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Theodoor Rombouts un caravagesque oublié

par Pierre-Alain Lévy

Une intéressante exposition monographique à découvrir à Gand en Belgique et consacrée à un peintre du XVIIè siècle quelque peu tombé dans l’oubli, Theodoor Rombouts (1597-1637).

En 1616, Theodoor Rombouts charge un notaire d’Anvers, sa ville natale, de rédiger un laissez-passer en vue de son départ de la ville. Le certificat indique qu’il est catholique et de bonne moralité, qu’il n’y a pas de maladies à Anvers et qu’il voyage pour «visiter d’autres pays et apprendre des langues». On ne sait pas exactement quels pays il a visités, mais en 1620, Rombouts (1597-1637) était à Rome, où il a certainement appris deux langues : l’italienne et l’artistique – le caravagisme.

Au moment de l’arrivée de Rombouts en Italie, Le Caravage est mort depuis 10 ans, mais son influence sur les autres peintres est à son apogée. Rombouts est l’un des innombrables artistes du nord séjournant à Rome qui ont absorbé et transmuté son art et qui, au cours des décennies suivantes, ont contribué à faire du caravagisme, avec son clair-obscur saisissant et son réalisme cru, l’un des styles dominants de l’art européen.

Peintres caravagesques Theodoor Rombouts
Theodoor Rombouts. Le Reniement de St Pierre (1620-1630).
Vienne, collection du prince de Lichtenstein

Dans le sillage du culte moderne du caravagisme, la réputation des adeptes d’Utrecht (Hendrick ter Brugghen, Dirck van Baburen et Gerrit van Honthorst) et d’autres étrangers de renom (Valentin de Boulogne, Nicolas Régnier, Matthias Stom et Adam de Coster) s’est accrue ; Rombouts, en revanche, est plutôt resté en retrait. La grande exposition sur ses peintures au musée des Beaux-Arts de Gand vise à la fois à remettre en question et à réparer ce manque de fortune critique.

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Theodoor Rombouts : Virtuose du caravagisme flamand présente le peintre de manière convaincante, même s’il ne s’agit pas nécessairement d’un caravagiste pur et dur. Il démontre son savoir-faire, mais aussi comment, à son retour à Anvers en 1620, il a réfléchi aux développements du caravagisme et à la manière de les adapter à la clientèle d’une région où Rubens régnait en maître.

Peintres caravagesques Theodoor Rombouts
Theodoor Rombouts. Allégorie des cinq sens. Vers 1632.
MSK Gand. ©Cedric Verhelst

Rombouts, fils de tailleur, a d’abord été formé par Frans van Lanckvelt, puis par Abraham Janssen, plus connu, qui avait lui-même passé plusieurs années en Italie du vivant du Caravage et dont il avait subi l’influence; Rombouts était donc dans un état d’esprit réceptif lorsqu’il entreprit son grand voyage. L’une des rares œuvres datées de son séjour à Rome est un Saint Sébastien de trois quarts (vers 1622-24) qui, tout en montrant l’influence du nouveau ténébrisme, est tout aussi redevable aux variations plus classiques d’un Guido Reni sur le sujet. À côté de ce tableau est accrochée une deuxième représentation du saint, peinte vers 1635. À cette époque, Rombouts a évolué, troquant le clair-obscur pour la couleur rubénienne et un paysage lumineux en arrière-plan.

Son tableau le plus purement caravagesque a été réalisé peu après son retour de Rome : Le Reniement de saint Pierre (vers 1625), peint sur une toile large et horizontale. Il s’agit d’une paraphrase astucieuse de La Vocation de saint Matthieu du Caravage (vers 1600), qui se trouve dans la chapelle Contarelli de Saint Louis des Français à Rome, et qui montre que Rombouts s’est essayé à ce nouveau langage pictural. Si les saints diffèrent dans les deux œuvres, les groupements, le drame narratif, la coloration, la puissance gestuelle et la séparation du divin du temporel sont très similaires.

Néanmoins, il a rapidement rejeté cette austérité au profit de grandes scènes de genre – de joueurs de cartes et de jeux de table, de compagnies joyeuses et de musiciens – inspirées des œuvres du Caravage des années 1590 et de celles de son disciple le plus dévoué, Bartolomeo Manfredi. Ces œuvres lui valent rapidement un grand succès et, en 1628, Rombouts est élu doyen de la Guilde de Saint-Luc, la guilde des peintres.

