Dans nos archives, un article initialement paru dans WUKALI le 20 avril 2020.
Épidémies et pandémies, nous les croyions rangées aux archives de l’histoire, les biologistes les étudient depuis des siècles. Nous pensions dans nos certitudes avoir ravi le feu du ciel, prométhéens, assurés d’une vie quasi immortelle. Déjà nous nous pensions au-delà, du temps comme de l’espace. Nous nous projetions dans l’éternité à des années-lumières.
Ce Coronavirus COVID 19 vient de nous plaquer au sol. Nous espérions les éblouissements, les soleils qui pavoisent, c’est la boue et la terre dans la bouche que nous trouvons. D’aucuns y verraient je ne sais quelles congruences moralisantes et religieuses, les pauvres dans leur impuissance à réfléchir et s’abandonnant à des petites lâchetés intellectuelles paralysantes !
Sans toutefois épouser ces doctrinaires métaphysiciens, dans le champ politique déjà l’on voit poindre sous couvert d’écologie ou de pseudo morale civique des remugles dont certains pourraient s’apparenter à cet irrationnel sordide en quête de victimes propitiatoires.
Nous avions oublié la mort ou plutôt nous l’avions remisée dissimulée qu’elle était dans des chambres blanches et stériles d’hôpitaux, très loin de notre quotidien. Les corbillards chers à Georges Brassens ne ponctuent plus depuis longtemps nos promenades dans les rues de nos villes; elles sont asphyxiées sous des flux dévorants d’automobiles qui nous étouffent.
Nous avions aussi oublié l’histoire, ce savoir qui permet d’établir des parallèles, de peser au trébuchet et de relativiser. Ici les épidémies où l’on meurt par centaines de milliers et par millions. Intéressant de se le rappeler !
La force de l’oubli est un carburant qui actionne nos vies éphémères. Une forme de résilience peut-être !
Pourtant elle est là la Camarde, la salope! Et il a fallu un battement d’aile de papillon en Chine pour que le tsunami de la pandémie balaie nos sociétés de par le globe.
Les grandes épidémies à travers le temps
La préhistoire
La Peste d’Athènes 430 av. J.-C
La Peste antonine
La peste de Cyprien
La Peste de Justinien
La Peste noire 1346-1353
La Peste de Cocoliztli
La Grande Peste de Londres 1665-1666
La Grande Peste de Marseille
La Peste russe 1770-1772
L’épidémie de fièvre jaune de Philadelphie. 1793
L’épidémie de grippe. 1889-1890
L’épidémie de plyomiélite de 1916
1918-1919, la Grippe espagnole
Grippe asiatique, grippe porcine, grippe de Hong Kong, Ebola, SIDA
En guise de conclusion hâtive et provisoire
Petit retour par l’histoire sur ces épidémies qui ont fracturé le temps
La préhistoire
La paléopathologie est une science qui étudie les maladies anciennes, celles qui touchent à la préhistoire. Les premiers rassemblement de populations arrivent au néolithique, l’on parle alors de civilisations proto-urbaines. La promiscuité entre hommes et animaux est de règle.
En Europe différentes cultures se côtoient et souvent disparaissent sans que l’on en puisse connaître la raison. Ainsi par exemple de la culture Cucuteni-Trypillia qui s’étendait il y a 5000 à 6800 ans des Carpates à l’Ukraine. On incrimine souvent la peste. Il en va de même en Suède où il y a quelques années l’on a découvert sur le site de Gökhem une fosse contenant 78 squelettes pêle-mêle. Des études ADN ont permis de déterminer que cette population avait été atteinte par une variante de la peste, non point bubonique mais pulmonaire.
