yves Klein, l’alchimiste. Il crée des peintures de feu, s’intéresse à la matière en fusion qui livre ses couleurs grillées, chairs et orangés. Dans une vidéo, on voit l’artiste au centre d’essai de Gaz de France de la Plaine Saint-Denis.
Il réalise ses travaux avec un drôle de pinceau : des flammes de gaz très puissantes qu’il manie avec assurance… et prudence. L’eau n’est jamais très loin, et heureusement du reste, même si le support carton est étudié pour ne pas s’embraser trop vite. L’eau est là aussi pour humecter l’œuvre en devenir, utiliser ses coulures, ses éclaboussures. On ne sait pas trop quelle est la part du maitrisé ou de l’accidentel, qu’importe! Force est de reconnaitre que l’artiste joue avec maestria des effets que permettent les flammes, qu’il faut agir vite avant que tout ne brûle et pour que fleurisse tout un monde interstellaire, des étoiles brunes et dorées , des formes célestes, d’étranges nuages. Une œuvre entre destruction et régénération qui nous parle de la vie et de la mort
Yves Klein intime
Aix-en-Provence
Caumont Centre d’art
Exposition jusqu’au 26 mars 2023
Pour en savoir plus sur l’exposition, cliquer
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