Attaquer l’amour par la face feinte, projet ambitieux et réussi du film Mascarade.
Nicolas Bedos aura signé le troisième opus d’une trilogie (ses trois premiers films (Hors OSS) qu’il ne présente pas ainsi) sur l’amour, en se payant le luxe de s’offrir les rageuses critiques de ceux dont le métier est de vivre au crochet des films qu’ils dézinguent sans avancer de raisons et qui en encensent d’autres sans vouloir donner l’air d’être putassier avec les copains… Ils donnent envie de se précipiter et de voir le film.
Mêler le vrai amour à l’amour feint, les générations, les actrices, les acteurs, les danseuses, danseurs, écrivains, à la critique d’une société qui culmine dans un néant d’argent, à vouloir vous faire presque vomir la Côte d’Azur (que le film lave heureusement d’une lumière limpide), sans tomber dans l’acide de sa propre amertume, voilà le travail du cinéaste. Pas facile après « mee too« , « balance ton porc », crimes et châtiments du milieu cinématographico-peoplien, de décrire l’amour en le circonscrivant par son côté faux.
Deux putes l’une mâle, l’autre femelle, (sans discrédit sur les travailleurs et travailleuses du sexe), se lancent dans le jeu de l’époque, par lequel dans tous les milieux, l’escompte et l’escroquerie dissolvent tout amour.
De tous sexes, de tous genres, malheur à ceux qui cherchent la villégiature, la situation, le profit, et le tour en bateau (beaucoup se reconnaîtront dans la course à la « réussite » d’une vie qui n’a plus rien de sentimentale). Quand les regards disparaissent, ils se retrouvent seuls et désœuvrés, riches et sans le sou, la vérité ils la connaissent, effroyablement lucides, en écrivant leur propre rôle…
Qui veut faire l’amant fait la pute
Chacun cherche son vieux, sa vieille, sa ou son jeune, chaque ancien espère son bouquet final, chaque jeune premier (première) sa/son meilleur(e) acteur(trice) ; chacun est cynique, faux, personne ne veut dans le fond connaître le vrai amour, celui qui fait le plus haut mal quand et s’il finit, autant faire le mal pour le mal.
Un grand film, à aucun moment un long film, 134 minutes de divertissement cinématographique, un vrai film, ni un téléfilm au cinéma, ni une mini-série reformatée pour passer ici et sur les plateformes. Pas un film de genre, ni un film hommage, ni un film de cinéphile bourré de références explicites (mais toutes en suggestions), pas un film de vieux qui nous dégoûte de l’amour ou du sexe. Slalom géant à travers les écueils du sujet et de la thèse. Une comédie dramatique, proche du thriller, en équilibre, comme une danse. Deux étages au moins, deux générations d’acteurs et de personnages, Adjani-Cluzet, Vacht-Niney, une intrigue amoureuse, non-amoureuse, psychologique, sexuelle, sociale et judiciaire. Une comédie de mœurs. Un humour enfin drôle au cinéma. Un étage de seconds rôles consistants, Laura Morante, Emmanuelle Devos, Nicolas Briançon, Charles Berling.
Comment traiter des sujets lourds avec grâce et lumière. La puissance équilibrée des quatre acteurs principaux. Le risque permanent de l’amour, l’escroquerie fatale du projet, le rythme des plans et de la danse. Le film est construit sans être laborieux. Le cinéma, dit Deleuze, ne devrait montrer que ce que lui seul peut exprimer. Exprimer la possibilité de l’amour à l’époque de sa plus haute dissolution publique. Ici, il s’agit de révéler l’universalité de la feinte, et si l’amour s’en sort, c’est par miracle. Jamais Bedos ne le dit impossible. Décrire la multiplicité du désir et le perpétuel effet de lanterne magique de ses projections. Rôles joués, surjoués, attentes, satisfactions, jeux sociaux admirablement commentés par Charles Berling, délicieusement acide autour d’un procès, clin d’œil à sa fonction de directeur de théâtre, commentant en abîme une relation empoisonnée et dont personne n’est dupe. Bedos a puisé dans sa propre expérience des milieux, de la drague, des jeux de gigolo pour décrire, exprimer, sans jamais démontrer ou discourir. Un humour jamais outré, une ironie jamais fielleuse, on ne jette pas l’amour avec l’eau du crime. On montre les multiples facettes par seconde d’un amour qui se joue et déjoue sans cesse. Et enfin une intrigue dont on ne fait pas semblant qu’elle se passe pour l’essentiel sur les rézosociaux ou sur internet…..
Que cherche chacun à travers l’amour ? Critique de la critique du pouvoir masculin, critique de l’égoïsme, du féminisme, de l’émancipation qui s’aliène, de l’aliénation qui espère se libérer, du risque de « tomber » amoureux. Théâtre de la vie, du théâtre, du cinéma, du tribunal, de la société. Quand chacun trouve ce qu’il cherche, il s’enfuit, pour reprendre une quête…
Théâtrale Côte d’azur et d’amour, scène de cette recherche ultime désabusée à feindre de croire à ses propres mensonges. Microcosme scénique et bourgeois où rien n’élève, l’art du faux tue.
Léger et tragique comme la chanson de Gainsbourg chantée par Birkin. Pour le spectateur, ces nouveaux monstres de l’amour donnent un spectacle pétillant et grave.
« Amours des feintes
Des faux-semblants
Infante défunte
Se pavanant. »