La musique est une fête, et Metz est musique. Ce vendredi 15 septembre 2023, un public impressionnant se déploie dans le hall de L’ARSENAL, c’est soirée de rentrée de saison, la salle est comble, pleine à craquer, jusqu’au Paradis, quant au public il épouse tous les degrés des âges, et cela c’est vraiment un bonheur. On est venu de loin d’ailleurs, on y entend parler luxembourgeois, allemand, anglais aussi et d’autres langues et nous aimons cette Europe là de la culture. Il fait chaud, très chaud, l’été se prolonge encore, même en Lorraine, et dans la salle le public est impatient, il sera récompensé ! Le concert est retransmis sur Radio Classique.
Au programme avec l’Orchestre National de Metz dirigé par David Reiland, son chef, le concerto pour hautbois de Richard Strauss avec pour soliste François Leleux, et en deuxième partie la Symphonie n°1 de Gustav Mahler, «Titan», et qui mérite bien son nom
Ce concerto, composé en 1945 est l’une des dernières oeuvres du compositeur allemand. Reclus dans sa propriété de Garmisch-Partenkirchen, il ne veut plus composer, il est l’ombre de lui-même. Il fait l’objet d’une mise à l’écart. Ses prises de position favorables à Hitler et au nazisme dès le début des années 30 ont laissé des traces. Il croyait naïvement que son aura de grand musicien installé, au firmament de sa gloire, lui permettrait de dominer la machine de propagande culturelle mise en place par Goebbels et Goering, il se trompa lourdement et fut cassé par le pouvoir, mais le mal était fait, il s’en mordra les doigts. D’autres musiciens eurent plus de courage, de conscience politique et de force d’âme. On ne déjeune pas impunément avec le Diable, même avec une longue cuillère…
L’ hautboïste américain John de Lancie de l’orchestre de Pittsburg s’était engagé pour faire la guerre en Europe. Caporal dans l’armée US, il était chargé de la sécurité dans la zone de Garmisch-Partenkirchen en Bavière où Richard Strauss possédait une maison. Il demanda à le rencontrer car il l’admirait beaucoup. Il avait sollicité le maître pour que ce dernier écrive un concerto pour son instrument, mais le compositeur balaya alors sa requête. Quelle ne fut pas sa surprise quelques mois plus tard quand il sut que Richard Strauss avait finalement écrit ce concerto pour hautbois. Une de ses toutes dernières oeuvres d’ailleurs. Richard Strauss mourut en septembre 1948.
Un concerto testament, un concerto citation, comme un patchwork, une réminiscence lyrique des oeuvres antérieures du maître.
D’entrée de jeu François Leleux prend l’ascendant dès la troisième mesure avec un son cristallin, fluide et d’une très grande pureté, d’une belle transparence. L’oeuvre est joyeuse, presque frivole. François Leleux est un très grand instrumentiste, un musicien élégant et virtuose au jeu raffiné et comme tous ces immenses instrumentistes des bois ( et je pense à Emmanuel Pahud pour la flûte par exemple) son souffle est puissant, homogène et parfaitement contenu, avec une aisance naturelle qui laisse pantois. Un son parfait qui semble facile (qui semble seulement), un diapason fidèle, une liberté folâtre et guillerette. L’orchestre dirigé par David Reiland, est tout de souplesse, et offre son écrin au soliste. Le public ne s’y trompe pas, c’est une ovation comme il n’y en a guère qui salue la performance de l’hauboïste, public debout, hourras et applaudissements nourris, quatre ou cinq rappels suivis d’un bis ( quand on aime on ne compte plus !)
La Symphonie n°1 Titan de Gustav Mahler
Au retour du public après l’entracte, le dispositif orchestral a changé, c’est un orchestre puissant qui s’installe, les phalanges instrumentales sections par sections ont été renforcées, cordes, bois, cuivres, une harpe, un plateau percussion avec de nombreux types de timbales. David Reiland en sera le grand démiurge.
La Symphonie n°1 est composée au début de l’année 1888 à Leipzig puis jouée pour la première fois à Budapest l’année suivante, cependant le public n’est pas réceptif. Mahler alors a 24 ans, il reprend sa partition, en modifie certains passages et finalement la parution aboutie est éditée en 1899.
Pour un public aux oreilles jusqu’alors habituées à la musique romantique, la symphonie en effet a de quoi surprendre. Mahler veut rendre compte de «l’éveil de la nature au début de l’aube» avec fanfares de trompettes dans le lointain et cor anglais plaintif.
David Reiland seul face à ses musiciens, capitaine, maître d’équipage avant la tempête, seul. De longues secondes dans un silence recueilli; les musiciens, tous sont figés, le temps semble long. Les bras du maestro s’écartent, lentement…
D’abord les violons comme un thrène, puis les bassons, clarinettes et hautbois, et c’est une cavalcade furtive qui se dessine et s’estompe. Trompettes dans le lointain, chant d’un coucou, puis les cors se font entendre quand s’invite dans le paysage sonore un chant de paysans. Des images se confondent, des airs et des mélodies se répondent dans une atmosphère joyeuse et bucolique. L’orchestre donne sa mesure et la palette musicale s’enrichit. Le troisième mouvement débute avec le timbalier, puis sonne un «Frère Jacques» grimaçant comme une procession funèbre et carnavalesque, valse triste comme une projection de film au ralenti. David Reiland maîtrise et tient l’orchestre qui offre toute sa puissance, toute sa vibration, tout le rougeoiement de sa chair offerte et mise à nue. La couleur sonore est superbe et les lambris de l’Arsenal renvoient dans une acoustique parfaite toutes ces harmonies. C’est tout simplement beau.
Arrive le quatrième mouvement. Tempête des violons et des cuivres, le timbalier, Zeus dans l’Olympe, frappe de ses mailloches. Scansion des violons et de toutes les autres cordes, David Reiland est là, au milieu de ses musiciens et dirige, conduit la mesure, lance les attaques, calme les uns, apaise pour mieux stimuler les autres, mais toujours sobre dans le maintien, le geste précis et aussitôt obéi. Une harmonie infinie, une puissance maîtrisée, un rythme vif, les trompettes sonnent, les contrastes alternent, le hautbois répond aux violons, charme et poésie confondus, grand calme, apaisement. Puis tout se réveille les violons d’abord, les vents comme les cuivres ensuite: trompettes, euphonium, cors ou trombones. La tempête tonitruante s’approche et gronde, le ciel devient noir, et zèbrent les éclairs et les trompettes ! L’orchestre comme un feu d’artifice explose de musique diaprée. Apothéose, TITAN, tu es là !
L’Arsenal debout, enthousiaste, métamorphosé, sublimé, heureux !
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