Dans le nord-est de la Chine pareillement des chercheurs ont découvert sur le site d’Hamin Mangha une habitation datant de 5000 ans contenant 97 squelettes d’enfants, de jeunes adultes et de personnes d’âge mûr de 19 à 35 ans. Il semblerait qu’ils aient péri suite à ce que l’on nomme prudemment un cataclysme, probablement une épidémie. D’un autre site chinois, celui de Miaozigou, situé non loin de Hamin Mangha avaient aussi été exhumés des squelettes enterrés de même manière en nombre et qui semblent acréditer l’idée d’une épidémie régionale
La Peste d’Athènes 430 av. J.-C
Thucydide nous renseigne dans La guerre du Péloponnèse sur cette épidémie qui ravagea Athènes pendant l’été 430 avant notre ère et provoquera plusieurs dizaines de milliers de morts. Le temps du Siècle de Périclès vient de passer. C’est le temps de la guerre entre Athènes et Lacédémone (Sparte). . « Son récit qui englobe un rapport clinique d’une précision aigüe, ainsi que l’analyse des conséquences morales et politiques de la maladie, a pour thème conducteur le double siège qui enserre la Cité: celui de la guerre et de l’épidémie, avec la dégradation physiologique qu’il entraîne ; en contrepoint de la dégradation des âmes» ( Alice Gervais. À propos de la Peste d’Athènes : Thucydite et la littérature de l’épidémie. Bulletin de l’Association Guillaume Budé/ 1972).
La Peste antonine
Tout d’abord, il convient d’éviter une confusion d’ordre essentiellement linguistique. Pendant des siècles dans le monde grec ou latin et plus tard dans la chrétienté médiévale, il n’existe point de mots précis pour désigner la maladie qui fracasse hommes et territoires.
Selon le Dictionnaire historique de la langue française ( Dictionnaires Le Robert), à la définition du mot peste: « le mot, en français comme en latin, a longtemps été appliqué à toute maladie caractérisée par une très forte mortalité , ainsi que la peste d’Athènes (429av. J.-C), celle de Rome (165 apr. J.-C) furent peut-être des épidémies de choléra et de typhus »
La peste antonine sévit dans l’Empire romain pendant les règnes de Marc Aurèle et Commode, entre 165 et 190. Son nom est éponyme de la dynastie au pouvoir alors, celle des Antonins. Elle fut rapportée à Rome dans les décombres de l’armée romaine revenue d’une campagne militaire contre les Parthes. Il semblerait qu’il se soit agit d’une épidémie de variole. Elle fera plus de 5 millions de morts selon l’historienne anglaise April Pudsey ( Université de Manchester. Disability in Antiquity, Routledge, 2017). Cette épidémie se positionne au pic de la Pax Romana dont elle sera l’aiguillon du déclin.
La peste de Cyprien
Cette « peste » sévit sur le pourtour méditerranéen. Elle fit des ravages colossaux dans l’empire romain après 240 apr. J.-C. Elle doit son nom à Saint Cyprien, berbère converti au christianisme puis évêque de Carthage qui en décrivit les symptômes prémonitoires pour lui d’une fin apocalyptique ( De Mortalitate ).
Il pourrait s’agir de la variole ou peut-être selon les spécialistes, du Filovirus, une sorte de fièvre hémorragique de type Ebola.
La description qu’en donne Cyprien est effectvivement terrifiante: « les intestins, détendus dans un flux constant, déchargent la force corporelle; qu’un incendie provenant de la moelle fermente en blessures des fauces; que les intestins sont secoués de vomissements continus; que les yeux sont en feu avec le sang injecté; que, dans certains cas, les pieds ou certaines parties des membres sont enlevés par la contagion d’une putréfaction malade; que de la faiblesse résultant de la mutilation et de la perte du corps, soit la démarche est affaiblie, soit l’ouïe est obstruée, soit la vue assombrie… »
La Peste de Justinien
Avec cette peste qui se déploie dans l’empire byzantin (541_542), il s’agit bel et bien là de la peste telle nous la nommons aujourd’hui, pestis inguinaria ou pestis glandularia en latin. L’Empire byzantin dirigé par Justinien (482-565) est alors au sommet de sa gloire. Cette pandémie circula largement pendant des années autour du bassin méditeranéen.
On estime qu’elle tua près de 25 millions de personnes. Elle circula en empruntant les voies commerciales, nait en Égypte, atteint Constantinople qui va perdre 40% de sa population. Le mal arrive en Gaule, touche Arles, Bourges, Clermont-Ferrand, Dijon. À l’Orient aussi, aux confins du Levant, en Lybie, en Syrie, en Perse elle fait des ravages. La Peste provoque un chaos tout à la fois démographique, administratif, politique, économique, militaire et social.
