Picasso est à l’honneur cette année à l’occasion de la commémoration du cinquantenaire de sa mort. La participation du Musée de l’homme à cet évènement comprend deux expositions qui se complètent. La première « Arts et préhistoire » (16 novembre 2022 au 22 mai 2023), présente plus de quatre-vingt-dix pièces préhistoriques originales, des centaines d’images numériques de peintures et de gravures.
Le premier espace de l’exposition est consacré à l’art mobilier : objets sculptés, gravés ou peints qui accompagnaient nos ancêtres dans la vie de nomades. Le deuxième propose une immersion dans l’art pariétal et rupestre du monde entier.
L’autre exposition qui vient de s’ouvrir, « Picasso et la Préhistoire » (du 8 février au 12 juin 2023), retiendra plus particulièrement notre attention car elle permet de comprendre l’évolution du regard du peintre sur le monde à partir de sa rencontre avec l’art préhistorique.
On y découvre des clichés photographiques pris par Brassaï, appartenant à la collection personnelle du peintre, ainsi qu’une quarantaine d’œuvres du maître, certaines inédites, comprenant des peintures, sculptures, dessins, céramiques et galets gravés. Une partie de ces objets a été prêtée par la succession Picasso, notamment la série des ossements collectionnés, tout au long de sa vie avec passion, par le peintre.
Une fresque temporelle établit un parallèle surprenant entre les dates clés des découvertes d’art rupestre et l’œuvre de l’artiste, permettant au visiteur de se repérer.
L’exposition s’ouvre sur Femme lançant une pierre, une toile de grand format qui s’inscrit dans une continuité convaincante avec la Vénus de Lespugue et les autres Vénus peintes sur la paroi des grottes, découvertes depuis le début du 20ème siècle. Les couleurs minimalistes de la toile de Picasso évoquent les ocres et les noirs soutenus, dessinés au charbon de bois, utilisés par les premiers artistes du paléolithique supérieur.
Né en 1881, deux ans après la découverte des premières peintures préhistoriques en Espagne dans la grotte d’Altamira (Cantabrie), Picasso s’inspire de cet art préhistorique qui le fascine et fera évoluer son art vers l’épure au service du message et du sujet bien au-delà de l’abstraction.
C’est surtout dans ses créations de l’entre-deux-guerres que l’intérêt de Picasso pour la Préhistoire se ressent ainsi qu’on peut le voir dans cette exposition. La Vénus de Lespugue, dont on peut voir l’original dans l’exposition, est découverte dans la grotte des Rideaux, une cavité située dans les gorges de la Save, à Lespugue, le 9 août 1922 lors de fouilles conduites par René de Saint-Périer. Elle reposait au fond de l’habitat préhistorique, dans la pénombre de la cavité. Sculptée en ivoire de mammouth, sa structure en losange est caractéristique d’un schéma reproduit à la période de Gravettien dans le sud-ouest de la France jusqu’aux plaines de l’Oural, en Russie. Elle sera dévoilée au public quatre ans plus tard dans la Revue Cahiers d’art crées par le critique d’art d’origine grecque Christian Zervos.
Picasso acquiert très tôt deux moulages de la Vénus de Lespugue qu’il aurait montrés à au moins deux de ses visiteurs (Brassaï et Malraux) dans la « vitrine-musée » de son atelier des Grands Augustins à Paris.
À partir de 1927 il réalise des dessins, peintures et sculptures qui renouvellent la représentation des corps féminins en associant volumes lisses et renflés, faisant presque abstraction du visage. Ces « corps modelés » constituent la première partie de l’exposition.
La seconde partie « Bestiaire et grands décors » rassemble un corpus d’animaux et de créatures de Picasso qui évoquent le motif et les attitudes des animaux peints sur les parois de sites préhistoriques en Espagne et en France ainsi qu’en atteste l’enchevêtrement de biches et autres animaux, relevé sur les parois de la grotte d’Altamira.
Dans « Empreintes et abstractions », la troisième partie de l’exposition, les mystérieux signes abstraits incisés dans la pierre entrent en résonance avec quelques dessins de Picasso, de même que les mains négatives ornant les plafonds de la grotte d’Altamira ou celle de Pech Merle trouvent un écho dans Empreinte (au sucre) de la main de Picasso réalisé par le peintre sur une plaque de cuivre dans l’atelier de Boisgeloup, là où s’opèrent les métamorphoses les plus importantes de son œuvre.
La quatrième section « Objets trouvés » explore la façon dont Picasso regarde, collecte, détourne les objets naturels comme ces cailloux que de simples trous transforment en têtes de mort, réunis pour la première fois, ou ces galets de plage enrichis par l’artiste de quelques visages gravés. Cette collection de petits fétiches détournés à des fins esthétiques ou utilitaires fait écho aux matières animales et minérales utilisées par les hommes de la préhistoire.
La dernière partie de l’exposition, « Déesses primitives », confronte un ensemble de moulages de Vénus préhistoriques, ayant nourri l’imaginaire de Picasso, à ses sculptures, parmi lesquelles la Vénus du gaz, unique ready-made de l’artiste, réalisé en 1945 à partir d’un brûleur de gazinière dressé à la verticale. Cette « déesse des temps modernes », ainsi qualifiée par le peintre, est une manière de se projeter dans le temps et d’interroger l’éternel retour de l’art, sa permanence et sa transcendance.
On peut aussi écouter le photographe Brassaï rapporter de ses conversations avec Picasso cette phrase de l’artiste « Si l’homme est venu à fixer des images, c’est qu’il les découvrait autour de lui presque formées, déjà à portée de la main. Il les voyait dans un os, dans la bosselure d’une caverne, dans un morceau de bois…Une forme lui suggérait la femme, l’autre un bison… » (Brassaï – 20 octobre 1943-, Conversations avec Picasso, Gallimard, 1997, p. 113).
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Illustration de l’entête: Altamira, Relevé de biches et autres animaux enchevêtrés, (détail) MNHN – Abbé Henri Breuil
Autre article paru dans WUKALI, Picasso et la Préhistoire : https://wukali.com/2023/01/18/celebrations-picasso-1973-2023-picasso-et-la-prehistoire/19277/