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Les graffitis et traces des soldats russes dans les maisons saccagées et pillées d’Ukraine

par Pierre-Alain Lévy

La guerre en Ukraine affiche chaque jour son tourniquet d’images funèbres et de destructions provoquées par l’agression russe. Kiev, Kharkiv, Kherson, Marioupol font désormais partie de nos repères géographiques et historiques. Une association ukrainienne Mizhvukhamy a choisi de documenter et d’archiver les graffitis et les inscriptions laissés par les soldats de Poutine dans les rues et à l’intérieur des bâtiments qu’ils avaient occupés. Montrer, faire voir, archiver, faire vite car ces traces sont éphémères.

«Votre maison est notre maison». Sur les lambris d’une maison de Velyka Dymerka, région de Kiev. Photo Proslav.info

Anastasia Olexii est responsable de ce projet au sein de l’association, son but: collecter les photographies des graffitis et autres inscriptions que les soldats russes on laissé de leur passage, et le faire rapidement c’est le projet Wall Evidence.

«Ces écrits doivent être documentés avant que les gens ne les effacent, et il n’y a pas de temps à perdre car les gens ne veulent pas vivre à côté des traces de cette occupation qui les a traumatisés », a-t-elle déclaré dans un entretien publié dans le magazine Hyperallergic.

Sur l’écran d’un téléviseur «Venez à la maison» dans un appartement à Velyka Dymerka, région de Kiev. Photo Proslav.info

Anastasia Olexii est restée à Kiev pendant l’occupation de la région, puis elle a visité et parcouru les villages voisins dès que les Russes se sont retirés au début du mois d’avril 2022. C’est alors qu’elle et ses collègues, le fondateur de Mizhvukhamy, Pavlo Haidai, et le philosophe Oleksandr Filonenko, ont découvert les différents graffitis et ont décidé de commencer à les documenter.

Olécio partenaire de Wukali
Sur les portes d’un dressing: «Vous en avez de la chance» à Velyka Dymerka, région de Kiev. Photo Proslav.info

L’équipe de Wall Evidence a recueilli plus de 500 inscriptions lors d’expéditions dans les zones libérées en surveillant les sources ouvertes et en invitant les habitants des villes de la ligne de front à apporter leur contribution.

Parmi les données recueillies, certains thèmes et motifs prédominent : les lettres « Z» et «V», utilisées comme symboles militaires dans l’agression russe, les obscénités sur l’OTAN, les insultes lancées à Zelensky et les nombreux symboles soviétiques, tels que la faucille et le marteau, l’étoile rouge et «1941-1945» (dates de ce qu’on appelle en Russie la Grande Guerre patriotique (Великая Отечественная война) devenue dans la politique conduite par Poutine, un exercice de propagande, de manipulation politique et de négationnisme. Ah ce cher Joseph Staline, notre Petit Père des Peuples, qu’il faisait bon de vivre alors dans l’empire soviétique et communiste, heureusement Vladimir est là !

Sémantique de l’insulte

«Notre catégorie préférée est celle des excuses. Ce sont elles qui contiennent le plus de fautes de grammaire», explique Roksolana Makar, chercheuse au sein de l’équipe Wall Evidence. «En outre, ces excuses ont souvent pour but d’échapper à l’obligation de rendre des comptes.» Elle donne des exemples : «C’est la guerre, je suis désolé» ou «Désolé pour le désordre, mais ce n’est pas grave, les Américains vous aideront à nettoyer».

Croix gammée sur le mur d’une école à Kropyvnia, inscription « Gloire à la Génération !», région de Kiev. Photo Pavlo Smovzh

Cependant, avec la guerre qui fait rage, les excuses sont devenues rares. Les inscriptions récentes font plutôt appel à la fierté nationaliste et à la bravade militaire.

