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Le viol des filles, l’omerta des familles au coeur du roman de Camille Lysière

par Émile Cougut

Voici un livre, un best seller à venir, son titre La bête en elles, son auteure Camille Lysière, traite un sujet tabou, souvent dissimulé, tragique, et dont la pérennité sociologique et humaine a défié la lâcheté intellectuelle des temps et la bassesse ignominieuse des hommes. Bravo aussi à Eyrolles, la maison d’édition qui accepté ce texte et l’a publié. Mais de quoi s’agit-il ?

Une même ville d’origine : Bourges. Soit, il y a une superbe cathédrale, mais c’est une ville de province où il ne se passe pas grand chose. Et il y a aussi Paris, la ville lumière, une sorte de miroir aux alouettes, la ville des fantasmes, de la liberté et surtout du dépaysement quand on vient de Bourges.

Et il a trois  jeunes filles, à peine sorties de l’adolescence, avec des rêves plein la tête, avec l’avenir qui leur appartient et qu’elles espèrent radieux, loin de la routine de Bourges. Claudine en 1937, Isabelle en 1973 et Marie en 2009, partent, chacune à leur époque, pour un travail d’été à Paris avant de reprendre leurs études. Par chance, elles vont loger chez des amis de leurs parents, au moins il y aura des adultes pour les surveiller. En plus, les hommes de ces familles d’accueil sont des notables dans leur profession de journalistes, des gens sérieux, influents, au-dessus de tout soupçon.

Toutes les trois vont vivre le même calvaire. Très vite, ces hommes froids vont venir rejoindre les jeunes filles dans leurs chambres chaque nuit quand dorment leurs épouses. Très vite, ils vont les violer régulièrement. Aucune ne réagit, tétanisée par la peur avec un sentiment de culpabilité que leur insinue leur bourreau « tu es trop belle » « tu m’as allumé », etc. Enfin tous les arguments de mauvaise foi qui sont employés pour ne surtout  pas se remettre en question, pour ne surtout pas essayer de se raisonner et par dessus tout faire taire le cerveau reptilien.

Bien sûr, revenues chez elles, elles se rendent compte qu’elle sont enceintes. Quand les parents s’en aperçoivent et qu’ils arrivent à savoir qui est le père, c’est le déni, le déni total, leur fille ment, ce ne peut être leur ami, et quand bien même il y aurait l’ombre de la vérité, hors de question de déposer plainte, le scandale serait si grand que leur réputation en serait assombrie. Les trois jeunes filles, malgré la pression parentale (les mères ne sont pas en reste) refusent d’avorter et accouchent chacune d’un petit Paul.

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Toutes les trois finissent par quitter le domicile parental, chassées ou ne supportant plus le vrai harcèlement de leurs géniteurs. Elles repartent à Paris chez des vrais amis à elles et suivent leur destin, bien éloigné de celui de leur enfance. L’une va vers la religion, une autre dans les mouvements féministes, une autre dans des fêtes sans fin où alcool, produits stupéfiants, aventures multiples d’un soir se multiplient. Et toutes les trois finissent par prendre la même terrible décision.

Nous sommes là dans du Chabrol, ou du moins voilà trois destins croisés que Chabrol aurait su magnifiquement porter à l’écran. Camille Lysière traite avec tact et intelligence, le problème de la vulnérabilité des jeunes filles face à des prédateurs qu’elles respectent de par l’aura qu’ils ont. Et ils en profitent, tout en se désintéressant totalement de la conséquence de leurs actes. Et les conséquences ce sont elles et elles seules qui les subissent, se sont elles et elles seules qui voient leurs univers s’effondrer. Sujet, nous montre l’autrice qui se réitère dans le temps. Il y a beau avoir plus de 70 ans passés entre Claudine et Marie, avec des sociétés qui bien sûr ont énormément évolué, changé, les faits , les prédateurs, les traumatismes sont toujours là, ils sont toujours les mêmes.

Nous pouvons certes espérer qu’avec « Balance ton porc », de telles situations ne se reproduiront plus, mais, cela risque de n’être un vœux pieux, un de plus, car la peur du qu’en-dira-t-on, la culpabilité de la victime, la toute puissance que certains croient posséder perdurent encore et encore.

La bêtes en elles est un livre « dérangeant » mais qui dégage une force indéniable.

La bêtes en elles
Camille Lysière
éditions Eyrolles 16€ (broché), 7€80 (Poche)

Illustration de l’entête: Portraits de deux femmes. Tamara de Lempicka

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