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L’Orage d’Alexandre Ostrovski dans la Russie des années 1990 après la perestroïka

par Suzanne Ferrières-Pestureau

L’orage (1859) d’Alexandre Ostrovski au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris, du 18 au 29 janvier, En tournée du 8 au 18 mars aux Célestins à Lyon, le 14 mars à la maison de la culture de Nevers.

Le rideau se lève sur une vue splendide de la Volga en fond de scène et sur Kouliguine, interprété par le bouleversant Philippe Duclos, vieux poète philosophe, émerveillé par la beauté du fleuve immense et puissant. Il apportera un peu d’espérance, d’amour et de poésie à cette saga familiale résignée, dominée par la peur, dont les personnages, incapables d’évoluer, resteront les mêmes jusqu’à la fin de la pièce.

 On est à Kalinov une petite bourgade isolée de tout, au bord du fleuve, figée dans une religiosité étouffante, des contraintes familiales et sociales qui sapent tout désir de liberté où chacun vit sous le regard des autres. 

L’orage (1859) d’Alexandre Ostrovski (1823-1886) a été adapté par le romancier Laurent Mauvignier sur une scénographie d’Éric Ruf, et mis en scène par Denis Podalydès qui l’a transposé dans la Russie des années 1990 juste après la perestroïka. Ce temps de la Russie est marqué par le triomphe des oligarques, la montée d’un capitalisme sauvage qui creuse les inégalités sociales, et la vodka comme seul remède à l’ignorance et à la mélancolie ambiante.

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C’est dans cet environnement angoissant que les différents personnages errent, terrorisés par Dikoï (Dominique Parent) le riche marchand ivre qui tyrannise ce village où règne la brutalité, la méfiance et la peur. L’orage menace. L’intrigue simple et classique débouche sur un drame poussé à son paroxysme dans lequel alternent désespoir et ironie.

L'orage d'Alexandre Ostrovski
L’orage. Théâtre des Bouffes du Nord. Mise en scène Denis Podalydès.
Photo Jean-Louis Fernandez

 Katerina, interprétée par Mélodie Richard, émouvante et imprévisible, alternant sensibilité et espièglerie, est mariée à Tikhone joué par Thibault Vinçon, un être insaisissable dans sa complexité. Incapable de protéger sa femme de Kabanova, magistralement interprétée par Nada Stancar, mère despotique auquel lui-même est soumis. Enfermée dans ce huis-clos familial, malheureuse en ménage, Katerina tentera de résister, en vain, à la pesanteur de cette famille cruelle et puritaine.

La première partie de la pièce, portée par la musique douce de Bernard Vallery en direct sur scène permet de supporter quelques longueurs jusqu’au départ en voyage de Tikhone qui relance l’intrigue.

Restée seule à la maison, encouragée par sa belle-sœur Varvara (Leslie Menu) Katarina échappe à la surveillance étroite de sa belle-mère pour rejoindre Boris (Julien Campari), un jeune homme, orphelin de petite noblesse, venu de Moscou, insignifiant mais attachant, auquel elle déclare son amour.

L’orage éclate quand Tikhone, revenu inopinément de son voyage, découvre l’infidélité de son épouse, relayée par la rumeur et l’opprobre des villageois. Rythmées par la percussion d’une plaque de métal, et le chant des comédiens, des gerbes d’eau fusent sur les personnages, détruisant tout autour d’elles sous le regard désemparé de Kouliguine appelant au pardon et à l’émerveillement du monde. Mais rien n’arrêtera cette course à l’abîme qui entraînera Katerina vers le fleuve dans lequel elle se jettera comme rien n’empêchera la déportation de Boris en Sibérie.

 L’observation du monde faite par Ostrovski, fondateur du théâtre russe, n’a rien perdu de son actualité. L’ignorance et l’arrogance des dirigeants, la soumission des victimes, le pouvoir de l’argent suscitent toujours autant d’effroi et de pitié et comme au temps d’Ostrovski rien ne change.

Il y a quelque-chose de verrouillé chez l’homme, quelque chose qui l’empêche de penser librement, il n’apprend rien du passé préférant s’en remettre aux poncifs, aux injonctions des courants dominants, et aujourd’hui aux médias ou aux réseaux sociaux. Telle serait la leçon de cette pièce incontournable une pièce d’hier pour aujourd’hui.

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