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Théophile-Alexandre Steinlen artiste emblématique de Montmartre au musée de Montmartre

par Pierre-Alain Lévy
Théophile-Alexandre Steinlen
Steinlen dans son atelier (1913), agence Meurisse, Paris, BnF

Le Musée de Montmartre consacre une exposition à Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923), artiste emblématique de Montmartre à la fin du XIXème siècle. Cette exposition présentée du 13 octobre 2023 au 11 février 2024 marque le centenaire de sa disparition.; elle rend hommage à cet artiste inclassable et protéiforme, qui fut dessinateur, graveur, peintre et sculpteur et qui n’appartint qu’à une seule école. : celle de la liberté, tels les chats qui s’installent nonchalamment et traversent son oeuvre.

Un fil conducteur se détache au sein de sa production extrêmement prolifique. : celui de l’engagement, tant l’artiste associa art et politique, et en se faisant témoin critique de son temps. Il contribua à la réputation de Montmartre et d’une certaine idée de Paris. Il fut ami de Henri de Toulouse-Lautrec, d’Aristide Bruant et de Félix Vallotton son compatriote lui aussi installé à Paris. Picasso (qui arrive à Paris en 1901) s’inspirera un temps du travail de Steinlen.

C’est le Paris de l’Art Nouveau qui triomphe, des affiches d’Alfons Mucha et de la publicité qui fait son apparition sur les murs. La presse connait alors son apogée, les titres fourmillent et la presse humoristique notamment connait son heure de gloire. Steinlen collabore avec le Gil Blas illustré, L’Assiette au Beurre, Le Rire et Les Humoristes, qu’il fonde en 1911 avec Jean-Louis Forain et Charles Léandre.

Théophile-Alexandre Steinlen
Théophile-Alexandre Steinlen
La rentrée du soir, vers 1885
Huile sur toile, 65 x 50 cm
Association des amis du Petit Palais de Genève,
© Studio Monique Bernaz

Steinlen fit circuler ses motifs d’une technique et d’un médium à l’autre, entre presse illustrée, art du livre, affiche et tableau. Le peuple des humains, mais aussi celui des chats qui en est comme un double carnavalesque mais à l’irréductible étrangeté animale, sont les principaux sujets de l’artiste qui s’intéressa également aux genres classiques de la peinture, en particulier le nu et le paysage.

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Méfiant envers toutes les chapelles, Steinlen croyait en la mission sociale et politique de l’art, comme voie et voix vers un monde meilleur.

En signant l’affiche iconique La Tournée du Chat Noir, Théophile-Alexandre Steinlen est désormais associé au Montmartre artistique et bohème de la fin du XIXe siècle, quartier emblématique devenu mythique du Paris 1900. Originaire de Lausanne, en Suisse, il s’établit dès son arrivée à Paris en 1881 dans le quartier de la Butte qu’il habite et arpente sans relâche au cours de sa vie.

Membre du cabaret du Chat Noir et dessinateur privilégié de la revue associée, il en fréquente les acteurs principaux, avec qui il collabore. Il contribue à véhiculer l’«esprit montmartrois» caractérisé par l’humour et l’anticonformisme. Par cet ancrage et ce rôle liés au Chat Noir, il était logique que le Musée de Montmartre consacre une exposition à cet artiste incontournable de Montmartre, à l’occasion du centenaire de sa mort.

Porté par des idées de justice et de liberté sociales, l’artiste n’a de cesse d’utiliser son crayon pour railler et dénoncer les pouvoirs politiques, religieux et bourgeois, oppresseurs et tyranniques.

Théophile-Alexandre Steinlen
Théophile-Alexandre Steinlen, Le cri des opprimés
ou La Libératrice, 1903, huile sur toile 114 x 146 cm. Association
des Amis du Petit Palais, Genève © Studio Monique Bernaz

Il se fait ainsi le porte-parole du peuple, des marginaux et des déclassés – animaux, enfants, femmes, hommes – sans hiérarchie, mettant en scène leurs dures conditions de vie. Si nombreux ont fait de Steinlen un militant anarchiste, il est en réalité un «.destructeur taciturne.» et pacifiste.

Steinlen. La collection du Chat noir (1896)
Affiche 1345mm/ 947mm

Au cours de sa carrière et le long de son oeuvre, il décline certains motifs iconographiques privilégiés qu’il déploie à travers une grande variété de techniques, sans plus de hiérarchie que ses sujets : dessin de presse, affiche, estampe sous toutes ses formes, peinture, pastel, sculpture… Il refuse de la même manière dans ses sujets toutes les classifications académiques.

