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Reconstruire la charpente de Notre-Dame de Paris à l’identique, un défi ?

par Communiqué

Le 15 avril 2019, un incendie frappe la cathédrale Notre-Dame de Paris. Les dégâts sont considérables. Dès lors des questions relatives à sa restauration et à sa reconstruction se posent. Sous l’impulsion du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et du ministère de la Culture, des laboratoires de recherche, dont le laboratoire Navier, ont été sollicités pour former des groupes de travail tels que «bois et charpente» et «structure».  

Les charpentes en bois de la nef et du cœur de Notre-Dame de Paris dataient du Moyen Âge (XIIème et XIIIème siècles) et étaient parmi les plus anciennes de Paris. Celles des transepts et la flèche avaient été édifiées au XIXème siècle par Eugène Viollet-le-Duc dans le cadre d’une restauration. Suite à l’incendie et à leur destruction, les charpentes ont fait l’objet d’une attention particulière pour la faisabilité d’une reconstruction à « l’identique » et de l’utilisation du bois dit « vert », c’est-à-dire un bois non séché après l’abattage des arbres.

Que sait-on de l’utilisation du bois « vert » en construction ?

À l’heure actuelle, les constructions en bois vert sont limitées à de petites structures et sont réalisées sans note de calcul (c’est-à-dire en s’appuyant sur le savoir-faire des charpentiers). Ces réalisations à petite échelle ne présentent pas d’inconvénients majeurs, mais ne peuvent pas être transposées à de « grandes » structures qui sont plus complexes.

Dans le cadre des groupes de travail (GT) « bois et charpente » et « structure » (cliquer), des études bibliographiques [1][2] (Cliquer), ont été réalisées pour répondre à certaines interrogations sur la restauration des charpentes avec du bois de chêne (feuillu) dit vert.

Plusieurs points ont fait l’objet de discussion, par exemple pour les charpentes médiévales :

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Ainsi la surface actuelle de la forêt française est équivalente à celle du Moyen Âge et la ressource en chêne, selon des inventaires de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), est compatible avec les besoins et spécificités de la restauration des charpentes « à l’identique » (volume de bois, hauteur et diamètre des arbres, qualité du bois).

Les modes de taille des grumes diffèrent quant à leur équarrissage selon les époques. La grume correspond au tronc coupé, sans les branches et encore pourvu de l’écorce et l’équarrissage est une opération qui consiste à tailler à angle droit pour une obtenir une section carrée ou rectangulaire.

Au Moyen Âge, les charpentiers équarrissaient manuellement à la hache (appelée doloire) alors qu’actuellement les grumes sont sciées avec des machines-outils dans les scieries. Les connaissances actuelles semblent montrer que l’équarrissage manuel permettrait d’optimiser certaines propriétés mécaniques du bois. Le savoir-faire « empirique » des charpentiers de l’époque médiévale est mis en regard avec les connaissances actuelles sur le matériau bois et les techniques de conception.

Au Moyen Âge, les innovations étaient le résultat de l’expérience (retour d’expérience) alors qu’actuellement, les ingénieurs des structures s’appuient sur des normes de construction (Eurocode 5) qu’il faut cependant « adapter » dans le cas des bois « vert ». En effet, les normes actuelles de dimensionnement concernent plus spécifiquement des bois sciés et « secs » c’est-à-dire qui ont été au préalable séchés pour être proche des conditions extérieures (humidité relative et température). Pour le bois « sec » les évolutions des propriétés hydriques et mécaniques seront moins importantes au cours du temps par rapport à du bois « vert » ; les effets dans le temps peuvent donc être différents sur la tenue mécanique de la charpente.

Une fois assemblées pour réaliser la charpente, les poutres en bois « vert » vont sécher progressivement pour être en équilibre hydrique avec les conditions extérieures et voir leurs dimensions diminuer. Bien que des désordres et des fissures (dites de « retrait ») pourraient apparaître, cela n’aurait pas de conséquences notables sur les propriétés mécaniques des poutres et sur les assemblages (connexion entre deux poutres). Après reconstruction, des vérifications régulières de la charpente permettra d’entreprendre des réparations, si nécessaire, comme cela devait se faire au Moyen Âge.

Vue d’ensemble de grumes de bois de chêne à différents stades d’équarrissage avec doloire et hache de dégrossi. Les poutres équarries sont ensuite assemblées pour réaliser les charpentes. Exposition «Notre-Dame de Paris; Des bâtisseurs aux restaurateurs » 15 février 2023-Juin 2024. Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Palis de Caillot. Crédit© Sabine Caré 2023

Que sait-t-on du séchage du bois vert ?

Parmi les questions en suspens sur l’utilisation du bois « vert », les mécanismes de séchage et sa vitesse font encore l’objet de recherche. Le laboratoire Navier s’intéresse au séchage du bois vert depuis 2018 [3][4][5]. Pour ces travaux, les mécanismes ont été en particulier investigués avec des outils expérimentaux comme l’imagerie par résonance magnétique (IRM) mais aussi avec le synchrotron Soleil (ligne Anatomix, microtomographie aux rayons X).

