Elle fut la femme-fleur, la femme de tête, la femme de caractère, la femme libre, artiste-peintre, Françoise Gilot qui fut la femme de Picasso et mère de ses enfants Claude et Paloma Picasso, vient de s’éteindre à New-York ce 6 juin à l’âge de 101 ans.
Picasso, bleu et rose, Picasso multiple certes, Picasso déconcertant, mais aussi Picasso et ses différentes femmes, ses moments d’intimité, de complicité. Sa vie créatrice s’étalonne donc aussi avec sa vie privée, sa vie intime et amoureuse avec chacune des différentes femmes de sa vie et Françoise Gillot y tiendra un rôle important.
Françoise Gilot (cliquer pour ouvrir le lien) est née à Paris en 1921, son père Emile Gilot est un homme d’affaire et sa mère Madeleine Renault-Gilot est une aquarelliste. Elle grandit à Neuilly-sur-Seine avec sa famille, enfant pour le moins précoce, elle décide à l’âge de quinze ans de devenir artiste et prend des cours de dessin. Étudiante, elle s’inscrit à la faculté de droit mais très rapidement en 1941 abandonne les cours pour la pratique artistique.
C’est une femme de caractère, c’est aussi une femme de courage. En effet, jeune étudiante à la fac de droit, elle participe le 11 novembre 1940 avec près de 4000 étudiants à un rassemblement à l’Arc de triomphe pour fleurir le tombeau du soldat inconnu à la grande rage des Allemands. Elle sera arrêtée, et signalée à la police allemande. Quelques jours plus tard, elle est informée par lettre qu’elle est maintenant prise en otage et en état d’arrestation. Son nom est ajouté à une liste tenue par l’Abwehr de jeunes otages français, qui seront arrêtés et emprisonnés en représailles pour tout soldat allemand tué par les Français pendant l’Occupation. Gilot ne peut pas quitter Paris et, en tant qu’otage, doit se présenter chaque matin à la Komandantur du commissariat local de Neuilly. En décembre de la même année elle décide de mettre fin à ses études et envisage de se lancer dans la mode.
En 1941 son père réussit à soudoyer les autorités allemandes pour que son nom soit retiré de la liste d’otages
Elle a 22 ans en 1943 quand elle rencontre Picasso qui lui est présenté par l’acteur Alain Cuny. Leur rencontre est originale et mérite d’être racontée.
Françoise Gillot est accompagnée par son amie Geneviève Laporte et avec Alain Cuny ils s’apprêtent à déjeuner au Pré Catelan. Gilot voit Pablo Picasso pour la première fois, assis à la table voisine avec un groupe d’amis : la collectionneuse, Marie-Laure de Noailles, et Dora Maar, la photographe et peintre qui a été la compagne de Picasso depuis 1936. Gilot est consciente que Picasso surveille leur table. Bientôt, il s’approche, portant un bol de cerises, suppliant son ami, Alain Cuny, de le présenter à ses deux compagnes de table. Cuny présente Geneviève comme la belle et Françoise comme l’intelligente. Picasso rit en découvrant que les deux jeunes femmes sont peintres. Gilot invite Picasso à visiter leur exposition commune à la galerie Madame Decre rue Boissy d’Anglas. Picasso invite les deux femmes à visiter son atelier 7 rue des Grands-Augustins pour voir quelques-unes de ses toiles.
Françoise Gilot s’inscrit à l’Académie Ranson, cette même école où Matisse et Vuillard avaient enseigné. A la demande de son père elle reprend ses cours en seconde année en droit et tente une nouvelle fois de passer l’examen, elle échoue à l’oral.
Tout au long de sa vie, Françoise Gilot a fermement défendu son identité et son oeuvre, et ne supportait pas de s’entendre qualifiée d' »amante de Picasso » ou d' »amie de Matisse« . Elle était très vigilante sur l’autonomie de son talent (réel) n’acceptant pas d’être considérée par quelque gente critique (au demeurant masculine et machiste), comme féale artistique de l’homme avec qui elle partageait sa vie.
En 1944, Françoise Gilot expose à la galerie Raymond Duncan. Au cours de l’été 1945, Françoise Gilot travaille exclusivement au graphite pour sa souplesse et sa profondeur. D’après les archives de Françoise Gilot, elle est passée dès la fin des années 1940 de gouaches minimalistes incisées au crayon à des peintures à l’huile sur carton, tout en conservant le même effet d’héliogravure qu’avec ses ajouts au graphite. Gilot continue de rencontrer de nombreux amis de Picasso lors de ses visites d’atelier, parmi lesquels le poète Pierre Reverdy, Jean Marais, Jean Cocteau et le photographe Brassai. Picasso emmène Gilot rencontrer Gertrude Stein et Alice B. Toklas dans leur appartement de la rue Christine. Suite à cette introduction, Françoise rencontre fréquemment Gertrude lors de ses promenades de fin de matinée le long de la rue de Buci et engage avec elle une conversation sur Picasso, Matisse et d’autres. A la fin de l’année elle s’inscrit à l’École des beaux-arts.