S’ils ne mourraient pas tous, tous étaient frappés… Justinien lui-même en réchappe et confie à Théodose le soin de « tirer du Trésor l’argent nécessaire pour distribuer à ceux qui sont dans le besoin »
Il n’est qu’un moyen pour échapper à ce cataclysme, celui donné naguère par Hippocrate, « Pars vite et loin » résumé quelques siècles plus tard en latin sous l’acronyme CLT « Cito, longe fugeas, et tarde redeas » ou plus simplement «cito, longe, tarde ». On peut le découvrir gravé sur quelques encoignures de portes de demeures anciennes en Italie.
La Peste noire 1346-1353
Tremblez bonnes gens! Il a suffi d’un bateau accosté à Marseille pour que la peste fulmine. Elle tuera près de 40% de la population européenne, sera cataclysmique, provoquera une dilution de la société de l’époque.
On ne sait comment la contenir et soigner ceux qui en sont atteints. L’ignorance à son tour sera matrice de peurs, de haines, de massacres. La populace excitée s’en prendra aux étrangers, « à l’autre » éternelle victime, aux Juifs désignés comme auteurs maléfiques et sataniques de la contamination.
Certains historiens considèrent que cette épidémie aura eu pour effet de permettre l’avènement de la Renaissance. À l’appui de leur thèse, la raréfaction de la main d’oeuvre, la pénurie alimentaire et de matières premières, le confinement territorial qui nuit aux échanges commerciaux, ne reste plus alors que d’affrèter quelques nefs et vaisseaux et de prendre la mer pour chercher fortune vers des terres d’orient que l’on espère découvrir. Cipango d’un côté quelques siècles plus tôt célébré par Marco Polo ou l’Eldorado d’Amérique
L’épidémie de Cocoliztli
On n’a pas fini de débattre de la Conquête espagnole en Amérique. Dans le domaine de la santé, les contaminations croisées furent de règle entre les Indiens et les Conquérants ibériques.
En Amérique, ce ne sont pas moins de 12 épidémies qui au fil du temps sous le nom de fièvre de cocoliztli et dès 1520 vont sévir. Il semblerait qu’il se soit agi selon les dernières approches de la science et de l’histoire, d’une fièvre hémorragique. Des facteurs d’origine climatique, des sècheresses, ont pu être observés durant ces périodes.
Il est à noter que cette fièvre de cocoliztli impactait essentiellement les populations indiennes. Un médecin espagnol Juan Ortiz décrit ainsi le mal: envió Dios tal enfermedad sobre ellos que de quarto partes de indios que avia se llevó las tres ( Dieu a envoyé une telle maladie sur eux que trois sur quatre ont disparu). La moindre résistance biologiques des populations indiennes confrontées aux armées du roi d’Espagne et aux populations européennes exogènes conduira à la disparition des grands empires autochtones.
À la suite des conquistadors, le tréponème mâle va diffuser partout en Europe.
Le « mal espagnol » désignait la syphilis, mais de même manière il changeait de dénomination en fonction de la nation sur laquelle on voulait jeter l’opprobre…
Les Français l’appelaient le mal de Naples, les Italiens bien sûr la nommaient le mal français, « les Moscovites parlent du mal polonais, les Polonais du mal des Allemands, les Allemands du mal français – ce dernier nom recueillant en outre les suffrages des Anglais (French pox) et des Italiens (ce qui fait problème). Flamands et Hollandais disent « mal espagnol », comme les Maghrébins. Les Portugais disent « mal castillan », tandis que Japonais et populations des Indes orientales diront « mal portugais ». Seuls les Espagnols ne disent rien. Bizarre… » (Source: Le Mal de Naples-Histoire de la syphilis. Claude Quétel. éditions Seghers. 1986). Les Anglais parfois même la nommaient « le mal de Bordeaux » et je ne voudrais pas blesser l’un de nos sémillants chroniqueurs de WUKALI
La Grande Peste de Londres 1665-1666
On estime selon les chiffres de l’époque à 68.596 morts le nombre des victimes de cette peste qui se répandit dans les rues infestées de rats de Londres. Les Observations médicales du médecin de son état Thomas Syndenham, qui resta sur place pour soigner les malades tandis que le roi Charles II et sa Cour allaient se mettre à l’abri à Hampton Court, fournissent des informations documentées. La ville de Londres était repliée sur elle-même, coupée du monde. Pendant ce temps, le Grand Conseil d’Écosse ordonna la fermeture de sa frontière avec l’Angleterre.
