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Oskar Kokoschka comme un fauve en cage. Exposition au musée d’Art moderne de Paris

par Suzanne Ferrières-Pestureau

Le Musée d’Art Moderne de Paris organise la première rétrospective parisienne consacrée à l’artiste autrichien Oskar Kokoschka (1886-1980) du 23 septembre 2022 au 12 février 2023.

L’exposition réunit 150 œuvres parmi les plus significatives de cet artiste, peintre mais aussi écrivain, poète, essayiste et dramaturge.

Exposition Oskar Kokoschka. Musée d'art moderne de Paris 2022-2023
Oskar Kokoschka le crane rasé, 1909

Associé aux mouvements artistiques et intellectuels de la Vienne du début du XXème et à ses contemporains Gustav Klimt (1862-1918) et l’architecte Adolf Loos (1870-1933) qui le soutiendront, Kokoschka apparaît très vite comme le plus provocateur d’entre eux par sa volonté d’exprimer la force des états d’âmes de son époque dans la crudité de ses dessins et de ses textes. Son premier conte, illustré de huit lithographies Les garçons qui rêvent (1907-1908)dédié à Klimt, raconte l’éveil de la sexualité chez l’adolescent. L’œuvre fait scandale lors de son exposition à la « Kunstschau » de Vienne et l’amène à prendre ses distances avec le mouvement sécessionniste.

Exposition Oskar Kokoschka. Musée d'art moderne de Paris 2022-2023
Kokoschka. Autoportrait (Affiche pour Der Sturm). 1910
Lithographie en noir, bleu et rouge pâle sur papier affiche
67,3 × 44,7 cm Papier: 70,5 × 48 cm

Il rejoint un réseau artistique et littéraire par l’intermédiaire de son ami Adolf Loos qui lui présente l’éditeur berlinois Herwarth Walden (1878-1914) fondateur de la galerie et de la revue Der Sturm. Kokoschka illustre la revue avec des dessins provocants, dont l’un Autoportrait (1910) montre l’artiste en paria, le crâne rasé, indiquant la blessure que lui ont infligée métaphoriquement les critiques de la bonne société viennoise.

Exposition Oskar Kokoschka. Musée d'art moderne de Paris 2022-2023
Kokoschka. Affiche Piéta, 1909, Lithographie, Musée Albertina , Vienne

D’autres dessins aux accents misogynes dont l’affiche Piéta (1909) annonce sa pièce de théâtre Meurtrier, espoir des femmes qui marque le début de l’Expressionisme autrichien au théâtreCette affiche montre une « Piéta » moderne dont les lignes tortueuses maniéristes au chromatisme contrasté, exercent une violence visuelle ressentie encore aujourd’hui. Kokoschka veut choquer la bourgeoisie viennoise, enlisée dans les conventions, en la mettant en garde contre une civilisation masculine dominée par l’ignorance et par une perte d’humanité, assujettie au progrès technique. Son œuvre âpre et expressionniste est en rupture avec le climat fin de siècle.

Le message ne sera pas compris par le public, il faudra attendre la Grande Guerre et la chute de l’empire austro-hongrois pour qu’il trouve un écho dans le public, mais trop tard. 

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Kokoschka exposition musée d'art moderne de Paris 2022-2023
Kokoschka. La Cantate de Bach, 5ème Lithographie, 1914, Kupferstichkabinet, Berlin

À partir de 1913 il réalise une série graphique inspiré par la relation passionnelle qu’il entretiendra, entre 1912 et 1914, avec la compositrice Alma Mahler, veuve de Gustav Mahler. Colomb enchaîné (1913) et La Cantate de Bach (1914) expriment les tourments de l’amour où se déchaînent les pulsions de vie et de mort et le rôle funeste des femmes dans la vie des hommes. Cette période de grande agitation et de voyages sera parmi les plus fécondes du peintre.

Le déclenchement de la Première Guerre mondiale en septembre 1914, correspond à la rupture du peintre avec Alma Mahler. Il s’engage dans la guerre et intègre le corps d’élite. Pour s’acheter un cheval il vend La fiancée du vent (1913-1914)[1] l’un de ses chefs d’œuvre où s’exprime sa fascination grandissante pour le Tintoret, le Greco et l’art baroque.

