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Les maîtres sans dieu, dernier roman de Daniel Crozes

par Émile Cougut

Vous aviez lu Un rêve d’enfance, ce roman de Daniel Crozes et qui se déroule dans l‘Aveyron, en voici la suite: Les maîtres sans dieu. Alors nous retrouvons Marielle et son second mari Silvère Tardieu, tous les deux instituteurs qui viennent enfin, d’obtenir leur mutation dans la petite ville d’Aiguerives dans leur Aveyron natal.

Un roman dont l’action se déroule dans l’Aveyron

Ils ont deux jeunes fils Olivier et Nicolas et tous les quatre logent dans l’appartement de fonction au-dessus des deux classes. Les petits pour Marielle, les grands, dont ceux qui vont présenter le certificat d’étude, pour son mari. Ce bâtiment, a été conçu, occupé par Maximilien, le grand-père de Sylvère à l’époque héroïque des « hussards noirs de la République ». Mais nous avons beau être dans les années soixante, le concept même de laïcité est loin d’être partagé y compris par une grande partie de la population encore très chrétienne et pratiquante dans un environnement très conservateur. L’école républicaine et laïque est en vraie concurrence avec l’école catholique du canton. En outre (comme il n’y a pas cantine), certains élèves vont aussi déjeuner dans le couvent des sœurs.

Le jeune couple est vite catalogué, se sont des rouges car ils ne vont pas à l’église. Portant, ils entretiennent de très bonnes relations avec le curé local et la venue d’Amboise, le frère missionnaire au Vietnam de Marielle.

La crainte des enseignants c’est qu’avec la concurrence de l’école laïque et la désertification des campagnes, l’une des deux classes ne disparaisse. C’est une vraie lutte pour atteindre à chaque rentrée scolaire le nombre minimum d’élèves. Mais ils y parviendront quand à la fin de la décennie, de jeunes couples viennent s’installer dans le village.

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Le couple étonne, surprend la population par leurs conceptions de l’enseignement, proches de la méthode Freinet. C’est ainsi la création d’un vrai potager scolaire, d’un herbier des plantes de la commune, une journée à la mer, etc. Cela ne va pas sans qu’ils ne reçoivent les remarques de l’inspecteur d’académie (alors un vrai dieu tout puissant et qui pouvait par un simple rapport et sans appel détruire alors une carrière).

Mais ils ne se cantonnent pas à l’école, ils animent aussi la commune et créent une bibliothèque, un cinéma, du théâtre, etc., ce qui dynamise la vie du petit village et, bien sûr, fait craindre au maire que Marielle ne veuille un jour prendre sa place.

Un monde rural au coeur de la France qui se transforme

Les relations de Marielle avec sa famille sont toujours aussi tendues, essentiellement avec sa sœur aînée Thérèse, entrée en religion et qui pense sincèrement que sa sœur est condamnée aux gémonies, et avec son frère Simon avec qui les ponts son rompus. Restent Amboise et Germaine, leur mère, qui est complètement marginalisée dans la ferme familiale. C’est l’occasion pour l’auteur de montrer la transformation de l’agriculture de cette époque, les petites exploitations sont vouées à disparaître, les agriculteurs s’endettent pour acheter du matériel agricole souvent bien trop puissant pour le travail de leurs terres. Eh puis l’abandon de la culture vivrière, il est tellement plus simple d’acheter les fruits et légumes, comme le fourrage pour les animaux plutôt que de les cultiver. Hélas, parfois cela finit par un désastre !

On assiste aussi à mai 68, aux espoirs dont il fut porteur, même au fin fond de l’Aveyron, inutile de préciser que Marielle et Silvère y ont activement participé, ce qui ne fut pas sans entraîner la réprobation des plus conservateurs du village. Ils participent aussi à la lutte pour le Larzac ! Par rapport à certaines de leurs connaissances, ils sont avant tout non violents, se méfient des théoriciens qu’ils soient trotskistes, anarchistes ou maoïstes. Tous deux sont des terriens, pragmatiques, qui croient en l’éducation pour élever l’homme et pour qui la violence est un échec. Pour eux, pas de rupture brusque mais une évolution lente mais aux fondations solides. Ils se mettent dans les pas de Maximilien, tout comme après eux leur fils et une petite fille créant ainsi une chaîne d’enseignants pour qui l’instruction (et non l’éducation) est fondamentale pour vivre harmonieusement les évolutions de la société.

Ce monde disparu, que décrit Daniel Crozes, n’est pas propre qu’à l’Aveyron, on le retrouve à la même époque, dans toutes les campagnes françaises. On a du mal à imaginer l’évolution d’un monde, d’une société en moins d’un demi siècle, la France qui passe d’un ensemble rural avec un univers à des codes urbains sur fond de déchristianisation. Puis le retour, la redécouverte par ses urbains des plaisirs de la ruralité. Cette évolution est loin d’être finie, il suffit de voir aujourd’hui même les forces réactionnaires, qui sont les mêmes que dans les années soixante, et qui prennent de plus en plus de place dans l’espace public. Les descendants de Marielle et de Sylvère ont encore beaucoup d’ouvrage devant eux.

Si vous avez apprécié (ce dont je ne doute pas) Un rêve d’enfancealors, lisez la suite: Les maîtres sans dieu,  vous ne serez pas déçus mais plutôt enchantés.

Les Maîtres sans dieu
Daniel Crozes

éditions du Rouergue. 22€

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Illustration de l’entête: photo d’école 1968

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