Voici une très belle, et longue lettre. Une longue déclaration d’amour d’une beauté éclatante. Soit, le destinataire c’est le Minotaure. Il ne la recevra jamais puisque Ariane l’écrit après que Thésée l’ai tué, mais ce n’est pas grave, elle écrit, elle dit son amour bien plus pour la postérité, pour les humains plutôt que pour lui.
Sandra Labastie, auteure de ce livre, revisite le mythe du Minotaure, mais aussi d’Ariane, de Pasiphaé, Minos, Dédale, etc. Nous sommes en Crète, cette île qui domine la Méditerranée, dirigée par le cruel Minos et sa femme la magicienne Pasiphaé. Une de leurs fille de leur famille nombreuse est Ariane, donnée aux Dieux, danseuse sur les taureaux.
Ariane est une fille solitaire qui passe son temps à espionner son entourage. Elle a conscience que ses géniteurs sont quelques peu pervers, cruels n’ayant aucune affection pour personne en général et encore moins pour elle en particulier. Dans ses pérégrinations, elle découvre dans une pièce du palais son demi frère : le Minotaure. S’instaure entre eux une relation unique, elle arrive à faire sortir la part d’humanité du monstre. Bien sûr, il ne parle pas, il grogne, mais il sait aussi tout particulièrement faire montre de douceur avec elle, ses crises de violence diminuent et il se montre un créateur de fresques de toute beauté.
Mais, on connaît l’histoire, suite à la guerre avec Athènes, cette cité doit tous les ans fournir un tribut composé de sept femmes et de sept hommes, chacun d’entre eux livré au Minotaure. Il est sorti du Palais pour être mis dans un labyrinthe que vient de créer Dédale. Dédale, un homme d’une immense culture, l’esprit toujours en alerte, inventeur de génie, aux ordres du couple régnant. Dédale, flaqué de son fils Icare, sorte de débile léger. Dédale qui sait tout sur Ariane mais avec qui il a une relation de transmission de son savoir (qui ira jusqu’à lui expliquer le fonctionnement du labyrinthe et la façon d’en sortir).
De fait, Ariane n’arrive pas à trouver l’entrée du labyrinthe et donc son cher Minotaure. Ce dernier, sans elle, redevient un monstre, encore que… Il ne veut pas tuer les jeunes gens, mais sa brusquerie, sa violence même qu’il ne peut maîtriser, fait qu’il les tue. Cependant il récupère leurs sangs et bâtit au fil du temps avec cette « matière première », une fresque à la gloire d’Ariane.
Celle-ci sait qu’il souffre et c’est par compensation, pour qu’il sorte définitivement de l’enfer dans lequel Minos et Pasiphaé l’ont mis, qu’elle donne à Thésée la clé pour sortir du labyrinthe.
Après, elle fuit avec Thésée et se retire, volontairement sur une île déserte pour écrire sa lettre d’amour au Minotaure.
Cette lettre est digne des plus beaux poèmes que les aèdes déclamaient dans la Grèce antique, c’est une vraie poésie en prose sur les tourments de l’âme humaine, sur la transmission, sur la dureté de la vie : « vivre, penser, avancer, ça signifie le plus souvent revenir sur ses pas, se tromper, se perdre. Pour trouver le sens, pour comprendre, il faut parcourir absolument tous les chemins, on ne peut en faire l’économie, on ne peut pas contrecarrer la complexité, on ne peut pas atteindre la lumière sans souffrir. Nous sommes seul dans le noir de la naissance à la mort. Et personne ne peut vivre l’expérience à notre place. Choisir est toujours un sacrifice et prendre le chemin peut entraîner la mort. Certains meurent dans l’obscurité, d’autres trouvent la lumière. »
Et, bien sûr, cette lettre lettre est un hymne à l’amour mais aussi et surtout sur la soif de Liberté qui passe par le reniement d’un système d’une famille perverse, étouffante et plus globalement de son passé. Relisons la dernière phrase de ce livre : « Cette lettre apparaît comme la chronique d’une rébellion, celle qui mène à la liberté qui est un autre nom pour l’immortalité » . Tout est dit.
Merci au Centre National du Livre qui a donné une bourse à Sandra Labastie pour qu’elle puisse nous offrir ce grand moment de littérature.
Lettre d’amour au Minotaure
Sandra Labastie
Préface de Roger Massé
éditions ART 3-Plessis. 13€
Vous souhaitez réagir à cette critique
Peut-être même nous proposer des textes et d’écrire dans WUKALI
Vous voudriez nous faire connaître votre actualité
N’hésitez pas, contactez-nous !
Illustration de l’entête: Thésée combattant le Minotaure, Amphore à col par le peintre Oionoklès, 460 avant J.-C., © Wikimedia Commons