Blessé à la tête et aux poumons sur le front russe en 1915, il est hospitalisé dans un hôpital de Brno. Il repart au front en 1916 comme peintre de guerre où il couvre la bataille de l’Isonzo. Blessé de nouveau par l’explosion d’une grenade, il est évacué à Vienne puis à Berlin.

Exposition Oskar Kokoschka. Musée d'art moderne de Paris 2022-2023
Autoportrait 1917.
Succession Oskar Kokoschka, Pro Litteris, Musée d’art moderne de la Ville de Paris 2022.

La plupart des dessins réalisés à cette époque ont disparu et ceux qui restent témoignent de la violence des combats. Réformé de l’armée, très déprimé, il est envoyé dans un centre de convalescence à Dresde après avoir signé un contrat avec le galériste Paul Cassirer. Lors de ce séjour il visite les musées dans lesquels il étudie les œuvres de Rembrandt, Titien, Raphaël et cherche de « nouvelles formes d’expression picturale pour tenter de résoudre le problème de l’espace, de la profondeur picturale, avec des couleurs, pour percer le mystère de la planéité de la toile ». Les couleurs des œuvres de cette période, appliquées par juxtaposition, épousent les formes du sujet et gagnent en intensité et en lumière.

En 1918, hanté par le souvenir d’Alma, Kokoschka commande à Hermine Moss, une costumière de théâtre réputée, une poupée grandeur nature à l‘effigie d’Alma. ( Lire l’analyse faite sur cette poupée publiée dans la revue Cairn (cliquer)) Sa réalisation dure environ six mois, sous le contrôle du peintre qui souhaite que la poupée soit l’exacte réplique de son ancienne maîtresse.

Exposition Oskar Kokoschka. Musée d'art moderne de Paris 2022-2023
La poupée Alma de Kokochschka

Pendant quelques mois il ne se sépare plus de la poupée qu’il finit par détruire en 1922 au cours d’une soirée arrosée.  Une toile réalisée la même année Autoportrait Oskar et sa poupée Alma témoigne de son désir d’en garder la trace.

Après la mort de son père en 1923, Kokoschka quitte son poste d’enseignant à l’Académie de Dresde avec l’intention de s’installer à Vienne mais le mauvais accueil réservé à son œuvre lors d’une exposition en 1924 à la Neue Galerie où l’un de ses tableaux est lacéré, l’amène, grâce au soutien financier de son galeriste Paul Cassirer, à entreprendre un voyage à travers l’Europe, l’Afrique du Nord puis l’Orient.

Au contact d’autres paysages, d’autres villes, son style évolue, la matière se fluidifie, sa palette s’éclaircie et s’ouvre à de nouveaux rapports de couleurs ainsi qu’on peut le voir sur cette toile peinte à Londres, Londres petits paysages de la Tamisedatant de 1926.  

Exposition Oskar Kokoschka. Musée d'art moderne de Paris 2022-2023
Kokocschka. Londres, petit paysage de la Tamise, 1926, Musée Albertina, Vienne

Ses séjours prolongés à Londres et à Paris où une exposition, organisée par la Galerie Georges Petit en 1931, est très bien accueillie par la critique, lui permettent de se faire connaître mais le suicide de Paul Cassirer en janvier 1926 puis la crise 1929 le mettent de nouveau en difficulté financière.

En 1932 il rentre à Vienne, une ville en proie aux troubles politiques et à la montée du fascisme. La même année cinq de ses tableaux sont saisis dans les musées de Dresde et un an plus tard toutes ses œuvres sont décrochées dans les musées allemands dont neuf circulent dans l’exposition itinérante Entartete Kunst (« L’Art dégénéré »), d’autres sont vendues aux enchères pour contribuer à l’effort de guerre nazi dont son chef-d’œuvre La fiancée du vent que le peintre avait vendu précédemment au Kunsthalle de Hambourg et qui sera vendue ensuite au Kunstmuseum de Bâle

Kokoschka s’engage contre le nazisme dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933. Il quitte Vienne à la mort de sa mère en 1934 pour s’installer à Prague où il rencontre Olda Palkovska qu’il épousera en 1941. 

