Soyons honnête, à part quelques érudits corses ou thésards cherchant un sujet de mémoire ou de thèse, peu de personne aurait entendu parler de Charles Bonaparte si son second fils n’avait pas finit sa vie sur la minuscule île de Sainte-Hélène après avoir été Empereur des Français. Mais Napoléon a connu un destin extraordinaire (dans le sens étymologique du terme) et il est tout à fait normal d’étudier le milieu (dont fait partie son père) d’où il est issu.
Des biographies sur sa mère, la belle Lætitia (à la dentition qui fit l’émerveillement de ses contemporains) une femme « forte », veuve jeune qui su parfaitement gérer les biens familiaux, il y en a beaucoup.A contrario, rares sont celles s’intéressant à Charles, le père de famille. Est-il ici utile de préciser que celles qui existent véhiculent pour la plupart des rumeurs, des médisances, des fausses informations, datant essentiellement du début du XIXème siècle, et développées par les opposant à l’Empereur. Ainsi, à travers la figure du père on essaie de rabaisser le fils. Médisances venant aussi bien des milieux monarchistes que corses, la réussite de la famille Bonaparte ayant créé bien des jalousies. Il ne faut pas minimiser non plus les délires du colonel de Laric dans les années 1780, aveuglé par son ambition.
Michel Vergé-Franceschi, l’auteur de cette biographie qui nous intéresse, démontre sans peine à partir d’une riche documentation, avec des archives peu exploitées, la fatuité de ces détracteurs : Charles Bonaparte n’était pas soit un avare, soit un dépensier qui dilapida la fortune familiale, il suffit de voir l’état de ses affaires à son décès, il n’était pas joueur, ni un buveur invétéré. Ambitieux ? Pas plus qu’un de ses contemporains dans sa position. Soit, il était issu d’une des principales familles corses et faisait partie des notables, mais indéniablement, sa correspondance et certaines de ses maladresses sont là pour le prouver, il ne percevait pas les vraies conséquences de son appartenance à la noblesse que l’acte de « maintenue » lui accordait. Il n’a pas trahi Paoli dont il fut un proche quand il était étudiant à la nouvelle université de Corte : il a du faire un choix assez cornélien devant trancher entre des injections contraires. Il a préféré s’occuper de sa famille et pensait que l’avenir de la Corse passait par son rattachement à la France et non par sa transformation en base navale pour l’Angleterre. Contrairement aux dires des médisants, il n’a bénéficié d’aucun « passe-droit » pour obtenir sa « maintenue ». Soit, il était proche du comte de Marboeuf qui le traitait comme son fils. Les relations de ce derniers avec Lætitia ont fait fantasmer plus d’un, mais non point Michel Vergé-Franceschi qui ne croit pas à une liaison entre eux. Les faits montrent que, de fait, Marboeuf n’aida pas tant que ça la famille Bonaparte, sa lettre de recommandation pour obtenir une bourse à fin que Napoléon entre à l’école de Brienne n’est qu’une parmi tant d’autres écrite dans le cadre de ses fonctions de gouverneur de la Corse.
Non, deux autres personnes ont vraiment eu une grande influence sur Charles. Tout d’abord son oncle don Luciano, prêtre qui finira chanoine de la cathédrale, qui gère les biens de son neveu et se montre un tuteur rigide mais attentif aux intérêts du jeune homme. Prélat très libéral, il n’en demeure pas moins assez traditionnel dans sa façon de penser et d’agir. La richesse pour lui passe, en outre, par l’importance du bétail dont les chèvres. Et puis, il y a les coutumes dont celle qui consiste à procéder au mariage « a casa », c’est à dire à la maison et sans aucune publicité, mariage de deux jeunes gens dont le consentement est relativement peu pris en compte. Charles aimait une autre et il n’a strictement rien eu à dire pour son mariage avec Lætitia. Mariage prolifique (13 enfants dont 8 survivants) et équilibré. Les enfants Bonaparte, Napoléon en tête, ont toujours fait référence à l’harmonie qui régnait entre leurs parents. Don Luciano était un homme du passé, Charles, de l’avenir
L’apport le plus important qu’apporte Michel Vergé-Franceschi dans sa biographie c’est la figure de son vrai mentor Pietro Piertrasanta, le grand-père paternel de Lætitia dont le cousin germain était le représentant de la République de Gênes à Versailles. Grand notable corse, c’était l’homme sur lequel se reposait le pouvoir royal pour l’intégration de la Corse dans le royaume. Connaissant parfaitement les mentalités, les liens familiaux corses, les enjeux du rattachement de l »île à la France dont il maîtrisait parfaitement les codes, il a été le guide, le mentor de Charles, époux de sa petite-fille adorée. Sans lui, il est certain que le destin de Charles (qui a pu même représenter la noblesse corse à Versailles) aurait été tout autre et celui de sa famille aussi (et par voie de conséquence, celui de la France).
Le portrait qui se dessine à la lecture de cette biographie est celle d’un homme de son temps, quelque peu en rupture avec le passé dont les coutumes de son île. C’est un enfant du siècle des Lumières, franc-maçon, très attentif à sa famille, père aimant, croyant aux vertus de l’enseignement (même celle des filles ce qui n’était pas partagé par tous en ces temps là). Qui plus est il était un très bon gestionnaire, physiocrate se battant pour le développement de l’agriculture en général et des vers à soie en particulier. Un homme s’investissant dans la vie de la société de son époque, au niveau religieux, croyant mais sûrement pas bigot ni ultra-catholique. Un homme instruit, lucide qui perçut très vite l’impasse vers laquelle menaient les théories de Paoli pour la Corse totalement isolé dans sa « cour » de Corte.
Un honnête homme dans le sens le plus noble de cette expression et qui explique bien des façons de penser de ses enfants.
Mais cette biographie est aussi pour Michel Vergé-Franceschi l’occasion de décrire la vie quotidienne en Corse en ce milieu du XVIIIème siècle. Vous passerez ainsi de la place des femmes aux droits aux héritages, vous examinerez l’agriculture, la pêche du corail et bien d’autres sujets d’intérêt. Ce faisant, l’auteur est aussi généalogiste, ainsi nous fait-il découvrir les liens qui lient tous ces habitants entre eux. De fait, ce milieu de notables est essentiellement composé de cousins qui s’allient avant tout pour des raisons bassement matérielles car un bon mariage permettait, en plus de la dot de la mariée, de recomposer des parcelles de terre. Cela ne permettait pas obligatoirement une bonne entente ! N’oublions pas que Charles-André Pozzo di Borgo, ennemi juré de Napoléon, ambassadeur de Russie en France sous la restauration, était son cousin et que jeune, il déjeunait tous les jours chez les Bonaparte !
Une belle biographie à la hauteur des valeurs humanistes de Charles Bonaparte, un homme du siècle des Lumières.
Charles Bonaparte
Michel Vergé-Franceschi
editions Passés- Composés. 22€
Illustration de l’entête: Portrait de Charles-Marie Bonaparte par Anne-Louis Girodet-Trioson (1767-1824). Huile sur toile
218 x 138 cm. Palais Fesch, musée des beaux-arts. Ajaccio
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