A peine remise de cette catastrophe sanitaire, c’est le feu qui va s’emparer de la ville du dimanche 2 septembre au mercredi 5 septembre 1666 et qui va débuter dans le secteur de Baker Street… Décidément il faudra attendre plus tard, bien plus tard, Holmes, Sherlock Holmes pour redonner lustre au quartier…
La Grande Peste de Marseille
Le 25 mai 1720, le navire marchand Grand Saint Antoine accoste au port de Marseille, il vient du Levant et a fait escale dans différents pays. Il transporte des balles de coton et des étoffes de soie qui doivent être vendues à la foire de Baucaire.
Selon la réglementation de l’époque, le capitaine du bateau doit présenter à son arrivée au bureau de santé du port où il fait escale des lettres patentes justificatives. Pendant le voyage en mer, neuf décès à bord sont enregistrés, dus à une « fièvre maligne pestilencielle ». La ville de Livourne en Toscane refuse l’entrée du port au capitaine du navire. Quand il arrive enfin à Marseille, l’équipage et les passagers sont mis en quarantaine dans l’île Jarre puis à l’île de Pomègues, jusqu’à ce moment là on ne parle pas du tout de peste. Les marchandises sont débarquées.
Des mousses meurent, plus d’un mois s’est écoulé depuis l’arrivée du navire, des cas de peste sont détectés dans la ville. Des mesures prophylactiques sont ordonnées pour juguler l’épidémie qui s’installe : cadavres enterrés recouverts de chaux vive, portes et fenêtres des habitations où habitaient des pestiférés murées. La peste coule et se répand comme une encre noire sur Marseille et la Provence. Elle mettra près de deux ans à disparaître complètement. La ville de Marseille à l’époque compte 30 à 40.000 victimes sur une population globale de 90.000 habitants. Ce sera la dernière épidémie de peste en Europe.
La Peste russe 1770-1772
On ne pouvait imaginer que le grand Empire russe ne fut à son tour lui aussi touché par une épidémie de peste, déjà au mitan du 17ème siècle puis 100 ans plus tard sous le règne de Catherine II (1729-1796).
La grande Catherine nous est d’ailleurs bien connue, notamment grâce à la correspondance qu’elle entretenait avec Voltaire ( rappelons qu’elle parlait et écrivait on ne peut plus parfaitement le français). Dans une de ses nombreuses lettres avec la souveraine Voltaire écrivit ainsi le 20 novembre 1770: « On parle toujours de peste en Allemagne, on la craint, on exige partout des billets de santé, et l’on ne songe pas que si on avait aidé votre majesté à chasser cette année les Turcs de l’Europe, on aurait pour jamais chassé la peste avec eux. »
C’est qu’elle en fait des ravages la gueuse et qu’elle prend ses aises dans ce grand Empire russe. On considère qu’elle y fera près de 100.000 morts. La grande Catherine est une souveraine énergique, « éclairée » (à tel exemple, elle n’hésita pas en 1778 à se faire vacciner, le terme était tout nouveau, contre la variole).
Un de ses généraux, le lieutenant-général Christopher von Stoffeln qui combattait les Ottomans en Moldavie-Valachie avait signalé auprès de la souveraine dès le 8 janvier 1770 la situation sanitaire inquiétante qu’il observait. Malgré la réitération de trois autres lettres de même nature, la réaction impériale n’arriva que l’été venu. Les armées rencontraient un ennemi encore plus dangereux et imperceptible qui faisait des ravages dans leurs rangs.