Certaines inscriptions font froid dans le dos, des appels à l’annihilation de l’ennemi, à la destruction totale de l’autre. Ce qu’il y a de plus laid dans l’humanité. S’agit-il là d’inscriptions sinistres de centurions au combat galvanisés par des discours conquérants somme toute abominablement banales comme il peut en exister pour toutes les guerres ? Ou alors ne peut-on y voir au delà de l’aspect dérisoire de la trace écrite la conséquence d’un discours pan-russe, un discours de panique morale, culturelle et politique, de forteresse assiégée qui ne maîtrise plus rien et n’a plus les moyens de son imperium ? En un mot, un discours hors-sol, un syndrome de fin de règne, avec la violence inhérente des mots !

Ce qui est particulièrement frappant au travers de ces graffitis, c’est que les occupants russes sont clairement conscients qu’il n’y a que trois façons pour eux de sortir de la guerre : la mort, les blessures et les «articles», c’est-à-dire la condamnation soit par un tribunal russe pour refus de combattre, désertion ou reddition, soit par un tribunal ukrainien pour crimes de guerre ou du tribunal pénal international de La Haye.

Logorrhée belliqueuse laissée par les soldats russes

« Le plus souvent, dans les localités où les Russes ont commis un nombre particulièrement élevé de crimes de guerre, les inscriptions sont associées à la glorification de la Russie et de l’armée», ajoute M. Makar. Dans un courant de propagande agressive, certaines inscriptions sont ouvertement sanguinaires, comme celle citant une chanson russe qui a été vue 1,3 million de fois sur YouTube : «Je brûlerai les villages des autres avec un sourire joyeux sur le visage», peut-on y lire.

«Pardon, c’est la guerre ! » Palissade d’une maison à Zdvyzhivka, région de Kiev. Août 2022. photo Oksana Semenik / Mizhvukhamy

Instruction des enquêtes pour crimes de guerre

Massacre de civils, Boutcha, maternité bombardée, théâtre de Marioupol détruit par un missile et tous ceux qui y avaient trouvé refuge ensevelis sous les décombres, enfants razziés, enlevés, kidnappés, immeubles d’habitation pilonnés, on ne compte plus le nombre d’exactions commises par les Russes et relevant du crime de guerre (et que dire de la destruction du barrage de Kakhovka saboté et détruit). Wall Evidence, en collectant les preuves photographiques des exactions et du saccage des habitations, se veut une ressource supplémentaire pour permettre d’identifier les soldats russes venus en Ukraine. Certaines inscriptions peuvent fournir des indications sur la géographie et la démographie des personnes enrôlées pour la guerre et permettre ainsi de révéler les numéros de brigade des soldats, ce qui facilite leur identification. Avec d’autres éléments de preuve, les données d’archives peuvent devenir un terrain substantiel pour de futures allégations de crimes de guerre.

L’équipe de Wall Evidence considère ses données avant tout comme une source de communication internationale et de recherche artistique et universitaire. L’équipe avait initialement prévu de publier les inscriptions en Europe pour faire connaître le récit que les Russes ont montré dans leur invasion de l’Ukraine.

Sur les murs d’une école à Gostomel, région de Kyiv. «Salut, pardonnez-nous! Nous avons été contraints». Photo Roman Timenko/ Mizhvukhamy

Cette guerre en Ukraine a rabattu les cartes de nos conforts intellectuels et de nos lâchetés confortables, le Covid avait naguère déjà été un avant-goût. C’est le retour du tragique, soit une irruption tonitruante dans nos zones de confort léthargiques, de nos certitudes émollientes. Le réveil est violent.

Rappelons cette réflexion d’Alexandre Soljenitsyne sur le système communiste soviétique dans L’Archipel du goulag (1973): «Nous savons qu’ils mentent. Ils savent qu’ils mentent. Ils savent que nous savons qu’ils mentent. Nous savons qu’ils savent que nous savons qu’ils mentent. Et, pourtant, ils persistent à mentir.» Quelle actualité, la Russie d’aujourd’hui a retrouvé ses démons !

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Illustration de l’entête: En russe mâtiné d’anglais : «C’était un ordre, sorri». Résidence privée à Butcha, région de Kiev. Photo Alexa Grom

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