Soirée des Grands maîtres
Fauré, Debussy, Chopin
Le programme est réjouissant. Đặng Thái Sơn, grand artiste canadien né au Vietnam, habille la musique française de ses plus belles couleurs.
Nous, c’est la première fois que nous le découvrons en concert. On aurait aimé l’écouter plus tôt, mais il faut dire que Đặng Thái Sơn ne vient pas souvent jouer en France. Son élève, Bruce Liu, jeune canadien aux origines chinoises, a été ovationné à la Roque d’Anthéron le 30 juillet dernier dans un récital Rossini Chopin et c’est justement Chopin qui résonnera le plus dans le parc du Château, lors de cette soirée superbe du 11 août.
Fauré pour débuter la soirée : Nocturne en mi bémol mineur opus 33 n°1 (il y en existe 13). Une musique ancrée dans le romantisme et qui présente pourtant une esthétique très moderne. Nous aimons autant ce nocturne que la Barcarolle n° 1 op 26 qui suit. On apprécie la couleur abstraite de cette musique, son côté intimiste aussi. La Barcarolle n°1 (là encore, Fauré en composera 13 ) vraiment superbe n’est pas sans évoquer Chopin ; il y a de la passion et ce style à la fois romantique, folklorique et mélancolique nous séduit sous les doigts du pianiste inspiré. On admire ses figures pianistiques toute en légèreté. Ses doigts semblent voler au-dessus du clavier, il frôle les touches, les caresse et l’on s’étonne de cette poupée qui orne son petit doigt droit, et qui ne semble pas l’importuner outre mesure. Đặng Thái Sơn nous livre cette douceur avec retenue et sans affect. Le pianiste a un style reconnaissable, assurément, une petite touche asiatique dans sa retenue et sa pudeur. Son toucher est soigné mais jamais maniéré. Il va à l’essentiel.
Avec Debussy et Deux Arabesques, on reste dans l’élégance et le raffinement de cette musique qui esquisse des images. Déjà, le mot même « arabesque » est superbe et évocateur, et l’émotion dans cette partition de Debussy est tout aussi visuelle que sonore grâce aux sons qui jaillissent littéralement du piano. C’est limpide, fluide, la musique comme une évidence.
Images livre 1 on aime ces accords de jazz dans ces pièces. Hommage à Rameau est l’une des plus belles à nos yeux. Il en est d’autres superbes, comme Cloches à travers les feuilles, ou encore Et la lune descend sur le temple qui fut et enfin Poisson d’or. Toutes demandent une certaine simplicité du style que Đặng Thái Sơn respecte parfaitement.
Délicatesse des nuances, sens des plans sonores, voilà des pièces qui nous paraissent difficiles à interpréter. Peut-être moins compliquées techniquement mais sûrement pas émotionnellement. Elles sont si mystérieuses, étranges, mystiques qu’il nous faut imaginer beaucoup, se laisser partir à leur écoute, suivre cette ligne mélodique douce qui se prolonge à l’infini.
Un Chopin tourbillonnant et virtuose
Le programme est riche : Chopin après l’entracte avec trois valses parmi les plus connues : la Valse en fa mineur opus 70 n°2, la Valse en la mineur opus posthume et la Valse en la bémol majeur opus 34 n°1.
Pour qui aime les valses, on est aux anges. Tout le charme nostalgique se déploie dans la première, on est sensible au mystère et au raffinement de la seconde, mais on préfère la dernière, certes lente et triste, car cette longue valse est l’expression même du rêve et de la poésie. On ne quitte pas des yeux ses mains, notamment la main gauche du pianiste que nous avons le bonheur de voir et d’entendre, elle livre des graves magiques. Les doigts du pianiste, toujours avec la mystérieuse poupée, ne semblent pas être mis à l’épreuve avec la Tarantelle et les Mazurkas. Des danses polonaises aux mélodies très nobles, une écriture pour le piano remarquable qui convient parfaitement à Đặng Thái Sơn. Le pianiste traduit cette grande diversité de rythmes et d’impressions autour de thèmes audacieux. Les doigts de Đặng Thái Sơn livrent le meilleur avec un sacré panache. Exit la grande retenue.
Excellents Chopin / Đặng Thái Sơn dans cette Polonaise en la bémol majeur opus 53 “Héroïque”, l’un des chefs d’œuvre du compositeur polonais. Cette pièce exige une grande virtuosité de la part de son interprète. Đặng Thái Sơn a été applaudi chaleureusement, 13 fois, pour chacune des 13 pièces interprétées. Il ne laisse rien paraître. Il sourit vaguement. Il reste dans sa musique et s’éclipse dans les « coulisses ». Il reviendra pour un seul bis, mais quel bis ! Il s’agit d’une Mazurka n°13 en la mineur op. 17 n°4, sans doute la plus ambitieuse entre toutes. Đặng Thái Sơn nous touche par le désespoir qui émane de ces pages, une ambiance mélancolique si intense d’où l’on repart tout chaviré.
Programme du récital de Đặng Thái Sơn
Vendredi 11 août à 21h00
Fauré : Nocturne en mi bémol mineur opus 33 n°1
Fauré : Barcarolle n°1 en la mineur opus 26
Debussy : Deux Arabesques
Debussy : Images, Livres I et II
Chopin : Valse en fa mineur opus 70 n°2
Chopin : Valse en la mineur opus posthume
Chopin : Valse en la bémol majeur opus 34 n°1
Chopin : Trois Écossaises opus 72 n°3
Chopin : Tarantelle en la bémol majeur opus 43
Chopin : Mazurka en la mineur opus 17 n°4
Chopin : Mazurka en ut dièse mineur opus 50 n°3
Chopin : Rondo à la Mazur opus 5
Chopin : Polonaise en la bémol majeur opus 53 “Héroïque”
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