Catherine décida: le gouverneur de Kiev reçut l’ordre d’établir une zone de confinement empêchant tout passage, les bagages des voyageurs comme leurs vêtements furent désinfectés par fumigation ou brûlés. Moscou fut mis en quarantaine, des feux de genévriers furent allumés dans chaque quartier, on n’arrivait plus à évacuer les cadavres qui jonchaient les rues et des cimetières furent ouverts par delà les murailles.
Catherine ordonna que toutes les activités productrices de Moscou quittassent la ville. Des émeutes eurent lieu, l’évêque Ambroise y trouva la mort, il fut massacré tandis qu’il encourageait les fidèles à ne pas se rassembler.
Catherine confia à son protégé le comte Grigori Grigorievitch Orlov Григорий Григорьевич Орлов, la charge de la gestion de la crise. Il mit en place une commission sanitaire composée de médecins et suivit rigoureusement leurs instructions. Sur un arc de triomphe édifié à la demande de Catherine à Tsarskoye Selo (Екатерининский дворец), on peut lire l’inscription suivante gravée dans la pierre : « Orlov a sauvé Moscou du malheur »( Орловым от беды избавлена Москва!)
L’épidémie de fièvre jaune de Philadelphie. 1793
L’Amérique alors est une toute jeune nation quand éclate une épidémie de fièvre jaune dans la ville de Philadelphie en 1793. Philadelphie ( nom qui signifie « amitié fraternelle » en grec) sert alors de capitale. L’été avait été très chaud et humide, la ville était infestée de moustiques venus des marais aux alentours, l’épidémie fit près de 5000 victimes sur une population globale de 50.000 habitants.
Toute activité cessa, c’est l’effroi, le nombre d’orphelins explose, on quitte la ville comme l’on peut, tout le monde comme les autorités, Thomas Jefferson, George Washington.
On dit aussi que la maladie serait arrivée dans la ville transmise par des réfugiés venant de l’ile française de Saint Domingue et fuyant la Révolution. On fait appel massivement à la population noire pour remplacer les personnels défaillants, estimant alors qu’ils étaient naturellement résistants contre la maladie. Ils servent comme charretiers, soignants, fabricants de cercueils, fossoyeurs.
L’épidémie de grippe de 1889-1890
Commodité lexicale oblige, chaque épidémie se voit attribuer un nom, cette épidémie de fin de siècle est ainsi nommée l’épidémie de Grippe russe. On estime qu’elle fera de par le monde près d’un million de victimes. Elle se développera à grande vitesse dans le temps tout comme dans l’espace du fait de la multiplication des nouveaux moyens de transport tel le chemin de fer. Son foyer originel est localisé en Sibérie. Tous les continents sont impactés, après l’Europe, c’est l’Amérique avec les États-Unis, puis l’Australie et la Nouvelle-Zélande, en Afrique on l’appelle « la maladie de l’homme blanc ».
L’épidémie de poliomyélite de 1916
Ce n’est pas la première fois que cette maladie alors jusque là largement inconnue et mal identifiée frappe. On en parle alors sous le nom de maladie de Heine, elle touche très durement les enfants.
C’est à New York durant l’été 1916 qu’elle va sévir. Les hôpitaux seront rapidement débordés, des enfants souffrant de problèmes respiratoires sont transportés d’urgence dans les services de soins, beaucoup décèdent. C’est la panique qui s’installe. Se crée un climat délétère, on cloue au pilori la communauté italienne de la ville que l’on accuse d’être responsable. Une fois encore on s’en prend à « l’autre », le maléfique, le coupable. La magie dans les têtes devient science pour les ânes, c’est le temps de l’absurde, de l’inepte, il faut trouver contre toute raison celui, celle, l’objet qui est responsable, c’est du n’importe quoi !
On incrimine les livres ( ce n’est pas nouveau et cela se reproduira 20 ans après en Allemagne), mais aussi des aliments, le lait, le sucre, les myrtilles. Les chats aussi subissent l’holocauste, près de 40.000 d’entre eux seront estourbis !
