Accueil Livres, Arts, ScènesHistoire Ex-patrie de Luna Vicentino, histoire vécue du fascisme en Italie

Ex-patrie de Luna Vicentino, histoire vécue du fascisme en Italie

par Émile Cougut

J’ai lu Ex-patrie de Luna Vicentino, et avant de me mettre derrière mon ordinateur pour en faire la critique, je ne m’en suis pas totalement senti « légitime ». Non à cause du style ou de l’histoire de la psychologie des personnages, mais plus exactement à cause du thème : était-il « réaliste », correspond-il à des faits « historiques » ? Vu mes origines du Sud-ouest, si je suis assez « calé » au niveau de l’exil des républicains espagnols après la guerre civile, je le suis moins sur ce qui a trait à l’histoire de l’Italie. 

Alors j’ai prêté ce livre à un ami d’origine italienne qui non seulement est un lecteur mais aussi un connaisseur de l’histoire du pays de ses ancêtres pour qu’il me fasse part de ses réflexions. En effet, il a vécu son enfance nourri par les récits de ses grands-parents ou de ses parents contraints à l’exil et à fuir l’ Italie et les chemises noires du fascisme (mais aussi pour fuir la misère). Il l’a lu, et il fut très ému tant cette histoire a résonné en lui, tant elle a suscité des images que ces récits chargés de vécu lui avaient laissées.

Ainsi légitimé, je peux sereinement procéder à ma recension critique sans craindre les foudres des franco-italiens criant à l’imposture historique, encore que je ne suis pas certain de les éviter puisqu’il s’agit d’une fiction et non d’une biographie, ipso-facto elle ne correspond pas exactement au vécu familial de tout un chacun. De plus, je crains que d’aucuns n’acceptent calmement le fait que certains extrémistes de gauche (essentiellement communistes) finissent par rejoindre allègrement les fascistes (et parfois dénoncent leurs anciens camarades), et pourtant ! Ou par ailleurs que certains personnages puissent se poser la question des différences entre la réforme agraire prônée par les communistes (n’oublions surtout pas qu’à cette époque ils sont staliniens) et celle initiée par Mussolini tant à première vue, elles ont de points communs. Mais ceux qui se posent ce genre de question (dans le roman), qui déplorent cet état de fait, sont des paysans sans véritables éducation ni culture politique, si ce n’est celle distillée par un orateur au charisme certain, rencontré plus ou moins par hasard, et qui savait les faire rêver à des jours meilleurs les sortant ainsi de la fatalité de la misère à laquelle ils sont voués depuis leur naissance qui leur a donné une place se voulant immuable dans la société.

Donc voilà une saga familiale, celle de la famille Sciotti : Vittorio, le père, bûcheron de métier, est revenu de la grande guerre gazé avec un poumon très fragile. Il ne peut plus travailler et ce sont ses deux fils aînés, Gino le « beau gosse » et Severo, le rêveur, qui  travaillent pour faire survivre la famille.

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La mère Félicia, subit, essaie de nourrir sa progéniture comme elle peut : Anna, la malade, Aïda, qui rêve d’être chanteuse et qui surtout veut vivre librement, d’où les bâtards qu’elle a ramenés au foyer, et Lena et Felia qui veut être ouvrière pour avoir un revenu fixe. Alors, quand le travail vient à manquer, la misère devient pire. Espérant trouver du travail pour tous, Vittorio part, sans rien dire, à Gênes. Mais c’est la grève sur les docks, il est recueilli par des communistes et finit, après une bagarre avec les milices fascistes, par se retrouver dans un bateau pour les Amériques.

Au pays, la famille vit grâce au travail de tous, les deux aînés ayant trouvé du travail comme journaliers. Mais dans les campagnes aussi, les troubles sont importants : le gouvernement n’a pas tenu ses promesses pour une vraie réforme agraire, et les plus miséreux qui espéraient que leur sacrifice durant la guerre serait récompensé veulent prendre ce qui leur est du par la force. Mais les propriétaires font alors appel aux milices fascistes : climat de violence, à la limite de la guerre civile. Aida se laisse séduire par un des chefs des chemises noires et tombe dans une déchéance qui finira par lui être fatale.

Et puis, la sœur de Félicia décède. Elle aide son beau-frère et finit par tomber enceinte. Face à la violence et devant un avenir particulièrement obscure, la famille recomposée décide de partir, de s’exiler en France. Après une vraie Odyssée, elle se retrouve à Menton, qui est devenu une vraie ville italienne et chacun peut vivre décemment de son travail. La France pour eux est devenue leur nouveau pays, d’ailleurs les jumeaux de Félicia sont nés à leur arrivée à Menton et sont donc français.

Mais l’arrivée des fascistes au pouvoir, les pousse à partir plus loin, en Auvergne : la peur de les voir revendiquer l’ancien comtat niçois.

Et en plus Vittorio réapparaît mais finit par comprendre que sa place n’est plus avec son ancienne famille.

Cette histoire, combien de nos compatriotes d’origine italienne l’ont vécue : la misère, la violence, la fuite non par lâcheté mais pour survivre et vivre, tout simplement ! Oh, l’intégration en France fut loin d’être facile, bien éloignée en vérité du mythe véhiculé par certains, mais elle fut quand même globalement réussie. Bon, parfois, on frisotte la caricature : ainsi l’amant d’Aida est un pervers violent, mais c’est du au fait que son père a été fusillé comme déserteur et qu’il veut laver cette tache. En revanche, la violence, ses causes, ses conséquences, sont particulièrement bien étudiées, ce qui rend le déroulé de l’histoire comme les réactions de chacun des personnages totalement réalistes et vivants.

Ce roman, cette saga qui plonge ses racines dans l’histoire de ce cruel vingtième siècle, avec toutes ses conséquences directes ou indirectes, c’est aussi, bien au-delà de l’Italie, une partie de notre propre histoire, avec toutes ses horreurs mais également toutes ses joies.

Ex-patrie
Luna Vicentino

éditions L’Harmattan. 24€

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Illustration de l’entête: Mussolini en compagnie de Chemise noires lors de la marche sur Rome en 1922. Photo Wikimédia Commons colorisée

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