Theodoor Rombouts. Les joueurs de cartes (1627-1632)
MSK Gand. ©Cedric Verhelst

Rombouts traite ses sujets comme des scènes de théâtre ( l’une des caractéristiques au demeurant du caravagisme, en pleine période Contre-réforme où il s’agit tout à la fois de démontrer et de séduire). Les tableaux peuvent être chargés de messages moraux – sur l’ivresse et l’excès, la vanité et la mortalité – mais il cherche à divertir et à éduquer ses clients de la bourgeoisie marchande. Dans Les joueurs de tric-trac (1634), par exemple, un homme et une femme somptueusement vêtus jouent au jacquet au milieu d’une foule animée. La table est inclinée pour que l’on puisse voir l’état du plateau, le décor a les colonnes d’un portrait de Van Dyck, les vêtements de l’homme – or, rouge flamme et blanc – témoignent de la fascination de Rombouts pour les tissus, les spectateurs sont d’âges et d’expressions variés, et le regard qui unit les deux joueurs est reflété par les enfants qui se trouvent à leurs pieds. En effet, on pense que les joueurs sont des portraits de Rombouts et de sa femme, et que leur fille est l’un des enfants.

Peintres caravagesques Theodoor Rombouts
Theodoor Rombouts. Les joueurs de tric-trac.1634. Huile sur toile – 160,7 x 234,8 cm
Raleigh, North Carolina Museum of Art. ©Didier Rykner

Il se passe beaucoup de choses, mais il ne s’agit pas d’une peinture sur la duplicité, la licence et le danger inhérent – comme le sont, par exemple, Les Tricheurs du Caravage de 1594 – mais sur la curiosité, la convivialité et même la capacité à nourrir l’amitié que le jeu possédait d’après les traités de l’époque. Van Dyck, qui a réalisé des portraits pendants du peintre, de sa femme et de sa fille vers 1632, a décrit Rombouts comme un « peintre de la figure humaine » et ce tableau, comme d’autres dans le même style, traite autant de la forme humaine que de la condition humaine.

Rombouts a également utilisé cette facilité dans d’autres genres. L’exposition comprend une grande Descente de croixrichement colorée (vers 1628-30), provenant de la cathédrale Saint-Bavon de Gand, pleine de personnages richement vêtus dans une sélection de poses représentant les corps sous tous les angles, avec un Christ au milieu si pâle qu’il en est presque évanescent. Le tableau doit beaucoup à la peinture de Rubens de 1612-14 sur le même thème dans la cathédrale d’Anvers, mais alors que cette œuvre est aussi un exercice de bravoure dans le sentiment religieux, celle de Rombouts, malgré sa composition parfaite, est émotionnellement quelque peu inerte. Il n’est jamais apparu au demeurant au regard de ses contemporains comme un maître et encore moins comme un chef d’école, mais plutôt comme un bon faiseur, un artiste qui était capable de faire comme. Rombouts savait capter les spécificités des maîtres qu’il admirait, mais Rubens occupait toute la place, comment donc recueillir la lumière à côté d’un tel génie !

D’ailleurs ses contemporains ne s’y trompaient pas et dans le classement de notoriété le prix auquel était alors payé les oeuvres est un indicateur décisif. L’Allégorie des sens de Rombouts lui est payé 50 florins par son commanditaire l’évêque de Gand, tandis qu’il reçoit 96 florins pour une copie de L’arracheur de dents. Or dans le même temps Rubens perçoit pour «L’érection de la croix» de la cathédrale d’Anvers 2600 florins. Nous savons par les archives que le salaire moyen d’un apprenti maçon de l’époque était de 300 florins.

Cette Descente de croix prouve à l’évidence qu’il pouvait aussi travailler en dehors des scènes de genre, et démontre également que les œuvres plus puissantes avec un registre émotionnel plus élevé n’étaient pas son domaine de prédilection.

L’Allégorie du banc des échevins des Parchons (1627-1628) est aussi de même nature. On sent l’oeuvre de commande, l’artiste y est mal à l’aise, la composition est pour le moins disparate, tourne à la confusion des genres, maladroite, inorganisée, l’émotion romaine mal assimilée. Une oeuvre qui n’est pas à sa gloire.

Peintres caravagesques Theodoor Rombouts
Theodoor Rombouts. Allégorie des Échevins des Parchons. 1627-1628
MSK Gand. ©Cedric Verhelst

Il était nettement plus à l’aise avec un thème tel que L’arracheur de dents (vers 1625), dans lequel il pouvait combiner sans problème des portraits, des tronies (études des expressions du visage), des natures mortes et de l’action picaresque. Ce tableau, initialement attribué à Valentin de Boulogne, a connu un tel succès que l’on en connaît pas moins de huit versions.

Peintres caravagesques Theodoor Rombouts
Theodoor Rombouts. L’arracheur de dents. (circa 1620)
Musée d’art Roger Quilliot. Clermont-Ferrand

L’exposition réussit le pari de remettre en lumière un peintre tombé dans l’oubli et dont la peinture inégale reste cependant d’une bonne facture. Elle révèle également son don d’assimilation, d’inutrition dirait-on en philosophie, ce qui le rend par ailleurs difficile à classer.

Theodoor Rombouts : Virtuose du caravagisme flamand
MSK Gand. Belgique

exposition jusqu’au 23 avril 2023

Illustration de l’entête: Le Joueur de luth (1620). Philadelphia museum of Arts


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