En 1945 en compagnie du critique d’art Louis Parrot, Gilot fréquente Jean Dubuffet dans son atelier du boulevard Raspail. Peu de temps après, Parrot présente Gilot, à un groupe d’autres peintres qui se rassemblent autour d’artistes tels que Jean Deyrolle, Nicolas de Staël, Sonia Delaunay et Brancusi, pour former le mouvement Réalités Nouvelles – dédié à l’idée de « peinture pure ». Gilot trouve d’abord stimulante cette nouvelle discipline de travail avec un souci purement abstrait. En octobre elle participe au Salon des Indépendants, mais très rapidement elle rue dans les brancards, ne supportant point les contraintes du mouvement et retrouve sa liberté de créatrice
En janvier 1946, à la suite d’une malheureuse chute où elle s’est cassé le bras, elle part se reposer accompagnée de son amie Geneviève dans le sud de la France à Golfe Juan où elle séjourne, sous la recommandation de Picasso, chez Louis Lefort, un artisan-graveur à la retraite. Elle met à profit ce temps de repos pour s’adonner à la gravure.
En février Picasso arrive à Golfe Juan, et rend visite avec elle à Matisse installé à Vence. Matisse lui déclare qu’il voudrait faire un portrait de Françoise dans lequel ses cheveux auburn deviendraient verts et son teint bleu clair, ce qui ne semble pas plaire à Picasso. En Mars, Pablo et Françoise rentrent ensemble à Paris. Picasso se fait très insistant pour qu’ils vivent ensemble dans l’atelier des Grands Augustins. Ce ne sera qu’en mai que Françoise Gilot acceptera. En juin il lui présente Georges Braque. Cette même année, Picasso fera d’elle La Femme fleur. Mais Françoise Gilot, n’est pas de ces femmes prêtes à abdiquer leur liberté, elle se cabre, elle est la femme qui dit non comme la nomme le Catalan. Ils reviennent ensemble à Golfe Juan et y rencontrent Paul Eluard et sa femme, Nusch. Picasso et Gilot travaillent ensemble à Antibes dans le même atelier.
15 mai 1947, naissance de leur premier enfant, Claude, suivie le 19 avril 1949 par Paloma. Le galeriste Daniel-Henri Kahnweiler, directeur de la galerie Louise Leiris lui offre un contrat d’exclusivité. Au fil du temps les relations entre Françoise Gilot et Picasso se détériorent et s’aigrissent, chacun développant sa production d’oeuvres.
En 1952, Daniel-Henri Kahnweiler organise une exposition autour des oeuvres de Françoise Gilot, Picasso n’assiste pas au vernissage. Les peintures, dessins, lithographies se succèdent et Françoise Gilot est approchée par des galeries new-yorkaises. Picasso a du mal à accepter la notoriété de sa compagne et en 1953 Françoise Gilot avec enfants, toiles et pinceaux, quitte définitivement Vallauris pour s’installer à Paris rue Gay-Lussac. Une certaine Jacqueline a fait son apparition auprès de Picasso
« Le monde de l’art » est petit comme « tous les mondes » d’ailleurs comme nous allons le voir. En effet en 1954 Françoise Gilot rencontre à la librairie La Hune, le lithographe et peintre Luc Simon, l’homme est célèbre et talentueux. Ils sont libres l’un et l’autre. Françoise Gilot s’est séparée de Picasso un an auparavant. Ils se marient l’année suivante et auront un enfant. Françoise Gilot expose à Paris à la galerie Coard en 1959, ce sera pour elle le début d’une reconnaissance internationale et dès lors se fera connaître aux Etats-Unis. Pour la petite histoire et je sais que vous en êtes friands, Luc Simon deviendra en 1962 l’amant de la jeune Barbara et leurs amours passionnées alimenteront les chroniques des habitués de la Rive gauche.
Tout au long des années 1960, Gilot fait la navette entre les deux continents, multipliant les occasions d’exposer ou de participer à divers ateliers de gravure. Elle passe quelque temps en Grèce pour s’imprégner des mythologies anciennes avant de revenir à ses racines, la figuration et le paysage. En 1964, Françoise Gilot publie en collaboration avec le critique d’art américain Carlton Lake ses mémoires, Vivre avec Picasso. Un Picasso intime, mis à nu, le minotaure fulmine et tente à trois reprises de bloquer la sortie du livre, en vain!
Elle fera la connaissance en 1969 du biologiste américain Jonas Salk, l’un des pionniers du vaccin contre la poliomyélite, ils se marient en 1970. C’est là que débute sa véritable installation aux Etats-Unis et elle devient titulaire de la chaire des beaux-arts à l’université de Californie du Sud.
A partir des années 70 Françoise Gilot explore l’abstraction. Sa première grande rétrospective a eu lieu à l’université Loyola Marymount de Los Angeles, en Californie, en 1979, suivie d’une autre rétrospective en 1987 au musée Picasso d’Antibes, en France. Après la mort de Salk elle s’installera à New-York
Les amours de Picasso avec Françoise Gilot furent pour le moins vives et tumultueuses. Françoise Gilot n’acceptait pas les » incartades » sentimentales de son compagnon et encore moins son égotisme démesuré, quant à Picasso il ne supportait pas le caractère indépendant de sa compagne et encore moins le succès qu’elle rencontrait. Alors après leur séparation au moment de la publication qu’elle fit de ses mémoires, le minotaure blessé dans sa chair par de pareilles banderilles utilisa toutes les actions et recours judiciaires possibles pour bloquer l’édition du livre de son ex-femme. Il la voua aux gémonies, proclamant que sans lui elle n’avait aucun talent. C’était défier le destin, cher Maître, et à ce jeu là vous eûtes tort car aujourd’hui le prix de ses oeuvres s’envolent !
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Illustration de l’entête: Françoise Gillot. Photo Images Press