Les études ont été réalisées sur de petits échantillons (< cm3), selon une seule direction d’anisotropie du bois (axe dit longitudinal, c’est à dire l’axe vertical de l’arbre ou de la poutre dans une charpente) qui n’est pas la direction préférentielle de séchage dans les poutres mais aussi avec d’autres essences que le chêne. En 2022, un projet [6] été initié pour mieux comprendre les mécanismes de séchage de poutres de bois de chêne vert (section de la poutre 20×20 cm2) et les relier aux dégradations possibles (fissures de retrait de séchage et désordre au niveau des assemblages). Ces travaux ont pour objectif de préciser les mécanismes de séchage en conditions réelles par rapport aux travaux précédents et de proposer à terme des modélisations du comportement de charpentes réalisées en bois vert en cours de séchage. Ces travaux pourraient aussi servir pour réaliser des diagnostics.

Les premiers résultats confirment des mécanismes de séchage similaires entre les petits échantillons et les poutres Cependant, des divergences ont été observées et les modèles proposés ne peuvent pas être transposés à l’échelle de l’utilisation des constructions en bois. En effet, ils ne prennent pas en compte les propriétés du bois qui varient dans la section d’une poutre, et qui évoluent au cours du temps. Les travaux en cours au laboratoire Navier visent à répondre à ces questions et à terme proposer des modèles prédictifs à l’échelle des poutres.

Défi relevé 

Suite à la décision, en juillet 2020, de reconstruire la charpente de la cathédrale « à l’identique », la filière « forêt-bois » s’est mobilisée à tous les niveaux. L’interprofession nationale de la filière Forêt-Bois a réalisé, en mars 2023, un film « Les racines de Notre-Dame » (cliquer) qui retrace l’investissement de la filière pour ce chantier de restauration exceptionnel.

La maîtrise d’œuvre (architectes en chef des monuments historiques) a lancé des appels d’offres à l’attention des entreprises pour la reconstruction, mais aussi pour le suivi à long terme, comme cela se fait habituellement pour tout ouvrage « exceptionnel » quel que soit le matériau utilisé. La reconstruction de la flèche doit commencer en avril 2023.

Un consortium entre la maîtrise d’ouvrage (Etablissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris) et des laboratoires du groupe de travail « structure », dont le laboratoire Navier a été mis en place en 2022 pour donner des avis scientifiques sur les appels d’offre et réaliser des travaux de recherche pour des questions en suspens qui pourraient apparaître. Dans ce cadre, le laboratoire Navier pourrait contribuer au suivi du comportement de la charpente après reconstruction en s’appuyant sur les travaux de recherche sur le séchage du bois « vert ».

Communiqué Ingénius. École des Ponts et Chaussées

[1] Alexa Dufraisse et al. Note de synthèse rédigée par le groupe de travail ‘bois et charpente’ à l’intention de la maîtrise d’œuvre, Avril 2020.

[2] Bernard Thibaut, Sabine Caré, Emmanuel Maurin, Erratum to ‘Oak beams in medieval frameworks: Constraints and advantages for restoration’ [Journal of Cultural Heritage Volume 56C (July-August 2022) 108-117], Journal of Cultural Heritage, Volume 56, 2022, Page 108, ISSN 1296-2074, https://doi.org/10.1016/j.culher.2022.06.007.

[3] Sandrine Bardet, LMGC Montpellier, Sabine Caré, Laboratoire Navier Champs sur Marne. Projet « Greenwood » accepté par le CNRS dans le cadre d’appels à projets exploratoire – premier soutien (PEPS) sur le thème « ingénierie verte » en 2018.

[4] Sabine Caré et al., « Water transfers in wood at the cell scale”, projet accepté sur la ligne Anatomix, Synchrotron Soleil, 2018. https://www.synchrotron-soleil.fr/fr/actualites/comment-le-bois-seche-t-il .

[5] Marion Cocusse et al.. Two-step diffusion in cellular hygroscopic (vascular plant-like) materials. Science Advances. Mai 2022, Vol. 8, no 19, p. eabm7830. DOI 10.1126/sciadv.abm7830. Projet avec financement du GT ‘bois et charpente’, 2021. 

[6] Projet entre le laboratoire Navier (Sabine Caré) et le laboratoire de recherche des monuments historiques LRMH (Emmanuel Maurin), dans le cadre des appels à projets « amorçage » de Paris-Est Sup, 2022-2023 . Ce travail est réalisé avec le soutien du laboratoire I2M, Bordeaux (Jean-Luc Coureau).


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Illustration de l’entête: Ferme n°7 reproduite avec des méthodes médiévales et en cours de levage avec des méthodes manuelles. Journées européennes du patrimoine, 19-20 septembre 2020 – Parvis de Notre Dame de Paris Crédit : @ Sabine Caré 2020

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