Le musée d’Orsay annonce l’acquisition de« Enfant au masque» de Jean-Léon Gérôme et «Misère» de Fernand Pelez
Si l’oeuvre de Jean-Léon Gérôme (1824-1904) est connue essentiellement à travers le prisme de l’orientalisme et que progressivement au fil du temps son nom semble désormais ressortir quelque peu du cadre étouffant où il était tombé, sa renommée semble aujourd’hui renaître. Un phénomène somme toute récurrent comme nous avons pu le décrire en préambule dans un article consacré à un tout autre et différent artiste (et sans lien d’aucune sorte) et paru voila peu dans WUKALI ( Paul-Émile Dubois, de ces peintres tombés dans l’oubli Cliquer).
Rappelons tout d’abord que Gérôme donc comme on l’appelle familièrement, fut l’élève de Paul Delaroche (Les enfants d’Edouard, çà vous dit quelque chose ?). Un peintre intéressant, et dont l’imaginaire souvent nourri d’un exotisme fantasmé, a séduit des générationsde voyageurs et d’explorateurs en chambre. Un peintre de qualité en tout cas, nourri de culture classique et très tôt remarqué par l’écrivain, poète et critique Théophile Gautier. Il fut immensément célèbre et adulé et ses peintures se trouvent dans les collections du monde entier. Un peintre bourlingueur et grand voyageur qui donnait de sa personne pour découvrir le monde. Ainsi lui qui fut Prix de Rome visita-t-il Constantinople en 1853 puis la Grèce et la Turquie.
C’est aujourd’hui un fort joli tondo (c’est à dire une peinture s’inscrivant dans un espace circulaire) représentant un charmant enfant portant un masque de théâtre et dont la face est ornée d’un étrange collier de barbe en forme de serpent et à la chevelure couleur sang, qui entre maintenant dans les collections du musée d’Orsay.
Autre acquisition, une toile de Fernand Pelez (1848-1913) intitulée Misère. Un peintre de l’entre-deux et dont la réputation empruntait au vérisme et à la critique sociale. Contemporain notamment d’Émile Zola, il s’attacha à peindre avec une vérité toute à la fois clinique et crue les enfants abandonnés de la condition ouvrière faisant de lui un héritier d’un Murillo par exemple, à un moment convient -il de le souligner où l’art espagnol en France connaissait un vif succès. Nous signalerons à cet égard que le musée du Petit-Palais présente dans ses collections un tableau de Fernand Palez, intitulé le Marchand de Violettes, et qui quant à lui représente un Poulbot effondré par la fatigue et la mendicité, et se reposant dans une encoignure de porte.
Car oui, le Paris de cette époque, derrière les élégants de Caillebotte ou les grisettes de Renoir dansant aux Tuileries ou sur les bords de Marne, c’est aussi un flot de misère, de détresse, et d’abandon en ce temps de révolution industrielle et d’ateliers de petites mains. Un temps où les nigaudes bretonnes ou d’autres provinces (pour ne pas froisser les susceptibilités), arrivant à Paris en chemin de fer, comme l’on disait alors, commençaient leur entrée dans la capitale, séduites par un loufiat qui les attendait comme des proies et leur proposait une embauche assurée pour les conduire illico dans une de ces maisons Tellier, bordels plus ou moins glauques, où la vérole triomphait des petites vertus comme de leurs clients bourgeois ou non.
C’est en musique le temps de Massenet et de Charpentier avec son magnifique opéra Louise.
Un temps d’affrontements, de luttes, de rapports de force, le passage d’une société à une autre, où les artistes par leurs plumes ou leurs pinceaux expriment avec plus ou moins de bonheur le «vérisme» qui s’observe facilement dans les quartiers populaires. Fernand Palez est de ceux-là, c’est d’ailleurs ce que lui reprocheront ses détracteurs.
