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Degas à la BnF Richelieu en noir et blanc, exposition insolite à découvrir

par Suzanne Ferrières-Pestureau

Dans cette très belle exposition organisée par la BNF Richelieu, du 31 mai au 3 septembre 2023, on découvre un aspect méconnu de l’œuvre de Degas[1], plus sombre que celui des scènes familiales, des danseuses, des portraits et de l’univers des artistes de son époque, impressionnistes et Fauves qui rivalisent dans la poursuite de la lumière. 

Edgar Degas, Mélancolie, 1874, Collection Philipps, Washington, USA

Les 160 pièces présentées dans ce parcours à la fois chronologique et thématique proviennent des collections de la BNF mais aussi de prêts extérieurs. Estampes, dessins, peintures et photographies dévoilent les expérimentations du peintre à travers les motifs récurrents qui nourrissent ses recherches. Son obsession pour le noir et blanc remonte aux années 1850. Il découvre l’estampe en 1856 en copiant les gravures de Rembrandt[2], Delacroix et des maîtres anciens dont il explore la technique. 

Edgar Degas, Jeune homme assis réfléchissant d’après Rembrandt, BNF

En 1857, il réalise un autoportrait[3], celui d’une jeune-homme de 23 ans qui, quatre ans plus tôt, a renoncé aux études de droit pour se consacrer à l’art. Plusieurs autoportraits dessinés, gravés ou peints à cette époque témoignent d’un questionnement sur son image. La composition comme le rendu de ce premier autoportrait doivent beaucoup à l’influence de Rembrandt, que Degas étudie tout particulièrement lors de son séjour italien.

Edgar Degas, autoportrait, INHA,dernier etat

Il a découvert le maître de l’estampe hollandaise auprès du prince roumain Grégoire Soutzo, un ami de son père, collectionneur d’estampes.

Olécio partenaire de Wukali

À plusieurs reprises, Degas copie, par le dessin, des estampes de Rembrandt, allant jusqu’à graver, en 1857, quelques mois avant la réalisation de son autoportrait, une interprétation de l’estampe de Rembrandt L’homme assis au béret de velours. C’est encore le modèle rembranesque qui l’inspire lorsqu’il réalise le portrait de son ami le graveur Joseph Gabriel Tourny. Cette filiation rembranesque est également lisible dans le portrait gravé de sa sœur Marguerite[4].

Edgar Degas, Marguerite Degas soeur de l’artiste

Les carnets de dessins de Degas de la BnF

Edgar Degas, Danseuse, dessin sur carnet, carnet 1, 1859-1864, BNF.

Sur les trente-huit carnets de dessins laissés par Degas, René de Gas, le frère de Degas, donne au cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale, vingt-neuf carnets de dessins d’une qualité exceptionnelle que l’exposition nous permet d’admirer. Le peintre les utilise pour copier des tableaux, dessiner les paysages qu’il traverse, surprendre une attitude, une expression ou noter des idées de couleurs, de tonalités, de composition. Ces carnets remplis d’observations diverses nous permettent de suivre l’évolution de ses recherches et de comprendre quels sont les artistes qui l’ont influencé. 

Degas et l’estampe

Après une pause d’une dizaine d’années, Degas replonge avec une véritable passion dans l’estampe au point de dire à la fin de sa vie : « Si j’avais à refaire ma vie, je ne ferais que du noir et blanc ». Partageant ses expériences avec d’autres artistes, dans un esprit non conventionnel, il expérimente une diversité de techniques allant de la pointe sèche à l’aquatinte en passant par la lithographie et surtout le monotype[5] qu’il appelle « dessins faits à l’encre grasse et imprimés » sans trait gravé. 

Edgar Degas, Mademoiselle Bécat aux_Ambassadeurs

Degas avec Pissarro et Mary Cassatt

Grâce à la presse dont il dispose, il se lance dans des recherches expérimentales qui l’amènent à combiner divers procédés (eau-forte, pointe sèche, aquatinte, vernis mou) et développe une véritable « cuisine » de graveur avec la complicité de ses amis Camille Pissarro et Mary Cassatt.

Sa préférence pour le noir et blanc s’impose dès 1a première « exposition impressionniste » de 1874 où il présente, au milieu des œuvres colorées des autres exposants, une étrange grisaille, Répétition de ballet sur la scène[6]. Dans cette toile où le peintre saisit les nuances les plus délicates en jouant sur les dégradés de tons pastel et invente ce ton neutre laiteux, beaucoup de critiques de l’époque ont vu un dessin plutôt qu’une peinture. 