1918-1919 la Grippe espagnole
Plus d’un siècle s’est écoulé et elle est pourtant dans toutes nos têtes. Elle aurait fait selon l’Institut Pasteur entre 20 et 50 millions de morts dans le monde entier, soit nettement plus que la Première Guerre mondiale ne fit de victimes, (d’autres épidémiologistes avancent jusqu’à 100 millions de morts!).
A l’inverse de ce que l’on serait tenté de croire à l’énoncé de son nom, elle n’est nullement d’origine espagnole. Elle doit son appellation du fait qu’au moment où elle apparut en Europe, la guerre faisait rage, que la censure veillait quels que fussent les camps, et que l’Espagne pays neutre, fut le seul pays à l’évoquer dans ses journaux et à rendre compte de l’évolution de la pandémie.
On en sait davantage sur elle aujourd’hui. L’on a longtemps cru qu’il s’agissait d’une grippe de type aviaire de souche H1N1, très vraisembablement née en Chine et ayant transité aux États-Unis avant d’impacter l’Europe avec l’arrivée des soldats américains. Elle toucha essentiellement la classe d’âge entre 15 et 34 ans. Près d’un milliard d’être humains ont été infectés entre mars 1918 et mars 1919. Rien qu’en France elle fit près de 400.000 morts. Guillaume Apollinaire en est mort, d’autres personnalités célèbres, Edmond Rostand ou le peintre Egon Schiele
Que savons nous de ce virus de la Grippe espagnole. Un remarquable article a été publié aux États-Unis par le CDC (Cliquer) sur le sujet. Nous ne saurions trop recommander de le lire. Mille fois plus passionnant qu’un excellent roman policier, palpitant ! En voici une synthèse
Brevig Mission est un petit village de l’Alaska de 80 habitants. Du 15 au 20 novembre 1918 l’épidémie de grippe espagnole s’abat sur le hameau, 72 morts… Les cadavres seront enfouis dans une fosse commune creusée dans la terre dont la température ne dépasse jamais plus de 0°, le permafrost.
En 1951 un microbiologiste suédois, Johan Hultin, en thèse de doctorat à l’université de l’Iowa a vent de l’information. Les corps des habitants de ce petit village victimes de la grippe espagnole sont inhumés dans une terre gelée. Peut-être serait-il possible de récupérer des traces biologiques pour étudier le virus. Après un voyage chaotique et plus fort que celui de Phileas Fogg, il réussit à obtenir ce qu’il était venu chercher. Hélas sa recherche n’aboutira pas, les avancées scientifiques n’étaient pas encore là pour le permettre…
Du temps passe…1997.
Jeffery Taubenberger est un jeune chercheur en pathologie moléculaire, il vient de publier dans le journal SCIENCE un article où il résume ses travaux. Son équipe a séquencé neuf fragments d’un ribovirus récupéré sur le corps d’un jeune soldat mort de la grippe espagnole et enterré à Fort Jackson en Caroline du Sud.
Johan Hultin découvre l’information, prend aussitôt contact avec Jeffery Taubenberger, lui parle de Brevig Mission et des corps conservés dans le permafrost. Les deux scientifiques sont sur la même longueur d’onde et décident de partir pour l’Alaska. Ils obtiennent l’accord du conseil municipal du hameau pour investiguer sur la fosse mortuaire marquée par des croix. Johan Hultin a alors 72 ans !
A 7 pieds de profondeur ils exhument le corps d’une femme inuit qu’ils nomment « Lucy », ils apprennent qu’elle était obèse et qu’elle avait une vingtaine d’années. Ses poumons sont demeurés en parfait état. Dix jours après à l’Institut de pathologie des Forces armées où travaille Jeffry Taubenberger, la nouvelle tombe: le matériel génétique viral du virus de 1918 est en bon état !