N’oublions pas que peu d’années avant les Monet, Renoir, Manet et autres illustres avaient été traités avec morgue, d’ «impressionnistes», expression inventée gorgée de mépris stupide et de faiblesse sensible, artistique et sensuelle. Rapidement le temps les confondra car les« Impressionnistes» alors triompheront !
Il n’en fut cependant point de même pour Palez qui toute sa vie durant dut ferrailler contre marchands et critiques et qui, le pauvre à peine mort, fut aussitôt oublié. D’aucuns lui reprochaient un traitement des personnages quelque peu mièvre à la manière d’un Greuze par exemple, ce qui n’est pas infondé. C’est vrai qu’il avait aussi été élève de Cabanel qui malgré sa familiarité avec la Cour de Napoléon III qui lui avait acheté sa Naissance de Vénus, avait un peu une image de Philistin. « On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille» dit une chanson d’aujourd’hui. Même les autorités académiques ou les gardiens du Temple lui refusaient alors la reconnaissance et l’entrée dans les collections nationales.
Aussi cette acquisition par le musée d’Orsay rend justice à un peintre qui n’a pas démérité et valorise encore plus ses collections.
Voyons plus en détail ces deux nouvelles acquisitions
Enfant au masque est une peinture particulièrement singulière dans l’oeuvre de Jean-Léon Gérôme (1824-1904). Par bien des aspects : son sujet, l’identité du modèle, sa date exacte, son contexte de création etc., elle reste encore très énigmatique et garde un grand pouvoir de fascination. L’oeuvre représente, dans un format en tondo, le buste et le visage d’un jeune enfant, dont les yeux sont tournés vers le spectateur. Sur un fond bleu-vert foncé, l’enfant porte sur les épaules un ample vêtement vert émeraude, sur sa tête un masque brun clair avec des serpents et de longs cheveux vermillon, retenu par un fin cordon, et tient dans sa main gauche la poignée et la garde de ce qui semble être un petit glaive en bois.
Serait-ce le héros grec Persée ayant tranché la tête de la Méduse de son épée ? La chevelure rouge du masque serait-elle une référence au sang versé par le monstre au regard pétrifiant ? Plus qu’une véritable figure mythologique ou un portrait « en travesti », comme à la mode au XVIIIe siècle, Gérôme nous donne à voir plus simplement le jeu de l’enfant, qui, à partir de quelques objets, laisse libre cours à son imaginaire. La gravité du regard de jeune garçon et la simplicité de la mise en scène, le contraste entre l’expression furieuse du masque et la placidité de l’enfant, font de ce tableau une véritable méditation sur notre capacité à croire aux mythes et sur l’innocence de l’enfance.
L’oeuvre, non signée et jamais exposée du vivant de l’artiste – peut-être elle-même inachevée –, est restée longtemps confidentielle. Donné par l’artiste à Blanche Goupil, soeur de son épouse Marie, elle s’est transmise dans la famille pendant plusieurs générations avant de gagner le marché de l’art dans les années 1990. Peu exposée – si ce n’est lors de la grande exposition rétrospective Gérôme organisée par le musée d’Orsay en 2010 – et peu commentée, la toile doit encore faire l’objet de recherches, qui permettront notamment peut-être d’identifier le modèle. Il ne peut s’agir en effet du propre fils de l’artiste, Jean, né en 1865, ni même de son neveu Pierre, né en 1867.
Cette acquisition permet au musée d’Orsay d’enrichir sa collection d’oeuvres de l’artiste d’une peinture étonnante de ses débuts et d’une vision très singulière de l’héritage classique et de l’enfance au XIXe siècle.
Fernand Pelez (1848-1913) quant à lui est l’un des peintres de la fin de siècle au naturalisme social le plus affirmé. Fils d’un peintre d’ascendance espagnole aristocratique, né dans une famille de rentiers devenus désargentés, il affiche volontiers une allure de dandy soucieux de sa mise vestimentaire, qui contraste avec celle de ses sujets misérabilistes.