Exposition Oskar Kokoschka. Musée d'art moderne de Paris 2022-2023
Oskar Kokoschka Autoportrait en « artiste dégénéré » / Selbstbildnis eines ‘Entarteten Künstlers’, 1937 Huile sur toile 110 x 85 cm National Gallery of Scotland, Édimbourg En prêt d’une collection particulière © Fondation Oskar Kokoschka / Adagp, Paris 2022

Sa lutte incessante contre le nazisme se déploie sur plusieurs fronts. Il répond à l‘accusation des nazis, d’être un « artiste dégénéré » participant à la décadence des sociétés modernes, par Autoportrait en « artiste dégénéré » en 1937 et participe aux organisations et expositions antifascistes à Prague puis à Londres en 1938. Il est élu président honoraire de l’Union des artistes libres créée à Paris par des artistes et des critiques exilés allemands, puis en Angleterre où il s’implique dans l’Association culturelle allemande libre au côté de l’écrivain Stephan Zweig notamment.

Exilé en Angleterre où il vit avec Ilda, sa femme, entre Londres et la Cornouailles sans beaucoup de moyens financiers, Kokoschka commence une série d’œuvres allégoriques sur le thème du basculement de l’Europe dans la guerre. Le Crabe(1939-1940) la première toile de cette série a été réalisée à Polperro en Cornouailles. Le nageur est selon le peintre, un autoportrait représentant la Tchécoslovaquie, et le crabe, Neville Chamberlain, le Premier ministre britannique de l’époque qui ne sort pas « une pince pour le sauver de la noyade, mais reste à l’écart ».

Exposition Oskar Kokoschka. Musée d'art moderne de Paris 2022-2023
Le Crabe 1939-40. Oskar Kokoschka 1886-1980.
Huile sur toile, 63,4cm/ 76,2cm. Tate, Londres

Il obtient la citoyenneté britannique en 1947 ce qui lui permet de voyager librement. Il rend visite à sa famille à Vienne mais refuse de s’y installer. La même année une grande rétrospective organisée à la Kunsthalle de Bâle le consacre comme un artiste majeur et acteur incontournable de la reconstruction culturelle européenne.

Prenant ses distances avec la culture et la langue germanique il s’installe à Villeneuve en Suisse romande en 1951. 

Dans ses dernières toiles Kokoschka revient à la radicalité picturale de ses premières œuvres témoignant ainsi d’une croyance dans la puissance subversive de la peinture qui perdurera jusqu’à sa mort.

Son dernier autoportrait Time Gentleman Please (1971), en référence à l’appel à l’heure de la fermeture des pubs anglais, évoque l’arrivée de la mort personnifiée par le personnage barbu dont la main est posée sur le loquet de la porte. Marchant vers la porte alors que la mort s’approche, Kokoschka nu, le visage angoissé, regarde le spectateur une dernière fois. 

Exposition Oskar Kokoschka. Musée d'art moderne de Paris 2022-2023
Time, Gentlemen Please 1971-2 Oskar Kokoschka 1886-1980. Tate Modern. Londres

Cette œuvre, parmi les dernières du peintre qui a alors 85 ans, annonce les Nouveaux Fauves (néo-expressionnistes), une génération d’artistes allemands d’après-guerre (Baselitz, Immerdorf, Kippenberger…) revenus à la figuration, en adoptant un style violemment émotionnel et une iconographie volontairement provocatrice.


[1] Cette toile ne figure pas dans l’exposition du fait de sa grande fragilité.

Exposition Oskar Kokoschka
Un fauve à Vienne

Musée d’Art moderne de Paris
11 avenue du Président Wilson. 75016 Paris

jusqu’au 12 février 2023

Commissaires de l’exposition: Dieter Buchhart, Anna Karina Hofbauer et Fanny Schulmann, assistés d‘Anne Bergeaud et Cédric Huss

Illustration de l’entête: Oskar Kokoschka
La Fiancée du vent 1913. Huile sur toile. Kuntsmuseum. Bâle. C.H.

métro: Alma-Marceau ou Iéna, ligne 9.
RER Pont de l’Alma, ligne C.
Bus lignes 32, 42, 63, 72, 80 et 92.

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