Deux ans plus tard une publication est faite. On apprend ainsi que les prémices de l’infection ont débuté entre 1900 et 1915. Le virus est plus probalament à trouver chez l’homme et les mammifères que de type aviaire seul. La recherche porte aussi principalement sur les protéines de surface HA du virus. En 2000 d’autres travaux sont publiés. L’intégrité du séquençage génétique du virus NA est obtenu. Une analyse phylogénétique (branche de la génétique traitant des modifications génétiques au sein des espèces animales ou végétales) permet alors de déterminer que le gène NA du virus était localisé entre mammifères et oiseaux et qu’il n’aurait contaminé pleinenement les mammifères qu’en 1918, moment où la pandémie prend forme. Les chercheurs ne réussissent cependant pas à déterminer quelles furent les voies de passage d’une contamination aviaire à une contamination vers l’homme.
La suite des travaux autour de ce virus et sa reconstruction en laboratoire pourrait s’apparenter à un récit d’espionnage voire de science-fiction pour quiconque non familier de l’univers de la biologie.
Grippe asiatique, grippe porcine, grippe de Hong Kong, Ebola, SIDA
Les premières cas de l’épidemie de grippe asiatique A (H2N2) qui frappa le monde en 1957 et 1958 furent reportés à Singapour et Hong Kong. On estime qu’elle fit plus d’1,1million de victimes. D’autres épidémies de grande magnitude survinrent par la suite, grippe porcine et grippe de Hong Kong (1968), Sras.
Ebola est d’une autre nature. Il s’agit principalement d’une fièvre hémorragique. Le taux de létalité se situe entre 30 et 90% et le virus peut contaminer aussi bien les humains que les primates. Elle doit son nom au fleuve Ebola en République Populaire du Congo où elle fut découverte en 1976
L’hôte réservoir naturel du virus Ebola reste inconnu. Cependant, sur la base de preuves et de la nature de virus similaires, les chercheurs pensent que le virus est d’origine animale et que les chauves-souris sont le réservoir le plus probable. Quatre des cinq souches virales surviennent chez un hôte animal originaire d’Afrique. L’Institut Pasteur à Paris et l’Institut Pasteur de Dakar sont en première ligne face à l’épidémie de fièvre hémorragique due au virus Ebola qui sévit actuellement au sud-est de la Guinée
« Le réservoir naturel du virus serait la chauve-souris. Le virus Ebola a été découvert en 1976, lors des deux flambées épidémiques au Soudan et en République démocratique du Congo. Depuis, une vingtaine de flambées épidémiques sont apparues en Afrique Centrale. En décembre 2013, le virus a atteint l’Afrique de l’Ouest, région qui était jusqu’alors épargnée par la maladie. En 2014, il provoque la plus grande épidémie connue jusqu’à présent. L’enjeu des recherches actuelles est donc de mettre au point un vaccin, des traitements et des outils diagnostiques pour le traitement et le dépistage de la maladie. » (Source: Institut Pasteur).
Le SIDA
Syndrome immuno déficitaire acquis (AIDS en anglais). Découvert en Haiti, puis aux USA au début des années 80, il a essaimé de par le monde et répandu l’effroi dans les populations qu’il infectait. Le singe vert est le porteur naturel du virus du sida. On ignore comment il est passé de l’animal à l’homme. Le Sida crée une immuno déficience qui affaiblit le patient. Il se transmet par voies sexuelles, par contact direct avec du sang, pendant la grossesse, l’accouchement ou l’allaitement.
En guise de conclusion hâtive et provisoire…
Nous voici enfin arrivés au terme d’un long voyage, il en est de plus plaisants je vous l’accorde bien volontiers… Nous avons franchi frontières, espaces de temps et territoires un peu à la manière de Sirius. Il s’agit d’une approche historique, nous l’avons voulue la plus complète. Ce n’est pas une liste exhaustive des épidémies loin de là. De nombreuses autres épidémies ne sont pas référencées et notre choix est subjectif.
Ces évocations, outre l’information d’ordre historique et partant culturel, permettront peut-être de nous distancier de l’évément tragique qui nous percute avec le Coronavirus COVID 19 et si notre article tend à cela, ce sera déjà bien!
– Illustration de l’entête / Infirmières et médecins se protégeant contre la grippe espagnole. Avril 1919 © Archives d’état de la Nouvelle-Galles du Sud, Australie. NRS4481_ST6679
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Article initialement publié dans WUKALI le 30 avril 2020