Edgar Degas, Répétition de ballet sur la scène, 1874, Musée d’Orsay

Emporté par sa passion pour l’estampe Degas crée, en 1879, une revue composée de gravures originales, Le jour et la nuit. « Organe de l’impressionnisme », financée par le banquier et collectionneur Ernest May et le peintre Caillebotte. Degas exécute une planche représentant Mary Cassatt au Louvre. Les peintures [7], Pissarro un Paysage sous bois[8] et Mary CassattAu théâtre. Femme à l’éventail, mais le projet avorte et la revue ne paraîtra pas.

Son goût pour les motifs ténébreux accompagnera toute la carrière de Degas. Ils hantent notamment ses toiles représentant des femmes dont certaines semblent appartenir à la tradition iconographique de la mélancolie[9]. Aux effets de lumière en plein air, du mouvement impressionniste dont il est un des membres fondateurs et animateurs des expositions de ce mouvement, Degas préfère « ce que l’on ne voit plus que dans sa mémoire» : scène d’intérieur saisie à la tombée du jour, café-concert confiné, chambre dans la pénombre, loge d’artiste ou maison close.

Edgar Degas, scène de maison close
source gallica. bnf.fr Bibliothèque nationale de France

Degas intime

Dans les années 1890, porté par la recherche d’une intimité dépouillée de tout artifice, alors que ses toiles se font « orgies de couleurs », le noir et blanc connaît un regain dans son œuvre au moment où il aborde la lithographie. L’année suivante il entreprend une série de « nus de femmes à leur toilette » qui constitue un ensemble de variations sur la vie intime de la femme : scènes de toilette, sortie de bain[10], femme s’essuyant, se coiffant, s’habillant. Mais peu de temps après des problèmes oculaires le contraignent à renoncer à ses essais et, avec la même passion « terrible » qu’il avait nourri pour la lithographie, le dessin, le fusain sur calque, il se tourne vers la photographie. 

Edgar Degas, Après le bain, vers 1891-1892, Lithographie, 1er état sur 2, Bnf, Estampes et photographie.

Réalisés le plus souvent le soir, à la lumière artificielle, chez lui ou chez ses amis, ses photographies forment des compositions énigmatiques dans des ambiances ténébreuses peuplées de figures empreintes de mélancolie. Il affectionne particulièrement les portraits de groupe à la fin des dîners ce qui lui offre l’opportunité de jouer avec les contrastes de noir et blanc et de rechercher des effets de lumière.

Ce peintre qui n’a cessé d’aller de l’avant, comme l’écrivait Pissarro, avait un grand respect pour les maîtres anciens et la volonté de s’inscrire dans la tradition tout en la réinventant. Sa prédilection pour l’ombre, le nocturne, l’indicible imprègne tout l’œuvre mais c’est avec l’estampe et la photographie que cette part d’inconnu se « révèle » à nous comme une présence.

Degas en noir et blanc, dessins, estampes, photographies
Bibliothèque Nationale de France
exposition du 31 mai au 3 septembre 2023.
Salle Richelieu, 5 rue Vivienne, 75002 Paris.

Henri Loyrette, président directeur honoraire du musée du Louvre, commissaire général.
Sylvie Aubenas, directrice du département.
Valérie Sueur-Hermel, conservatrice responsable des estampes
Flora Triebel, conservatrice responsable de la photographie du XIXe siècle.


[1] Hilaire Germain Edgar de Gas (1834-1917) dit Edgar Degas.
[2] Rembrandt, Jeune homme assis au béret de velours, 1637, eau forte, BNF, département des estampes et de la photographie.
[3] Edgar Degas, Autoportrait, 1857, Eau-forte et pointe sèche, 2e, BNF.
[4] Edgar Degas, Marguerite sœur de l’artiste 
[5] Le monotype est une peinture sur cuivre ou toute autre matière, faite avec des couleurs grasses (et surtout sans aucune superposition) … dont on tire une épreuve comme on le ferait d’une estampe.
[6] Edgar Degas, Répétition de ballet sur scène, 1874, Musée d’Orsay.
[7] Musée des Antiques.
[8] Hermitage (Pontoise)
[9] Edgar Degas, Mélancolie, 1874, Collection Philipps, Washington, U.S.A.
[10] Edgar Degas, Après le bain, vers 1891-1892, 1er état sur 2, Bnf, Estampes et photographie.

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