Selon un parcours chrono-thématique, l’exposition retrace la carrière de Steinlen et donne un aperçu de la richesse de sa production à travers une sélection d’une centaine d’oeuvres, dont une grande proportion de peintures à l’huile, moins connues que son oeuvre graphique, largement représentée également dans l’exposition, ainsi que des sculptures. Suivant le fil conducteur de l’art social, le parcours est organisé en trois principaux mouvements.: Montmartre et le Chat Noir.; le peuple.comme sujet et but de l’art ; enfin, entre peinture d’histoire et nus intimes, le rapport aux genres classiques de l’histoire de l’art, toujours au service d’une vision politique de l’art.

Le parcours commence avec les oeuvres de sa production des premières années parisiennes, liée au cabaret du Chat Noir, déjà empreinte des convictions et de l’engagement de l’artiste.: le cercle anarchiste qu’il rejoint éveille chez Steinlen son intérêt social et politique. La figure du chat qu’il déploie dans cet environnement apparaît déjà comme un symbole de liberté et l’emblème des marginaux. Elle témoigne des réflexions de Steinlen sur les agissements des hommes et les rapports de domination, tout comme sa production massive d’illustration spour des revues aux positions politiques souvent radicales.

Théophile-Alexandre Steinlen les chats
Théophile-Alexandre Steinlen, Apothéose des chats, 1905,
huile sur toile, 164,5 x 300 cm © Studio Monique Bernaz, Genève

Un second corpus rassemble une sélection de travaux témoignant de l’engagement de l’artiste au service du peuple. : «. Tout vient du peuple, tout sort du peuple et nous ne sommes que ses porte-voix. » écrit Steinlen.

Par ses oeuvres allégoriques de la Révolution populaire contre l’oppression et ses peintures donnant à voir la misère et la souffrance des travailleurs – paysans, mineurs, charretiers, trieuses de charbon, prostituées… –, Steinlen dénonce la dure réalité sociale.

Théophile-Alexandre Steinlen
Théophile-Alexandre Steinlen, Les Mineurs, 1903, huile sur toile
65 x 50 cm. Association des Amis du Petit Palais, Genève
© Studio Monique Bernaz

Véritable reporter, il va jusqu’à pénétrer la prison de Saint- Lazare, où étaient enfermées des prostituées, et livrer une véritable enquête de terrain. Son arme est son crayon.

Le troisième et dernier ensemble réunit des oeuvres pensées au prisme des grands genres académiques.: peinture d’histoire, paysage, nu. Steinlen reprend les codes de la peinture religieuse pour son rêve d’une société meilleure.

Témoin de la Grande Guerre, il cherche des moyens picturaux et graphiques pour représenter l’indicible, et devant l’absurdité de l’histoire humaine, se met au paysage. Il réalise une série de nus, dont ceux de Masséida, une femme d’origine Bambara qui devient le modèle d’oeuvres dans lesquelles Steinlen interroge les notions contemporaines d’exotisme, primitivisme et colonialisme.

Théophile-Alexandre Steinlen
Théophile-Alexandre Steinlen, Détente, 1912
huile sur toile, 151 x 151 cm. Association des Amis
du Petit Palais, Genève © Studio Monique Bernaz

Cette production d’oeuvres de genres académiques est à comprendre dans la continuité de ses travaux, portés par le même message social, le même regard humaniste.: Steinlen s’inscrit à la suite des maîtres et de la tradition classique dont il détourne les codes iconographiques avec ironie, laissant ainsi deviner en filigrane ses positions antimilitaristes, anticléricales et anticolonialistes.

L’exposition est constituée des oeuvres des collections de la Société d’Histoire et d’Archéologie Le Vieux Montmartre et bénéficie d’importants prêts institutionnels, notamment du Musée d’Orsay, de l’Association des amis du Petit Palais de Genève, du Musée de Vernon, ainsi que de collections particulières prestigieuses dont la collection David E. Weisman & Jacqueline E. Michel. Elle intègre également plusieurs oeuvres de Steinlen provenant de la collection Timothy Hanford & J.J. MacNab qui ont fait l’objet d’une donation récente au Musée de Montmartre, grâce à l’American Friends du Musée de Montmartre.

Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923)
L’exposition du centenaire

du 13 octobre 2023 au 11 février 2024
Musée de Montmartre Jardins Renoir
12, rue Cortot – 75018 Paris
Tél. : 01 49 25 89 39
infos@museedemontmartre.fr

Commissariat de l’exposition :
Leïla Jarbouai, conservatrice en chef, arts graphiques et peintures du musée d’Orsay
Saskia Ooms, ancienne responsable de la conservation du musée de Montmartre
et avec la contribution scientifique d’Aurore Janson, assistante de conservation du musée de Montmartre

Illustration de l’entête: Steinlen. Le 14 juillet 1895. Huile sur toile, 38/46cm. Musée du Petit-Palais, Genève.

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