Il est successivement formé par son père, par Félix Barrias, et, à l’école des Beaux-Arts, par Cabanel, dans l’atelier duquel il entre en 1870. Il expose au Salon et voit ses oeuvres, aux sujets historiques, achetées par l’Etat. Peut-être dans le ressouvenir de son ascendance espagnole, l’artiste se tourne en 1880 vers des sujets sociaux, associés alors à la peinture espagnole du Siglo de oro et en particulier à Murillo ou Ribera, touchant à la misère des rues, au monde du cirque et de la danse, un changement qui ne freine pas les achats de l’Etat.
L’artiste expose au Salon tous les ans jusqu’en 1890, et à l’Exposition universelle de 1889, où il obtient une médaille d’argent. Il est fait chevalier de la légion d’honneur en 1891 et l’Etat lui passe commande en 1892 de La bouchée de pain. Parvenu au sommet de la reconnaissance officielle, il produit et expose moins ensuite, présente pour la dernière fois des oeuvres au Salon de 1896 et à l’Exposition universelle de 1900.
En décembre 1913, cinq mois après la mort de Fernand Pelez, une exposition de 76 oeuvres est organisée dans son atelier du 62, boulevard de Clichy. Le président de la République visite l’exposition, une proposition d’acquisition du fonds d’atelier est faite, mais refusée par le Comité des musées nationaux. Pelez est passé de mode. Aucun des tableaux achetés par l’Etat n’est entré au musée du Luxembourg, et n’a été retenu par l’équipe fondatrice du musée d’Orsay, qui ne compte dans ses collections aucun tableau du peintre – en dehors de la version réduite des Grimaces et Misère : les Saltimbanques, qui entrera avec la donation Hays. C’est pourquoi ce tableau permet de combler une lacune dans la représentation d’une sensibilité picturale « sociale ».
Présenté pour la première fois au Salon de 1886, Misère fait partie d’une série d’oeuvres montrant divers aspects de la misère qui touchait les enfants des rues parisiennes. Le tableau montre un garçon, pieds nus et sales, vêtu d’habits d’adulte rapiécés qui fonctionnent comme une espèce d’allégorie de la fatalité sociale (le garçon n’a pas d’enfance et il sera pauvre toute sa vie), la tête blonde des jeunes enfants soulignant par contraste le paletot d’une grande personne, et la misère de son état. Le garçon se tient droit comme au garde à vous, figé dans sa résignation, stoïque, le regard fixé devant, le chapeau bas prêt à être levé au passage d’un bourgeois, rencogné dans une embrasure d’immeuble dont la porte est elle-même poussiéreuse – le caractère inexpressif de l’attitude étant supposée susciter l’émotion du spectateur.
Pelez insère la scène dans le format allongé qu’il affectionne, un format de portrait en pied. Il joue avec les nombreuses verticales du tableau pour susciter à la fois un sentiment d’étranglement en largeur et d’étirement majestueux en hauteur. Il y déploie son réalisme minutieux et sa palette resserrée, restreinte à une gamme de bruns et de gris, qui a fait dire au critique Émile Henriot qu’il y avait « de la boue dans son pinceau« .
Le tableau a été abondamment commenté dans la presse, qui loue dans son ensemble le caractère vrai et poignant de la scène, même si certaines voix accusent le tableau de verser dans le sentimentalisme, ou d’autres, d’employer un art trop raffiné pour un sujet si frustre.
Signe de son importance, c’est un dessin coloré du petit personnage qui a été choisi pour figurer en couverture du catalogue de l’exposition posthume du peintre en 1893. Le titre du tableau y est repris, calligraphié en grande taille, comme un titre de livret qui résumerait tout son contenu, et toute la carrière de l’artiste. Un autre signe de la notoriété du tableau est la réutilisation de la figure pour une publicité des vins Mariani, avec cette phrase slogan : « Le vin Mariani est si réconfortant que l’on voudrait en voir donner à tous ces pauvres petits ».
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